Marc Duran. « Je ne représente pas, j’essaie d’évoquer »

photo Rédouane Anfoussi

photo Rédouane Anfoussi

Visite d’atelier. Portrait subjectif de Marc Duran, artiste peintre musicien sétois. Celui qui prétend ne pas savoir ce qu’est l’art pourrait bien avoir la chance d’en faire toute sa vie.

Par un soir d’automne en état d’urgence, Marc Duran se prête au jeu d’une visite impromptue. L’atelier perché dans une rue du quartier haut de Sète est peuplé en ce mois de novembre. « Des fois j’ai envie de sortir, parce qu’il y a trop de monde, prétend l’artiste, seul devant ses toiles. Mais je sais que bientôt elles vont partir, et là je vais sentir le vide et me mettre à bosser comme un dingue. »

Peintre pour de vrai ?

Marc Duran prétend qu’il a débuté la peinture depuis trois ans, qu’il ne sait pas s’il est un vrai peintre mais que depuis qu’il s’y est mis, les gens lui achètent ce qu’il fait. Alors il travaille beaucoup, souvent sur plusieurs toiles à la fois. Il a déjà signé 300 toiles. « Il arrive que certaines personnes veuillent partir avec des tableaux inachevés », prétend Marc. Comme il n’est pas contrariant, il leur cède. Quand certaines toiles lui donnent du fil à retordre, il passe à autre chose. Actuellement, Marc prétend passer ses journées à peindre et à jouer du piano.

Dans le bouillon ?

Au début des années 80, Marc a joué dans plusieurs groupes de  rock punk. A cette époque, il retrouve souvent Combas, Di Rosa et tous les futurs tenants de la figuration libre sétoise. Il baigne  dans la genèse du mouvement. « Ils peignaient et moi je taquinais ma guitare. Aujourd’hui chacun a fait son propre chemin mais on continue à se voir pour parler et boire des coups, c’est une forme de rituel. J’ai toujours été dans la soupe, dans le bouillon… »

Rapport à l’île Singulière ?

« C’est celle d’un vieux couple. Vous connaissez l’histoire du jeune à qui son instituteur demande la différence entre être excité et être énervé ? Il sèche le jeune, alors quand il rentre à la maison, il pose la question à son père qui lui répond : « Eh bien la différence, c’est comme ta mère et moi. Au début, elle m’excitait, maintenant elle m’énerve », prétend Marc Duran, mais on sent bien un profond attachement à la vie sétoise.

Musicien compositeur ?

Marc a eu envie de bouger parce qu’il s’ennuyait, prétend-t’il. Toujours dans les années 80, il quitte Sète pour rejoindre Londres. Outre-Manche, il poursuit la musique pendant dix ans en vivant de ses concerts. Il a enregistré de nombreux CD avec son groupe Les Manchakous ou en solo sous le nom de Marc Di. « J’aime composer,  j’adore faire des arrangements. Je suis allé assez loin. » A son retour en France, Marc, s’associe à des musiciens du conservatoire et compose un opéra sur la trame d’un drame cathare. L’oeuvre est bien reçue. « C’était l’époque où on me prenait pour un curé, et moi je me prenais pour un compositeur  alors que je ne savais pas composer, prétend Marc, après j’ai étudié la musique. J’ai fait cinq ans d’harmonie tonale. »

Etre artiste ?

« Je ne sais pas ce que c’est vraiment qu’être artiste. C’est faire des choses, tout le monde est artiste ou peut l’être, prétend Marc. C’est répondre à une pulsion forte. J’ai fait ça toute ma vie, j’ai composé, produit de la musique, j’ai même écrit un livre, un polar : Bloody mardi. Maintenant je fais de la peinture et de la sculpture », indique Marc en désignant un volume peint qui ressemble à une défense d’éléphant qui aurait traversé la voie lactée. « C’est la corne d’abondance. On à l’impression de faire de l’art. J’ai toujours abordé les choses de ma vie comme de l’art, pour me défouler en agissant en souffrance. L’art c’est plus important que tout. J’ai même refusé des boulots pour continuer… »

Vous connaissez les Cramps ?

Marc réécoute ses anciens morceaux parce qu’il songe à en reprendre certains sous une autre forme. Il fouille dans un tiroir, sort un CD, et le glisse dans un vieux lecteur poussiéreux. Ca sonne underground américain, rock garage un soupçon british. « J’ai reçu une équipe de France Culture et un des programmateurs a flashé sur un de mes morceaux », prétend Marc. Il semble se réjouir que le rapport professionnel entre l’artiste et le journaliste parisien se soit légèrement transformé. « C’est un morceau pornographique qu’il va sans doute utiliser dans une future émission qu’il prépare*. »

Maintenant, Marc marche dans son atelier. « Je fais des kilomètres par jour dans cet espace étroit  pour réfléchir et ne pas m’obstiner », prétend-t-il. Il regarde un tableau comme s’il n’avait plus besoin de parler de lui et que cette toile le renvoyait à un voyage lointain dont il ne se souvenait plus bien. « Vous voyez, là ces personnages… Ce sont les Cramps. Vous connaissez les Cramps ? »

Rapport à la peinture ?

« Comment je travaille ? Je commence par salir la toile. C’est elle qui m’inspire. Je fais des tâches. Je n’arrive pas à élaborer des scènes, prétend Marc. Je me laisse aller, je connais mes limites. Je ne m’attache pas à la composition mais le travail aidant, ça vient tout seul et au final je suis content. Je ne suis pas un bon musicien mais j’ai toujours aimé composer. Avec la peinture, je compose des arrangements autour de mes tâches. »

L’ambiance un peu cacophonique qui règne dans l’atelier confirme la forte présence de la musique dans les tableaux. Face à elles, on imagine l’artiste jouant de la musique sur ses toiles. On le voit calant les motifs et les boucles en rythme comme un dj qui mixe. « En peinture comme dans tout art, il faut un style, prétend Marc. J’ai baigné dans la famille de la figuration libre, mais je ne fais pas de la copie. Je cherche à libérer l’intérieur. Je ne représente pas, j’essaie d’évoquer. Je ne fait pas de la figuration libre, je suis plutôt un artiste brut », prétend Marc Duran.

Rapport au fantôme…

Son travail  qui fait appel à des courbes et des points « indemnes de culture artistique » évoque la fertilité et la féminité. Il est aussi empreint d’étrangeté liée à une présence cachée. « Quand j’étais petit, à la maison, il y avait une porte avec des contours en fer forgé à l’intérieur desquels je voyais des visages qui m’observaient. Je les ai retrouvés il y a peu dans mes toiles… », prétend Marc Duran.

Jean-Marie Dinh

* On retrouvera prochainement Marc Duran dans l’émission de France Culture sur les Docks.

Source :  La Marseillaise 28/11/2015

Voir aussi : Rubrique Art, rubrique Rencontre,