Crise: dialogue de sourds entre Europe et Amérique

A crise globale, réponse globale: cette devise, martelée lors de chaque sommet international, fait toujours figure de vœu pieu. Faire des appels à la coordination autre chose qu’une déclaration de principe, voilà à quoi vont travailler les argentiers des 19 grandes puissances et de l’Union Européenne, rassemblés à Washington pour le G20-finances.

Cette réunion est une étape vers le grand sommet de Cannes, les 3 et 4 novembre prochain. Elle mettra face-à-face Européens, Américains et pays émergents, trois groupes dont il ne sera pas simple d’accorder les intérêts et les stratégies. Notamment après que les divergences américano-européennes ont été étalées au grand jour lors du sommet des ministres de la zone euro, le week-end dernier en Pologne. Devant l’émissaire de Washington, le secrétaire au Trésor Timothy Geithner, le président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker avait poliment relevé « des différences d’approche avec nos collègues américains ».

Relance contre rigueur

D’un côté de l’Atlantique, le nôtre, on se serre la ceinture: priorité au dégonflement des dettes publiques et à la réduction des déficits. De l’autre, on mise sur la relance budgétaire, en témoigne le plan pour l’emploi de 447 milliards de dollars que veut lancer le président Obama. Pourquoi ces divergences? « Certes, les Etats-Unis font face à des problèmes d’endettement et de déficit, commente l’économiste Elie Cohen. Mais ils ont le dollar, monnaie de réserve mondiale, très recherchée. Or, plus la crise se développe, plus les investisseurs ont besoin de valeurs refuge. Les bons du trésor américains sont donc à des niveaux historiquement bas », permettant ainsi à Washington un financement facile.

Barack Obama peut donc tenter de relancer l’économie à coups d’argent public, en ciblant particulièrement les ménages les plus pauvres. La zone euro peut-elle se le permettre? Prise globalement, sa situation économique est comparable à celle des Etats-Unis. C’est la fracture entre des pays en difficultés et d’autres bien-portants, mais peu enthousiastes à l’idée de régler la note pour tout le monde, qui ferme la porte à la relance.

« Notre logique, avec dix-sept Etats séparés, ne nous permet pas d’aller aussi loin que leur logique fédérale, reconnaît dans La Tribune le ministre belge des Finances Didier Reynders. Ils ont les bons du trésor américain alors que nous n’avons pas d’euro-obligations et que nous n’avons pas un budget fédéral fort ».

L’Europe sous pression

Il est donc à craindre que le G20 de Washington ne tourne au dialogue de sourds. D’un côté, des Européens réclamant le soutien américain à l’idée d’une taxe sur les transactions financières, déjà rejetée par Geithner. De l’autre, des Américains fatigués des chamailleries européennes, qui menacent la reprise économique mondiale.

D’autant que, pratiquant la relance quand le vieux continent se soigne à l’austérité, Washington craint d’être le dindon de la farce. « Si un pays fait de la relance budgétaire, il augmente la consommation, donc les exportations européennes sur ses marchés, explique Christine Rifflart, économiste à l’OFCE. Une partie des effets bénéfiques de la relance est donc captée par l’Europe ».

Mais c’est clairement sur l’UE que pèse la pression. Après les Etats-Unis, c’est le FMI qui a exhorté les capitales européennes à mettre plus d’argent au pot pour soutenir leurs banques. Et les chiffres de croissance publiés hier par le Fonds monétaire sont plus inquiétants pour la zone euro (1,1% en 2012 au lieu des 1,8% prévus) que pour les Etats-Unis (1,8% au lieu de 2,8%).

La question chinoise

Américains et Européens devraient au moins s’accorder pour demander plus d’efforts à la Chine, toujours priée de réévaluer sa devise nationale. Grâce à un strict contrôle des changes, Pékin arrive en effet à maintenir la valeur du yuan bien en-dessous de ce qu’elle devrait être. De là un avantage de compétitivité dénoncé comme déloyal par ses partenaires commerciaux.

