Giorgio Agamben : « De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité »

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L’état d’urgence n’est pas un bouclier qui protège la démocratie. Au contraire il  a toujours accompagné les dictatures et a même fourni le cadre légal aux exactions de l’Allemagne nazie. La France doit résister à cette politique de la peur.



On ne comprend pas l’enjeu véritable de la prolongation de l’état d’urgence [jusqu’à la fin février] en France, si on ne le situe pas dans le contexte d’une transformation radicale du modèle étatique qui nous est familier. Il faut avant tout démentir le propos des femmes et hommes politiques irresponsables, selon lesquels l’état d’urgence serait un bouclier pour la démocratie.

Les historiens savent parfaitement que c’est le contraire qui est vrai. L’état d’urgence est justement le dispositif par lequel les pouvoirs totalitaires se sont installés en Europe. Ainsi, dans les années qui ont précédé la prise du pouvoir par Hitler, les gouvernements sociaux-démocrates de Weimar avaient eu si souvent recours à l’état d’urgence (état d’exception, comme on le nomme en allemand), qu’on a pu dire que l’Allemagne avait déjà cessé, avant 1933, d’être une démocratie parlementaire.

Or le premier acte d’Hitler, après sa nomination, a été de proclamer un état d’urgence, qui n’a jamais été révoqué. Lorsqu’on s’étonne des crimes qui ont pu être commis impunément en Allemagne par les nazis, on oublie que ces actes étaient parfaitement légaux, car le pays était soumis à l’état d’exception et que les libertés individuelles étaient suspendues.

On ne voit pas pourquoi un pareil scénario ne pourrait pas se répéter en France? : on imagine sans difficulté un gouvernement d’extrême droite se servir à ses fins d’un état d’urgence auquel les gouvernements socialistes ont désormais habitué les citoyens. Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques.


Entretenir la peur

Cela est d’autant plus vrai que l’état d’urgence s’inscrit, aujourd’hui, dans le processus qui est en train de faire évoluer les démocraties occidentales vers quelque chose qu’il faut, d’ores et déjà, appeler Etat de sécurité (« Security State », comme disent les politologues américains). Le mot « sécurité » est tellement entré dans le discours politique que l’on peut dire, sans crainte de se tromper, que les « raisons de sécurité » ont pris la place de ce qu’on appelait, autrefois, la « raison d’Etat ». Une analyse de cette nouvelle forme de gouvernement fait, cependant, défaut. Comme l’Etat de sécurité ne relève ni de l’Etat de droit ni de ce que Michel Foucault appelait les « sociétés de discipline », il convient de poser ici quelques jalons en vue d’une possible définition.

Dans le modèle du Britannique Thomas Hobbes, qui a si profondément influencé notre philosophie politique, le contrat qui transfère les pouvoirs au souverain présuppose la peur réciproque et la guerre de tous contre tous : l’Etat est ce qui vient justement mettre fin à la peur. Dans l’Etat de sécurité, ce schéma se renverse : l’Etat se fonde durablement sur la peur et doit, à tout prix, l’entretenir, car il tire d’elle sa fonction essentielle et sa légitimité.

Foucault avait déjà montré que, lorsque le mot « sécurité » apparaît pour la première fois en France dans le discours politique avec les gouvernements physiocrates avant la Révolution, il ne s’agissait pas de prévenir les catastrophes et les famines, mais de les laisser advenir pour pouvoir ensuite les gouverner et les orienter dans une direction qu’on estimait profitable.


Aucun sens juridique

De même, la sécurité dont il est question aujourd’hui ne vise pas à prévenir les actes de terrorisme (ce qui est d’ailleurs extrêmement difficile, sinon impossible, puisque les mesures de sécurité ne sont efficaces qu’après coup, et que le terrorisme est, par définition, une série des premiers coups), mais à établir une nouvelle relation avec les hommes, qui est celle d’un contrôle généralisé et sans limites – d’où l’insistance particulière sur les dispositifs qui permettent le contrôle total des données informatiques et communicationnelles des citoyens, y compris le prélèvement intégral du contenu des ordinateurs.

Le risque, le premier que nous relevons, est la dérive vers la création d’une relation systémique entre terrorisme et Etat de sécurité : si l’Etat a besoin de la peur pour se légitimer, il faut alors, à la limite, produire la terreur ou, au moins, ne pas empêcher qu’elle se produise. On voit ainsi les pays poursuivre une politique étrangère qui alimente le terrorisme qu’on doit combattre à l’intérieur et entretenir des relations cordiales et même vendre des armes à des Etats dont on sait qu’ils financent les organisations terroristes.

Un deuxième point, qu’il est important de saisir, est le changement du statut politique des citoyens et du peuple, qui était censé être le titulaire de la souveraineté. Dans l’Etat de sécurité, on voit se produire une tendance irrépressible vers ce qu’il faut bien appeler une dépolitisation progressive des citoyens, dont la participation à la vie politique se réduit aux sondages électoraux. Cette tendance est d’autant plus inquiétante qu’elle avait été théorisée par les juristes nazis, qui définissent le peuple comme un élément essentiellement impolitique, dont l’Etat doit assurer la protection et la croissance.

