Jean-Claude Carrière « sur le terrain de l’infiniment grand »

Jean-Claude Carrière. Photo Dr

Jean-Claude Carrière. Photo Dr

Jean-Claude Carrière. L’homme de contes et de cinéma converse avec l’astrophysicien et poète Michel Cassé à propos de l’unité de l’homme et de la connaissance dans le cadre des Chapiteaux du livre.

Conteur, écrivain, scénariste, parolier, metteur en scène. Michel Cassé est astrophysicien et poète, spécialisé dans la physique stellaire, la nucléosynthèse, l’étude des rayonnements et la physique quantique. Ils réfléchissent ensemble à ce qui fait l’unité de l’homme et de la connaissance. Ils étaientt tous deux aux Chapiteaux du livre pour une conversation originale où se croise leurs modes de pensée différents ainsi que leur rapport aux êtres et aux choses. Des points de vue de curieux aux opinions parfois opposées, parfois semblables qui se complètent ou se respectent et permettent aux spectateurs de nouveaux questionnements.

Entretien avec Jean-Claude Carrière.

Vous êtes un des rares hommes de lettres à manifester de l’intérêt pour les sciences et, plus inhabituel encore, à entreprendre une réflexion commune avec des scientifiques. Comment cela vous est-il venu ?

Comme un déclic. Au début des années 80, je collaborais régulièrement à l’émission de télévision de Michel Polac Droit de réponse. Il m’invitait à faire partie du public. Je tenais le rôle d’un allié. J’intervenais dans les débats notamment sur des questions philosophiques. A l’occasion d’une émission où le débat portait sur la science et la philosophie, je me suis surpris ce soir là à être plus intéressé par les propos scientifiques que philosophiques. Par la suite j’ai rencontré Hubert Reeves qui m’a présenté ses deux élèves Michel Cassé et Jean Audouze avec qui j’ai co-signé plus tard le livre Conversations sur l’invisible. J’avais cinquante ans à l’époque, je me suis rendu compte que j’étais peut-être en train de passer à côté de la révolution de l’esprit du XXe siècle, c’était formidablement important, j’étais en train de mourir idiot !

Que se passe-t-il quand un écrivain amateur de science rencontre deux astrophysiciens amateurs de littérature ?

Mon rapport à la science était nul. Je ne connaissais pas la différence entre un neutron et un proton. Ils m’ont reçu tous les jeudis à l’Institut d’Astrophysique pendant deux ans pour faire mon éducation scientifique. Ils me parlaient de leurs recherches et moi du Mahâbhârata. Nos échanges dressaient des ponts entre les rêves anciens des hommes et les réalisations de la science. On a recommencé à se revoir autour d’un projet relatif au rapport de l’esprit et de la réalité.

Les programmes académiques de l’Education nationale n’entravent-ils pas cette relation féconde entre science et lettres en cloisonnant les domaines de connaissances dès le lycée ?

J’ai été moi-même victime de cette ségrégation en sortant de Normale Sup sans avoir quasiment entendu un mot sur les sciences. De nos jours dans le secondaire, même si on choisit science, les manuels scolaires relaient presque Einstein à une note de bas de page. Entre le moment de la découverte, c’est-à-dire celui où les travaux sont publiés et trouvent un consensus, il se passe cinquante ans avant qu’il figure dans les programmes. Il faut que cela vienne du ministère. Le cheminement du savoir est désespérément lent. Les crédits de la recherches ne cessent de baisser. Le CNRS qui recrutait 500 chercheurs n’en recrute plus que 200. Notre nouvelle ministre de la Recherche, qui n’a pas fait cette formation, ne connaît rien en science. On est incroyablement en retard. On est en train de se laisser supplanter par la Chine et l’Inde qui investissent dans la recherche à grande échelle.

Votre conversation avec Michel Cassé se propose de renouer le dialogue, interrompu depuis un peu plus d’un siècle, entre la science et l’art. A quoi doit-on cette séparation ?

Elle a eu lieu à la fin du XIXe siècle, un moment où la science affirme quelle tient les rênes de l’univers. Au XXe, on assiste à un basculement du système ancien newtonien, l’objectivité des sciences s’en retrouve invalidé. La physique quantique et son principe d’indétermination remet en question le déterminisme. Il est très difficile de faire admettre à nos esprits l’inadmissible comme le fait qu’il y a plusieurs univers. L’expérience des fentes de Young montrent qu’une particule insécable passe en même temps par deux trous. La matière présente un comportement ondulatoire.