D’après un document européen, cité par l’agence Reuters, « le G20 doit examiner avec soin le rôle que les régimes de change, et en particulier celui du renminbi [yuan] doivent jouer dans le rééquilibrage de la croissance mondiale ». Mais rien ne dit que le nouveau géant économique, et les autres pays émergents, soient prêts à jouer les infirmières pour Occidentaux affaiblis.

Dominique Albertini (Libération)

Voir aussi : Rubrique Finance rubrique UE,

Accord a minima en vue au G20

Les Etats-Unis ont affiché ouvertement leur discorde sur la question des changes.

Les dirigeants du G20, réunis en sommet à Séoul, s’orientaient vendredi vers la conclusion d’un accord limité permettant de réduire les tensions, notamment entre les Etats-Unis et la Chine, sur les changes et les déséquilibres économiques.

Les progrès des discussions sont « très encourageants », a déclaré un haut responsable américain à la presse, à quelques heures de la clôture de la réunion. Le communiqué final, attendu pour 16 heures, va « réduire quelque peu la pression et les tensions que nous avons vues » et décevoir ceux qui prédisaient que le sommet allait s’achever sur un constat de divisions, a souligné ce responsable, sous couvert d’anonymat.

Le texte devrait être assez semblable, mais sans doute plus fort, que le communiqué adopté lors de la réunion des ministres des Finances du G20 fin octobre à Gyeongju (Corée du Sud), a-t-il précisé. « D’une certaine manière, le langage sera plus fort », a-t-il souligné. Les ministres des Finances s’étaient engagés à éviter toute dévaluation compétitive et à favoriser des taux de change davantage déterminés par le marché.

Les discussions pour rapprocher les points de vue à Séoul ont été particulièrement difficiles. Elles ont duré jusqu’à 3 heures vendredi entre négociateurs des dirigeants du G20, selon le porte-parole du sommet. « La Chine se montre très difficile dans la phase d’adoption des textes », a indiqué jeudi soir un haut responsable européen, sous couvert d’anonymat. Hôte du sommet, le président sud-coréen Lee Myung-Bak en a appelé à la responsabilité de chacun. « Nous apprécierions que tous les pays fassent des concessions », a-t-il déclaré avant la première réunion vendredi matin.

Yuan

La chancelière allemande Angela Merkel avait laissé entendre la veille que l’accord s’annonçait comme un compromis limité entre les pays à fort excédent commercial, dont l’Allemagne ou la Chine, et les pays fortement déficitaires, comme les Etats-Unis, qui ont affiché ouvertement leur discorde. Plus question de fixer des objectifs chiffrés, comme le réclamaient les Etats-Unis. « Il y a maintenant une option largement acceptée prévoyant que nous examinions plutôt les indicateurs structurels », comme les facteurs démographiques ou la législation du travail dans chaque pays, avant de se prononcer sur les déséquilibres, a assuré Angela Merkel. Les ministres des Finances du G20 seront chargés de travailler en ce sens, a-t-elle précisé.

Le président américain Barack Obama avait de son côté indiqué mercredi que le communiqué final du sommet ferait référence à des « mécanismes », qu’il n’a pas détaillés, devant permettre « d’identifier et d’encourager une croissance équilibrée et durable ». Le président chinois Hu Jintao a pour sa part présenté à ses homologues un plan en quatre points dont l’objectif est d’assurer une croissance mondiale « forte, durable et équilibrée ». Il s’était engagé jeudi devant Obama à continuer sur la voie d’une réévaluation du yuan, réclamée avec insistance par Washington. Mais, a-t-il averti, cela ne pourra se faire que dans un « environnement extérieur favorable » et de manière progressive.

Berlin, Pékin et d’autres capitales ont accusé les Etats-Unis d’égoïsme en faisant tourner la planche à billets, via l’injection de 600 milliards de dollars supplémentaires, favorisant ainsi la faiblesse du dollar au détriment de leurs économies. Cette politique vise à « stimuler la croissance » aux Etats-Unis « mais aussi à l’étranger », a rétorqué jeudi Obama. La veille, il avait déjà assuré qu’une forte reprise américaine était « la meilleure contribution » que les Etats-Unis pouvaient faire à la croissance mondiale.

AFP

Voir aussi : Rubrique Finance, La décision de la Fed suscite des critiques,