Or, selon ces juristes, il y a une seule façon de rendre politique cet élément impolitique : par l’égalité de souche et de race, qui va le distinguer de l’étranger et de l’ennemi. Il ne s’agit pas ici de confondre l’Etat nazi et l’Etat de sécurité contemporain : ce qu’il faut comprendre, c’est que, si on dépolitise les citoyens, ils ne peuvent sortir de leur passivité que si on les mobilise par la peur contre un ennemi étranger qui ne leur soit pas seulement extérieur (c’étaient les juifs en Allemagne, ce sont les musulmans en France aujourd’hui).


Incertitude et terreur

C’est dans ce cadre qu’il faut considérer le sinistre projet de déchéance de la nationalité pour les citoyens binationaux, qui rappelle la loi fasciste de 1926 sur la dénationalisation des « citoyens indignes de la citoyenneté italienne » et les lois nazies sur la dénationalisation des juifs.

Un troisième point, dont il ne faut pas sous-évaluer l’importance, est la transformation radicale des critères qui établissent la vérité et la certitude dans la sphère publique. Ce qui frappe avant tout un observateur attentif dans les comptes rendus des crimes terroristes, c’est le renoncement intégral à l’établissement de la certitude judiciaire.

Alors qu’il est entendu dans un Etat de droit qu’un crime ne peut être certifié que par une enquête judiciaire, sous le paradigme sécuritaire, on doit se contenter de ce qu’en disent la police et les médias qui en dépendent – c’est-à-dire deux instances qui ont toujours été considérées comme peu fiables. D’où le vague incroyable et les contradictions patentes dans les reconstructions hâtives des événements, qui éludent sciemment toute possibilité de vérification et de falsification et qui ressemblent davantage à des commérages qu’à des enquêtes. Cela signifie que l’Etat de sécurité a intérêt à ce que les citoyens – dont il doit assurer la protection – restent dans l’incertitude sur ce qui les menace, car l’incertitude et la terreur vont de pair.

C’est la même incertitude que l’on retrouve dans le texte de la loi du 20 novembre sur l’état d’urgence, qui se réfère à « toute personne à l’égard de laquelle il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace pour l’ordre public et la sécurité ». Il est tout à fait évident que la formule « sérieuses raisons de penser » n’a aucun sens juridique et, en tant qu’elle renvoie à l’arbitraire de celui qui « pense », peut s’appliquer à tout moment à n’importe qui. Or, dans l’Etat de sécurité, ces formules indéterminées, qui ont toujours été considérées par les juristes comme contraires au principe de la certitude du droit, deviennent la norme.


Dépolitisation des citoyens

La même imprécision et les mêmes équivoques reviennent dans les déclarations des femmes et hommes politiques, selon lesquelles la France serait en guerre contre le terrorisme. Une guerre contre le terrorisme est une contradiction dans les termes, car l’état de guerre se définit précisément par la possibilité d’identifier de façon certaine l’ennemi qu’on doit combattre. Dans la perspective sécuritaire, l’ennemi doit – au contraire – rester dans le vague, pour que n’importe qui – à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur – puisse être identifié en tant que tel.

Maintien d’un état de peur généralisé, dépolitisation des citoyens, renoncement à toute certitude du droit : voilà trois caractères de l’Etat de sécurité, qui ont de quoi troubler les esprits. Car cela signifie, d’une part, que l’Etat de sécurité dans lequel nous sommes en train de glisser fait le contraire de ce qu’il promet, puisque – si sécurité veut dire absence de souci (sine cura) – il entretient, en revanche, la peur et la terreur. L’Etat de sécurité est, d’autre part, un Etat policier, car, par l’éclipse du pouvoir judiciaire, il généralise la marge discrétionnaire de la police qui, dans un état d’urgence devenu normal, agit de plus en plus en souverain.

Par la dépolitisation progressive du citoyen, devenu en quelque sorte un terroriste en puissance, l’Etat de sécurité sort enfin du domaine connu de la politique, pour se diriger vers une zone incertaine, où le public et le privé se confondent, et dont on a du mal à définir les frontières.


Giorgio Agamben


Giorgio Agamben est né en 1942 à Rome (Italie). Philosophe italien, spécialiste de la pensée de Walter Benjamin, de Heidegger, de Carl Schmitt et d’Aby Warburg, il est l’auteur d’une œuvre théorique reconnue et traduite dans le monde entier, il vient de publier La Guerre civile. Pour une théorie politique de la Stasi, traduit par Joël Gayraud (Points, 96 pages, 6,50 euros) et L’Usage des corps. Homo Sacer, IV, 2, traduit par Joël Gayraud (Seuil, 396 pages, 26 euros).