Cette résistance de l’esprit est aussi partagée par les scientifiques si l’on en croit Feynman qui disait : « je crois pouvoir affirmer que personne ne comprend vraiment la physique quantique »…

Faut-il mettre de l’ordre dans les choses ? Est-ce que les mathématiques existent dans l’univers et nous les découvrons ou est-ce que nous les inventons en percevant le monde avec nos sens et notre interprétation ? Il y a des centaines de milliards de galaxies. Nous sommes sur le terrain de l’infiniment grand qui sommes-nous pour être au centre ? Dans la réflexion de Feynman, je retiens le mot comprendre, parce qu’on sait que certaines choses se passent mais on ne sait pas pourquoi. La première question n’est pas de comprendre mais d’admettre. On trouve dans le milieu scientifique comme partout, des gens qui sont dans la routine. « Moi je fabrique des allumettes », m’a dit un jour un grand chimiste.

Dans le domaine des arts, je constate par exemple que les peintres contemporains sont plus aptes à saisir cette incompréhension du réel que les esprits littéraires qui sont moins ouverts. Face à ces grandes questions, la connaissance se heurte à la croyance. L’obscurantisme est un échec de la science. On a travaillé sur la vitesse de la lumière mais qu’elle est la vitesse de l’obscurité ?

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Je finis un livre sur la notion de croyance. En novembre, j’irai recevoir l’Oscar d’honneur que m’a attribué l’Académie américaine des arts et sciences du cinéma. Je leur ai dit que c’était un bon encouragement pour les trente années à venir.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 28/09/14

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Comment détourner le logiciel qui décide du bac pro que tu passeras

La pub c'est magique. Celle-là ressemble à campagne pour l'armée de terre. C'est la même agence ?

La pub c’est magique. Celle là ressemble à campagne pour l’armée de terre. C’est la même agence ?

Très tentant, pour un chef d’établissement, de gonfler un peu – voire beaucoup – les notes des élèves qui se destinent au lycée professionnel, au moment d’entrer les moyennes dans le logiciel prévu à cet effet.

Le tout-puissant Affelnet, aussi surprenant que cela puisse paraître, est en effet le seul à décider de l’avenir professionnel de ces élèves. Une fois que leurs quatre choix de spécialités sont faits, c’est lui qui affecte automatiquement les aspirants au lycée professionnel dans telle ou telle filière, en fonction des notes, avec une pondération des coefficients selon la matière qui semble la plus importante. Seules quelques filières, assez rares, demandent un entretien préalable à l’issue duquel un avis est émis. C’est notamment le cas de l’hôtellerie/restauration.

Dans la très grande majorité des cas, le logiciel mouline les notes de tous les élèves du bassin [de Gennevilliers, ndlr], afin de départager les uns et les autres.

Pour les secteurs les plus prisés (bac pro Maintenance des véhicules automobiles, et bac pro Accompagnement, soins et services à la personne pour n’en citer que deux), très nombreux sont les recalés à leur premier vœu. Automatiquement, Affelnet va donc rediriger les dossiers de ces élèves sur leur deuxième, puis leur troisième, voire leur quatrième choix, en fonction des places disponibles, et de la moyenne.

Au préalable, il a été conseillé à ces élèves de faire un quatrième choix très modeste, qui ne correspond absolument pas à leur désir professionnel, puisqu’Affelnet peut très bien ne pas affecter l’élève du tout, si ses notes sont trop mauvaises. C’est donc la machine qui détermine quels seront les heureux entrants dans les meilleures filières, sans tenir compte des appréciations.

Dès lors, la petite cuisine interne à chaque établissement peut se mettre en route, et le chef d’établissement, ou son adjoint, seul face au logiciel, est libre de décider d’augmenter telle ou telle moyenne d’élève, qu’il juge « méritant » ou « gentil ». Augmenter les notes de ses poulains, c’est bien compréhensible, cela pourrait même sembler louable, à ceci près que favoriser ses élèves, c’est défavoriser tous les autres élèves du bassin [de Gennevilliers, ndlr]. Pour le chef, c’est tout bénef’ :

  • c’est bon pour la réputation de l’établissement – souvent des collèges où l’on envoie plus de 50% des effectifs en lycée professionnel, autant que les filières soient reconnues, donc ;
  • c’est bon pour l’ambiance générale : les élèves sont satisfaits et ont le sentiment d’avoir été bien pris en main.

Dans quelques établissements du bassin de Gennevilliers, la pratique est courante, on encourage même, parfois, les enseignants à pratiquer la « double notation » : si un élève est décidé à aller en lycée professionnel, on augmente systématiquement sa note de plusieurs points. Au moment de rentrer toutes les notes, seuls les élèves des établissements où se pratique la bonne cuisine – celle où les notes obtenues au cours de l’année n’ont plus de valeur – ont donc une chance élevée d’obtenir leur premier vœu. Injuste, mais que ne ferait-on pas pour préserver la paix sociale ?