Source : Le Monde | 23.12.2015

Voir aussi : Rubrique Politique, Ci-git le hollandisme, Comment Hollande prépare sa réélection face au FNPolitique de l’immigration, rubrique Société, Vertus et vices de la comédie sécuritaireCitoyenneté , Rubrique JusticeLa France déroge à la convention européenne des Droits de l’Homme, On Line Recensement des joies de l’Etat d’urgence,

Laisser à l’Etat le monopole de la création monétaire

L'économiste Michel Santi

L’économiste Michel Santi

C’est le brillant économiste Irving Fisher qui fut le premier – dès les années 1930 – à formuler cette proposition dont le point culminant consistait à imposer aux banques 100% de réserves en échange des dépôts de leurs clients. Les épisodes mélodramatiques de paniques bancaires et de ruées des épargnants pour retirer leurs avoirs seraient dès lors relégués aux manuels d’Histoire, car les banques ne seraient plus en mesure de prêter que leurs fonds propres. Les cycles d’activité seraient considérablement lissés et apaisés car les bulles spéculatives seraient comme neutralisées en amont.

Du coup, les déficits publics en seraient progressivement réduits car, d’une part, les États n’auraient plus à dépenser les deniers du contribuable pour renflouer un système financier aussi inconscient qu’ingrat. La stabilisation au long cours de l’activité économique – et donc la pérennisation des recettes fiscales – contribuant d’autre part à redresser les comptes publics.

Les banques ne seraient plus que des intermédiaires financiers

C’est donc l’État qui serait aux sources et au cœur de toutes les transactions monétaires. Les citoyens, consommateurs, et autres usagers conserveraient leurs avoirs au sein de leurs établissements bancaires qu’ils paieraient, en revanche, pour ce service rendu. C’est uniquement les sommes volontairement dédiées par certains clients – privés ou entreprises – à des fins d’investissement qui pourraient être affectées au circuit du financement. En d’autres termes, les banques ne seraient plus que des intermédiaires financiers qui mettraient en relation une somme de créanciers et de débiteurs, moyennant rétribution évidemment. En tout état de cause, les banques ne seraient définitivement plus en capacité de créer de l’argent à partir du néant. Le corollaire étant que les pertes potentielles n’affecteraient que les titulaires de ces comptes d’investissement ayant sciemment pris la décision de financer une entreprise, un ménage ou de spéculer en bourse…

L’Etat pourrait créer de la monnaie pour financer ses propres dépenses

La tâche de création monétaire de l’Etat serait ainsi entièrement mise au service de l’économie et de la promotion de la croissance. Il serait dès lors en mesure de financer ses propres dépenses, au lieu de taxer et d’emprunter. Il aurait la capacité de transférer des liquidités directement en faveur de certains citoyens, voire de rembourser certaines dettes du secteur privé. La soustraction du pouvoir de création monétaire au système de l’intermédiation financière autoriserait donc l’augmentation de la masse monétaire en cas de besoin, mais sans encourager les consommateurs, investisseurs et entrepreneurs de se charger de dettes, et permettrait donc de maîtriser le risque de bulle spéculative. Ce transfert de pouvoir vers l’Etat – et donc vers les citoyens – annihilerait donc de facto les « Too bigs to fail », et stabiliserait immédiatement l’ensemble du système financier qui serait contraint de revoir ses prétentions considérablement en baisse, car il serait privé de ce pouvoir et de ce levier formidables lui ayant été originellement conféré par les Etats.

La création monétaire, un véritable « prérogative thaumaturgique »

N’est-il pas invraisemblable d’avoir – par le biais de la création monétaire – remis nos destinées aux mains d’un secteur privé seul préoccupé (de manière compréhensible) par ses profits, alors que c’est les pouvoirs publics qui devraient être dotés de cette prérogative thaumaturgique ? Stabilisons nos économies et rassérénons ses acteurs en remettant à sa juste place le système bancaire, en le cantonnant au rôle de simple intermédiaire financier. Et ôtons lui ce pouvoir, qui s’est révélé au fil des années et des décennies écoulées, comme un authentique facteur de nuisance pour la croissance. Voire comme un trou noir, où se sont engouffrés les fonds publics soucieux de sauver une infrastructure financière dont on n’a pas arrêté de nous convaincre que son renflouement était le préalable à notre survie économique. Alors que, dans nos pays occidentaux, seuls 10% environ de la totalité des prêts bancaires sont canalisés vers les entreprises et vers la vraie économie, le reste étant destiné aux spéculateurs et investisseurs, bref à cette caste déconnectée des réalités qui génère le gros des bénéfices de la finance.

Bénéfices engrangés précisément grâce à cette faculté de création monétaire, qui doit donc aujourd’hui être du seul ressort de l’Etat. Outre la mise hors d’état de nuire du système financier, un tel changement de paradigme nous contraindrait du coup à considérer les déficits publics et même les impôts sous un autre angle. Pour le plus grand bénéfice de la collectivité.

Michel Santi

Michel Santi est directeur financier et directeur des marchés financiers chez Cristal Capital S.A. à Genève. Il a conseillé plusieurs banques centrales, après avoir été trader sur les marchés financiers. Il est l’auteur de : « Splendeurs et misères du libéralisme« , « Capitalism without conscience » et « L’Europe, chroniques d’un fiasco économique et politique« .

Source : La Tribune 10/11/2014,

Voir aussi : Rubrique International, rubrique Débat, rubrique Finance, rubrique Economie,

Les Classiques ou les fondements de la science économique moderne

 

La pensée Classique est à l’origine de la science économique moderne

 

Introduction:

La pensée économique existe probablement depuis l’Antiquité. Le terme économie a pour origine le grec «oicos» «nomos» signifiant littéralement «les règles d’administration de la maison». Mais jusqu’au XVIIIème siècle celle ci ne disposait d’aucune autonomie. Son étude était liée aux autres types de savoirs, tantôt dépendante de la vision philosophique, tantôt de la vision politique ou encore de la vision religieuse. Mais jamais avant le XVIIIème siècle elle n’avait été étudiée en tant que sphère autonome.

La tradition économique tend à faire commencer l’analyse de l’économie comme discipline à part entière avec la parution en 1776 de l’ouvrage qui deviendra par la suite le plus célèbre de l’histoire économique, nous voulons bien sur parler des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations de l’économiste écossais, Adam SMITH. Ce courant de pensée, qui sera qualifié par la suite, par Marx puis par Keynes de « Classique », dominera largement le XVIIIème siècle et la première moitié du XIXème, jusqu’à l’apparition dans les années 1870 du courant néoclassique.

Cependant, si l’œuvre de Smith constitue un évènement marquant, il ne faut pas croire pour autant à l’absence totale d’analyse économique avant le XVIIIème siècle. Bien au contraire, les physiocrates et notamment leur chef de file, le médecin François Quesnay, posent les jalons de ce que sera l’économie Classique notamment en ce qui concerne la croyance au libéralisme et a l’existence d’un ordre spontané du monde, d’où une hostilité à l’égard de toute intervention étatique dans la sphère économique.

Nous venons ici d’évoqué assez rapidement plusieurs courants de pensée, il s’agira donc dès lors de nous demander en quoi est-ce que, au sein de l’histoire de la pansée économique, la pensée Classique est à l’origine de la science économique moderne?

Nous ferons donc dans une première partie l’analyse de la pensée classique et verrons en quoi elle constitue un tournant dans l’histoire économique, puis dans une deuxième partie nous verrons la postérité de cette pensée, dans l’étude d’autres analyses économiques qui, que ce soit pour revendiquer une filiation ou pour la critiquée, ce sont construits par rapport à la pensée classique, ce qui prouve bien qu’elle est effet fondatrice de la science économique moderne.

I – Les classiques : La naissance d’une pensée économique indépendante.

A – Une recherche sur la nature de la richesse des nations.

1 – Approche dichotomique et la neutralité de la monnaie.

2 – Le problème de la valeur. W incorporé, W cumulé.

B – Une recherche sur la cause de la richesse des nations.

1 – Les vertus du Libre- échange.

2 – Le penchant naturel des hommes à l’échange.

3 – Une contrainte sur l’offre mais pas sur les débouchés.

  • L’état stationnaire et le pessimisme classique.

C – La répartition de la richesse comme ressort de la dynamique capitaliste.

1 – Une société de classes aux intérêts contradictoires

2 – La dynamique de l’accumulation freinée par la baisse des profits.

  • La dynamique grandiose des classiques

  • La science lugubre de Thomas Malthus.

  • État stationnaire

3 – Une contrainte sur l’offre mais pas sur les débouchés.

II – Héritage, hétérodoxie et remise en question de la pensée classique.

A – La révolution marginaliste: héritage et approfondissement de la pensée Classique

1 – Le raisonnement à la marge: La résolution du paradoxe de l’eau et du diamant.

  • rejet de la valeur travail.

2 – Loi de Say, neutralité de la monnaie: approfondissement de la pensée classique, par l’utilisation systématique de modèles mathématisés.

B – L’hétérodoxie marxiste, le dernier des classiques?

1 – l’analyse en termes de classes

  • Baisse tendancielle du taux de profit.

2 – La théorie de la valeur chez Marx.

  • Critique du fonctionnement du système capitaliste.

  • Contre la théorie de la neutralité de la monnaie.

C – La remise en question Keynésienne

1 – Remise en question de la loi de Say.

2 – Remise en question de la neutralité de la monnaie

3 – Intervention nécessaire de l’état dans l’économie.

II Héritage, hétérodoxie et remise en question de la pensée classique

A. Les néoclassiques : révolution marginaliste, héritage et approfondissement

Les néoclassiques dans les années 1870, trois auteurs qui ne se connaissent pas et ne se sont pas concertés écrive chacun des ouvrages qui fondent le néoclassicisme : l’autrichien Carl Menger, l’anglais William Stanley Jevons et le suisse Léon Walras.

Ils sont dans une démarche micro-économique dans la mesure où ils s’intéressent aux comportements individuels.

  1. Le raisonnement à la marge dans un univers de rareté

Abandon de la théorie de la valeur travail et adoption de la théorie de la valeur utilité.

L’utilité mesure la satisfaction globale qu’un individu retire de la consommation d’un bien. Le niveau d’utilité dépend donc de la quantité consommée et de la rareté d’un bien.

Raisonnement à la marge : la valeur économique résulte de l’utilité marginale.

Utilité marginale : accroissement de l’utilité procuré par la consommation d’une unité supplémentaire d’un bien. Elle est décroissante.