On sait bien que le contrôle continu, peu coûteux, tend à s’étendre de plus en plus, sous le fallacieux prétexte que les examens seraient « trop stressants ». Mais le contrôle continu ouvre la porte à bien des dérives. Et pour cause, pas facile de rendre un 3/20 à un gaillard de troisième qui se destine au lycée professionnel, dans une matière importante pour son vœu. D’une façon ou d’une autre, le contrôle continu n’est pas une solution : on ne peut pas être juge et partie.

Des solutions existent pourtant : pourquoi ne pas étendre les entretiens à toutes les filières professionnelles ? Pourquoi pas, même, pratiquer un examen, qui porterait sur les matières générales vues au collège, en rapport avec la spécialité demandée ? Si le lycée professionnel a si mauvaise presse, c’est peut-être aussi parce que le recrutement se fait n’importe comment. On peut toujours rêver d’un lycée professionnel d’élite, avec des élèves motivés, qui auraient vraiment gagné leur place, parce qu’ils la voulaient, profondément.

Témoignage d’une professeure de lettres, enseignant dans les Hauts-de-Seine. Elle a tenu à préserver son anonymat, mais vous pouvez la suivre sur Twitter : @Prof_de _cefran.  L’orientation des élèves de troisième se décide actuellement. Un quart des 650 000 élèves qui passaient leur bac en 2012 sont en filière pro.

Source Rue 89 12/06/13

Voir aussi : Rubrique Education, Politique de l’éducation,

Comment achever l’Education nationale

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Eh oui, au-delà du discours rassurant de nos ministres et de leurs subordonnés, il y a la réalité. Une réalité que nos enfants payent tous les jours. Il semble que le temps est venu de ne plus faire l’autruche en se disant c’est trop compliqué, ou encore c’est politique. Il n’y a rien de plus politique que l’Education Nationale.C’est par là que se construit l’avenir. Ouvrons les yeux !

Le Vent se lève

Les fiches remises aux inspecteurs académiques pour dégraisser le mammouth

Primaire : augmenter la taille des classes

Primaire : Réduire les remplacements

Primaire : Scolarisation à 2 ans

Primaire : Rased

Primaire : Intervenants extérieurs en langue vivante et assistants étrangers

Secondaire : plus d’élèves par classe au collège

Secondaire : Fermer les petits établissements

Secondaire : Supprimer les décharges

Secondaire : Optimiser les remplacements

Secondaire : « Rationaliser » l’offre scolaire

Secondaire : L.P. : revoir l’offre de formation

Secondaire : Revoir les IDD

Général : emplois administratifs

Voir aussi : rubrique éducation rapport de la cours des comptes,

Rapport sévère de la Cour des comptes sur l’éducation nationale

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« L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves » : c’est le titre du rapport public de la Cour des comptes, résultat d’une enquête menée dans les établissements scolaires de six académies, ainsi que dans trois pays étrangers. Le rapport conclut au constat d’une forte inégalité des chances entre les élèves et à l’incapacité de l’éducation nationale à atteindre les objectifs que lui assigne la loi.

La France est un des pays où les destins scolaires sont le plus fortement corrélés aux origines sociales : 78,4 % des élèves provenant de catégories sociales favorisées obtiennent un baccalauréat général, contre seulement 18 % des élèves d’origine sociale défavorisée. L’enseignement scolaire public coûte 53 milliards d’euros par an pour 10 millions d’élèves. Avec environ 3,9 % du PIB, l’efficience du système scolaire français se situe dans la moyenne de l’OCDE. Mais les moyens restent majoritairement répartis comme si l’offre scolaire devait être uniforme sur tout le territoire.

Le système scolaire français est resté fondamentalement inchangé depuis des décennies, alors même que ses objectifs ont évolué : ainsi, la définition de l’activité des enseignants a été fixée en 1950, quand le taux de bacheliers était de 5 %, et le système reste très majoritairement géré par le haut, alors que la difficulté scolaire ne peut être connue et traitée qu’à la base.

Recommandations de la Cour : le système scolaire doit passer d’une logique de gestion par une offre scolaire uniforme – qui est inefficace, qui l’épuise financièrement et qui est contraire à l’égalité des chances -, à une logique de gestion par la demande scolaire, c’est-à-dire fondée de façon prioritaire sur la prise en compte des besoins très différents des élèves.

Télécharger le rapport

Voir aussi : rubrique éducation comment achever l’éducation Nationale,