Exemple : J’achète un short. Je suis très contente j’ai enfin le short que je voulais. Si j’en achète un deuxième ma satisfaction (l’utilité marginale) sera moindre que celle que m’a procuré l’achat du premier c’est cool mais j’en avais déjà un.

Cela explique le paradoxe de l’eau et du diamant : l’eau étant en quantité illimitée, sa valeur marginale est très faible (j’obtiendrais peu de satisfaction à consommer une 15ème bouteille d’eau) tandis que le diamant est rare, lui aussi m’apporte une satisfaction (celle de posséder un diamant) je serais prête à offrir beaucoup pour en avoir un deuxième donc l’utilité marginale est élevée et la valeur aussi.

  1. La loi de Say / loi des débouchés et la neutralité de la monnaie : adhésion et mathématisation des théories classiques.

Les néo-classiques y adhèrent et approfondissent ces théories. Classiques sont essentiellement théoriques tandis que les néoclassiques instaurent l’utilisation systématique des modèles mathématisés (courbes, fonctions…) qui donnent au modèle une dimension empirique.

Le modèle de Solow et les autres modèles de croissance (croissance endogène) sont les plus caractéristiques des modèles mathématisés : modèle de la croissance avec une fonction de production à deux facteurs (capital et travail) plus progrès technologique mais sans savoir d’où provient ce progrès.

B. L’hétérodoxie marxiste : « le dernier des classiques » (Marx :1818-1883)

C’est Marx qui donne le nom de « classiques ».

  1. Marx reprend les classiques

Raisonne comme eux en terme de classes même si ce ne sont pas les mêmes classes. Ouvriers / Capitalistes / Entrepreneurs (théorie de répartition classique) différent de Prolétaires / Bourgeois (bourgeois exploitant les prolétaires et accaparant le surplus).

Rejoint les classiques sur la théorie de la valeur travail. Distinction de la valeur d’usage (subjective) et de la valeur d’échange qui ne peut être déterminée que par la valeur travail.

Rejoint les classiques sur la baisse tendancielle du taux de profit.

  1. Divergences et critiques du classicisme

Capitalisme : parce qu’il s’appuie sur la propriété privée des moyens de production, et recherche le l’accumulation du capital par le biais du profit repose sur la théorie économique classique.

Il est selon Marx voué à l’échec car contient des contradictions en son sein qui le mèneront à une autodestruction.

But du capitalisme : augmenter le profit sans cesse. Donc course à la productivité et concurrence sur le marché. Le développement continu des techniques, permet de produire de plus en plus mais :

  • La technique offre la possibilité d’une distribution quasi gratuite de plus en plus de services (surtout dans les domaines de la connaissance et de l’information) : contradictoire avec la propriété privée des moyens de leur production… Droit de propriété = enjeu majeur du capitalisme avec la création d’une rareté artificielle nécessaire au bon fonctionnement du marché et à la réalisation des profits. Si les produits ne sont pas rares, ils n’ont plus de valeur.

  • Le progrès technique augmente la productivité. Les prix diminuent alors et font disparaître les entreprises les moins rentables, augmentant la classe prolétarienne. Cette classe a de plus en plus de mal à acheter les marchandises produites par le système.

  • Donc machinisation du capital.Or le profit repose sur la différence entre la valeur produite par le travail et le salaire est la extorquée par le capitaliste.Les machines ne produisent pas de sur-valeur…Baisse tendancielle du taux de profit. Donc la logique capitaliste conduit à son autodestruction.

Marx s’oppose aux classiques sur la question de la neutralité de la monnaie. Cette critique est plutôt développée par Keynes.

C. La remise en question keynésienne (Keynes :1883-1946)

Contexte de la crise de 1929. Pourquoi il y a une crise si la théorie des néoclassiques et des classiques est infaillible ?

  1. Remise en cause de la loi de Say

L’économie n’est pas un circuit fermé autorégulateur où l’offre crée sa propre demande.

Théorie classique : l’argent de l’épargne réinjectée dans le la dynamique économique et devient source d’investissement qui devient source de distribution de salaires qui devient source de conso.

Trop d’épargne n’est pas forcément réinvestie. Dans ce cas baisse de la demande. Les entreprises anticipent une diminution continue de la demande et baissent leur investissement. Elles embauchent moins donc chômage. Donc baisse de la consommation : prophétie auto réalisatrice.

Crise !!!

De plus en tant de crise les gens ont une préférence pour l’épargne liquide. C’est une fuite dans le circuit.

  1. Neutralité de la monnaie

Dans un monde économique dominé par l’incertitude il est rationnel de désirer l’argent en lui-même. La monnaie prend donc une valeur (valeur-refuge).

Pour empêcher une précipitation vers la liquidité monétaire le taux d’intérêt intervient. Selon qu’il est plus ou moins élevé les gens préfèrent tésoriser (épargner en monnaie liquide) ou épargner à la banque.

Si il y a trop de tésorisation il n’y a pas assez de demande donc l’entreprise n’entreprend pas donc équilibre de sous-emploi.

  1. L’intervention de l’État

Le marché est faillible, il ne peut pas s’auto-réguler et échapper aux crises. Il mène parfois à un équilibre de sous emploi. C’est l’État qui doit jouer le rôle de régulateur.

Il doit soutenir la demande :

  • Par la politique monétaire

  • Par la politique budgétaire : dépenses publiques qui génèrent des revenus et donc augmentent indirectement la demande. Par ex : politique des grands travaux.

Conclusion.

Au terme de cette analyse la réponse à la question posée est évidente: oui les classiques sont bien les fondateurs de la science économique moderne. Ils en jettent les bases, en définissent les pourtours. Leur apport, notamment en matière d’émancipation de la science économique est considérable. Et si le coté scientifique est surtout développé dans l’analyse néoclassiques, il n’en demeure pas moins que la démarche et la pensée Classique avait la rigueur de la démonstration scientifique.

Enfin, si leurs conclusions ont souvent été réfutées, il convient tout de même de remarquer que tous les grands auteurs, ou courant de pensée qui viendront après les classiques, se définiront ou se positionneront toujours par rapport à eux: soit pour s’inscrire dans une filiation, soit pour les critiquer, soit pour complètement les remettre en question.

Bibliographie:

La pensée économique 1 / Des mercantilistes aux néoclassiques.

Daniel Martina

Auteurs et grands courant de la pensée économique.

Guillaume Vallet

La pensée économique classique 1776-1870.

Joël-Thomas Ravix.

Les grandes théories économiques.

Bernard et Dominique Saby.

L’économie aux concours des grandes écoles.

Sous la direction de C.-D Echaudemaison

Analyse économique et historique des sociétés contemporaines.

Sous la direction de Marc Montoussé.

Démocratie de quartier et légitimité politique

La démoctatie participative à construire

La démoctatie participative à construire

Essai. A la lumière de l’histoire, l’ouvrage d’Anne Lise Humain-Lamoure analyse les enjeux politiques et les pratiques sociales de la démocratie de proximité.

Faire une démocratie de quartier ? L’ouvrage d’Anne-Lise Humain-Lamoure tombe à pic à l’heure où Montpellier reconduit l’opération Printemps de la démocratie sur fond de bataille pour devenir kalif surdoué. Sur le papier, notamment celui de la presse institutionnelle, il est question  » d’aller à la rencontre de l’expression citoyenne, au plus près des habitants, et de consacrer la prise en compte de l’expertise d’usage des habitants dans l’acte décisionnel.  » L’objectif affiché ne pouvant être que louable et désintéressé, tout citoyen comprend naturellement que l’intérêt de nos élus locaux pour la démocratie locale s’inscrit avant tout dans un souci électoral. Ce dont convient l’auteur en pointant   » le souci de légitimation de leur représentativité dans le cadre d’un contexte politique qui valorise fortement le principe d’une proximité. « 

Qu’est ce que la proximité ?

democratie-particip-arbreCette proximité incontournable et cruciale, devenue en quelques années une valeur politique de premier plan sans que l’on puisse pourtant en donner une définition claire, trouve place dans la recherche pluridisciplinaire (géographie, aménagement, sociologie et sciences politiques ) d’Anne-Lise Humain-Lamoure. L’auteure y consacre un chapitre. Sous le titre Quartier et proximité une nouvelle idéologie ? elle analyse le mécanisme de production de légitimité politique comme une rupture symbolique avec une légitimité naguère liée à la distance. Distance de l’intérêt général par rapport à l’intérêt particulier, de l’administration rationnelle par rapport à la relation personnelle et de l’Etat par rapport à la société civile.

De quel quartier parle-ton ?

 Si le quartier apparaît unanimement comme le territoire à construire, la division spatiale administrative comme la pertinence de son échelle dans l’espace urbain ne sont ni discutées ni imposées par le cadre légal.  » Le quartier apparaît comme une catégorie abstraite dont l’échelle et les critères de délimitation ne sont jamais définis.  » En fonction du contexte, les acteurs municipaux peuvent ainsi mobiliser le quartier différemment pour le mettre en lien avec les axes politiques qu’ils entendent mettre en valeur. Tandis que les habitants font référence, dans leur grande majorité, à l’idée de rencontre et d’interaction sociale. Pour la population  » Le quartier se définit avant tout par la diversité des personnes qui s’y côtoient. « 

 Critique du mode électif

L’objet de la loi de démocratie de proximité, adoptée en février 2002 est de lier gestion de proximité et démocratie locale. Le texte se fixe pour objectif de renouveler le lien entre élus et citoyens pour renforcer la démocratie, améliorer l’efficacité de l’action publique, et retrouver un lien social considéré comme érodé.

mosquee-manifCette loi répond avant tout à la crise de représentation  » souligne la chercheuse, en fournissant un cadre  » pour mieux décider au nom des gens en refondant la légitimité des élus.  » Le régime représentatif assuré par les élections certifie théoriquement la légitimité des décisions prises et de ceux qui les prennent. Mais il est aujourd’hui de plus en plus contesté comme l’indique les records atteints par l’abstention dans toutes les élections intermédiaires aux présidentielles.  » L’élection suppose une compétition pour la conquête des mandats et des pouvoirs qu’ils confèrent. Or, cette compétition, organisée par et dans les partis politiques, est souvent ressentie comme des réseaux de pouvoir dans lesquels une part croissante de citoyens se sent exclue et oubliée.  » A cela s’ajoute la litanie des promesses non tenues, autant que l’impression d’une caste fermée de politique issue des classes les plus favorisées. La critique du modèle républicain revendique aussi l’ouverture des systèmes décisionnels, et la reconnaissance de la différence entre les groupes sociaux, sur la base de leurs origines ethniques et religieuses.

La démocratie de proximité aurait donc pour but d’abolir ou d’atténuer la domination politique, sociale et culturelle. Mais pour la plupart de ses promoteurs officiels, ce n’est guère concevable.  » Pour la première fois depuis la Révolution, on choisit de découper un des territoires de la République  » rappelle Anne-Lise Humain-Lamoure dont l’essai ausculte la démocratie à partir du plus petit des territoires. Un miroir édifiant sur les pratiques et les questions que suscite notre système politique.

Jean-Marie Dinh

Faire une démocratie de quartier ? Editions Le bord de l’eau, 22 euros

Voir aussi : Rubrique Montpellier Rubrique Politique locale : Frêche et le serment du Jeu de paume , Mandroux et le village Gaulois, Tramway ligne trois,  Un petit dernier avant les régionales, Un îlot de soleil sous un ciel menaçant Petit Bard Pergola rénovation urbaine,

André Orléan: la finance est devenue une pensée de la vie

André Orléan, économiste

Andre_Orlean2012
« Le capitalisme n’est plus porteur d’un projet alternatif »
Extraits : « On constate en économie, depuis une vingtaine d’années, une mise à l’écart de toutes les traditions de pensée qui ne sont pas le courant néoclassique, par exemple keynésienne, marxiste, autrichienne ou institutionnaliste. Cette dérive néfaste est due à un système international d’évaluation des chercheurs qui identifie l’excellence aux seules revues néoclassiques états-uniennes ! En conséquence, le chercheur qui publie, par exemple, dans une revue post-keynésienne se trouve mécaniquement pénalisé. Cette situation pose problème car une vie démocratique véritable ne peut exister que si une pluralité de diagnostics et de solutions est offerte au débat civique. (…) Le déclic qui est à l’origine des économistes atterrés date de 2010, à savoir le retour des politiques de rigueur en Europe dans une conjoncture marquée par une croissance du chômage. Comment se pouvait-il que les gouvernements de la zone euro ignorent avec une telle naïveté ce qui fut la grande leçon d’économie du 20ème siècle, la pensée de Keynes ? En période de récession, on ne diminue pas la dette publique en augmentant la pression fiscale. Malgré l’enseignement de Keynes, on a assisté à un remake des années 30. Il nous a paru impossible que les économistes ne réagissent pas. C’est pourquoi Philippe Askénazy, Thomas Coutrot, Henri Sterdyniak et moi-même avons décidé de rédiger ce manifeste de façon à fédérer le plus grand nombre d’économistes, quelles que soient par ailleurs leurs convictions idéologiques. »

Le dépérissement des Etats

Comment en est-on arrivé à ce que ce phénomène recouvre le champ entier de l’économie ?

La financiarisation de nos économies correspond très profondément à une modification des valeurs collectives, des valeurs sociales… Elles ne se sont peut-être pas reflétées directement dans les valeurs financières, mais en définitive elles y participent.  Ce qui m’apparaît très nettement aujourd’hui par exemple c’est le dépérissement des Etats… On parlait tout à l’heure de la question de la régulation et je crois qu’elle est centrale justement parce que les Etats n’ont plus de pouvoir, il y a un dépérissement des Etats…

Le dépérissement des Etats correspond précisément à ces transformations de la valeur. Je m’explique : les valeurs collectives sont de moins en moins identifiées à des territoires et à des Etats qui les protégeraient ou à des projets nationaux… La valeur, au fond, la valeur fondamentale réside aujourd’hui dans le rapport aux biens et aux marchandises… Pour schématiser, nous nous projetons là où nous trouvons de la valeur. Ce qui nous motive, ce que nous cherchons, la source de notre bonheur, notre avenir, nous le voyons à travers le rapport aux objets, aux marchandises…

Donc la valeur est maintenant liée aux objets dans l’inconscient collectif des économies développées. On se projette sur eux et c’est d’eux que l’on attend des solutions. Or, qui produit ces valeurs ? Ce sont les entreprises… Donc le grand dépérissement des valeurs sociales du côté de l’Etat, provient de cette transformation…

Si on schématise les grands mouvements de l’Histoire, nous sommes tous d’accord pour penser que c’est le monde des objets, c’est le rapport aux objets que nous avons privilégié si bien que ces objets sont devenus des valeurs collectives… Or, ce sont les marchés financiers qui, à travers les grands fonds institutionnels sont devenus les gérants du capital mondial en lieu et place du capitalisme industriel.  Donc, on a assisté à une transformation très profonde de ce point de vue-là.

Comme je le disais, ce qui est tout à fait particulier aux valeurs financières, c’est qu’elles se forment de manière totalement instable. Elles ne se forment pas sous un mode délibératif, collectif, raisonné, à la « Habermas ». Elles ne sont pas le résultat d’un processus maîtrisé au cours duquel il serait possible à chacun d’échanger des arguments… Elles se forment de manière financière, c’est-à-dire de manière « autoréférentielle ». Cela signifie que chacun essaye de savoir ce que les autres pensent. Ce n’est au fond pas très différent d’une logique médiatique. Et cette logique de la création des valeurs financières est fondamentalement instable…

Tout mon effort théorique est de montrer que la valeur économique n’est pas extérieure aux valeurs sociales… Toute l’économie s’est constituée, en prétendant que sa valeur, la valeur économique, était objective, qu’elle était différente des valeurs sociales… Je crois qu’il faut revenir en arrière et montrer que ce n’est pas le cas : les valeurs économiques sont comme les autres valeurs, elles sont collectives, produites par des processus stratégiques au cours desquels de nombreux d’acteurs jouent leur partition et se projettent dans l’avenir…

Comment faudrait-il faire pour règlementer de manière efficace le monde de la finance ?

Il me semble qu’il faut sortir de l’idée que les marchés financiers sont le bon système pour allouer le financement … Donc, ce qu’il faudrait définir, c’est le point au-delà duquel ils ne sont plus le bon système pour ce faire. Et mon idée c’est qu’il faut créer des cloisonnements, il faut créer des différenciations dans le système…

Ce qui cause la crise, c’est l’interconnexion de chaque domaine.  Elle produit une homogénéisation instantanée. Ce qui signifie que les acteurs du monde entier, répondent de la même manière en même temps… C’est pourquoi les crises ont des conséquences de plus en plus graves. Elles touchent tous les pays et tous les secteurs simultanément. Il faut donc revenir à des différenciations…

Ces re-cloisonnements nécessaires peuvent-ils être à la base d’un « programme » pour en sortir ?

Je n’ai pas de programme mais j’ai quelques idées. Mon diagnostic conduit à mettre en évidence que la question de l’interconnexion, la question des marchés financiers intégrés au niveau mondial est centrale. Il  faut revenir à des systèmes cloisonnés, c’est-à-dire dans lesquels les acteurs soient investis dans des projets beaucoup plus locaux.

Nous avons connu dans le passé une forme de cloisonnement : la décision prise dans le cadre du New Deal, qui interdisait aux banques de dépôt de s’occuper des marchés financiers… c’est un cloisonnement, parce que dans ce cas-là, quand il y a une crise financière, elle ne devient pas une crise sur les dépôts…

Il faut cloisonner pour essayer qu’existe une série de projets qui soient hétérogènes pour que l’on sorte de cette crise qui est fondamentalement une crise de la corrélation… Tout le monde agit simultanément de la même manière parce que toutes les grandes institutions ont acheté les mêmes actifs. Elles ont les mêmes réflexes et font exactement la même chose… Il faut essayer de re-segmenter… Ce n’est pas du tout de l’ordre de la réglementation, c’est une transformation…

Morales locales

Pourrait-on réaliser ce re-cloisonnement par des mesures qui seraient décidées même au niveau mondial ?

Je crois, en effet, que c’est tout à fait possible mais cela implique un changement radical d’idéologie, de perspective et de vision du monde… donc, ça ne se fera pas en un jour ! Mais il n’y a aucune raison que cela ne puisse pas se faire… Il est clair par ailleurs que cela aura des coûts. Le fait qu’aujourd’hui le capital soit totalement flexible a naturellement des avantages.

En effet, s’il y a une source d’innovation quelque part, immédiatement le capital peut s’en saisir et la faire croître avec une très grande rapidité… on a vu que cela a eu des effets positifs… et donc si l’on interdit cette flexibilité inhérente au décloisonnement, le phénomène de diffusion sera sensiblement ralenti. Mais en même temps, il me semble que c’est la seule manière d’éviter des crises de plus en plus  massives… Je conçois que ce soit un arbitrage compliqué.

Mais c’est un peu comme l’écologie au fond : Triez nos détritus peut apparaître comme une contrainte mais elle peut être acceptée si l’on explique  que le climat pourrait pâtir du fait qu’on ne le fasse pas.  Donc, là vous voyez bien comment ça peut marche. Encore faut-il en prendre conscience et cela prend du temps. Il n’est pas simple en effet de renoncer à faire de la rentabilité un absolu et d’intégrer que l’essentiel réside dans des morales d’activités.

C’est une idée que l’on trouve déjà chez Durkheim qui se posait exactement le même problème de savoir comment faire pour que les sociétés individualistes fonctionnent… Il voyait bien que l’individualisme pur, un peu à la manière financière d’aujourd’hui, ne fonctionnait pas… Il voyait aussi que l’Etat n’était pas une solution efficace.

Ce qu’il proposait c’était d’instaurer des corps intermédiaires qui établissent des morales locales… Durkheim parlait de morales professionnelles… Je crois qu’il y a là un modèle intéressant pour aujourd’hui afin que les acteurs s’investissent dans des projets locaux qui soient aussi collectifs…

Recueilli par Antoine Mercier
Source Marianne France-Culture 20/03/2010
Biographie: André Orléan est économiste, directeur d’études à l’Ehess