La Slovénie fait de l’eau potable un bien qui ne peut «être privatisable»

 La Slovénie, pays alpin, est riche de ses eaux pures. Le lac de Bled, avec son île, est un des plus beaux du pays. © Lars Halbauer / DPA


La Slovénie, pays alpin, est riche de ses eaux pures. Le lac de Bled, avec son île, est un des plus beaux du pays. © Lars Halbauer / DPA

Le parlement slovène a inscrit le 17 novembre 2016 le droit à l’eau potable dans sa Constitution, insistant sur le fait que cette ressource ne peut être privatisée. L’amendement constitutionnel stipule que «chacun a le droit à l’eau potable» et que celle-ci n’est «pas une marchandise».

Le texte adopté à l’unanimité précise clairement que «l’approvisionnement en eau de la population est assuré par l’Etat via les collectivités locales, directement et de façon non-lucrative».

Lancée par le milieu associatif, l’initiative avait été endossée, notamment, par le gouvernement de centre-gauche du Premier ministre Miro Cerar. Avant le vote, ce dernier avait appelé les députés à offrir à «l’or liquide du 21e siècle le plus haut niveau de protection légale», l’eau étant appelée, selon lui, à devenir un bien «de plus en plus convoité à l’avenir».

La Slovénie est un pays alpin qui dispose d’importantes ressources en eau. Une eau qui a de plus en plus de «valeur» aux yeux de nombreuses industries. «L’eau est un sujet controversé en Slovénie, car les entreprises étrangères de l’industrie alimentaire achètent des droits d’une grande quantité de ressources locales en eau», a rappelé après ce vote l’European Water Movement.  

En 2014, l’Union européenne a accepté d’exclure «l’approvisionnement en eau et la gestion des ressources hydriques» des règles régissant le marché intérieur européen. Une Initiative citoyenne européenne avait mis la pression sur l’UE pour que l’eau bénéficie d’une approche particulière. L’ONU a aussi voté une résolution qui garantit le droit à l’eau potable.

A propos de ce pays alpin, où l’eau est abondante, Amnesty International rappelle que tout le monde n’a pas accès à l’eau et espère que les Roms pourront ainsi bénéficier d’une eau potable. «Il est choquant que dans un pays très développé comme la Slovénie, certaines communautés roms doivent lutter pour ramasser même de petites quantités d’eau pour boire, cuisiner et se baigner», a déclaré Fotis Filippou, un responsable d’Amnesty Europe.

Reste à savoir concrètement ce que signifie ce texte dans la gestion de l’eau. L’interdiction de la privatisation de l’eau potable ne signifie pas forcement que la gestion de celle-ci ne peut être privatisée, comme elle l’est en France, avec des délégations de service public.

Pierre Magnan

Source Géopolis 18/11/2016

La France encore condamnée sur l’eau, un secteur sous la coupe d’un lobby

Dessin "Réveil citoyen" Titom

La France a été de nouveau condamnée par la justice européenne à cause de son incapacité à améliorer la qualité de ses eaux. C’est la cinquième condamnation ! Une situation dont est responsable le “lobby de l’eau” que dénonce dans son nouveau livre le spécialiste Marc Laimé.


La France a de nouveau été condamnée ce jeudi 4 septembre par la justice européenne pour manquement à ses obligations de lutte contre la pollution aux nitrates. « Cette décision est regrettable mais justifiée. C’est la cinquième fois que la France est condamnée par l’Europe pour non respect de réglementation, après des condamnations en 2001, 2004, 2008 et 2013. Elle a également été condamnée par les juridictions administratives françaises comme en 2009 par la Cour administrative d’appel de Nantes », rappelle Marc Laimé, spécialiste de l’eau. Il vient de publier Le lobby de l’eau.

Cette condamnation est d’autant plus consternante que Paris risque de surcroit une amende forfaitaire d’une trentaine de millions d’euros plus des astreintes journalières jusqu’à ce que les objectifs soient atteints. La justice européenne menace en effet de prononcer un deuxième arrêt dans les prochains mois si la France ne redresse pas la situation. “Et ce seront au final les usagers de l’eau qui régleront l’addition”, déplore Marc Laimé.

Cette fois-ci, la Cour a retenu six motifs de condamnation, concernant les effluents d’élevages mais aussi les épandages d’engrais minéraux. Un motif concerne les notions fondamentales de respect de l’équilibre de la fertilisation, et de calcul des quantités réellement apportées aux parcelles.

En effet, explique M. Laimé, la réglementation française mise en cause aujourd’hui ne veille pas à ce que les agriculteurs et les autorités de contrôle soient en mesure de calculer correctement la quantité d’azote pouvant être épandue afin de garantir l’équilibre de la fertilisation.

« Il n’y aura pas de réponse réglementaire solide sans une réponse agronomique et politique forte pour faire émerger un nouveau modèle agricole durable et non polluant. Or le résultat de l’action du lobby de l’eau est que la politique de l’eau se décide en France au ministère de l’Agriculture et non pas à celui de l’Ecologie », se désole-t-il.

Un marché de vingt-trois milliards d’euros annuels

Le dernier livre de Marc Laimé s’attaque au lobby qui a fait main basse sur la gestion de l’eau en France, un marché qui génère vingt-trois milliards d’euros chaque année. « On peut mettre un nom et une photo sur chacun des membres de ce lobby. Ce ne sont pas des individus en costard-cravate qui passent leur temps dans les grands restaurants avec des députés ou des sénateurs mais des professionnels qui siègent dans toutes les instances officielles de la gestion de l’eau », explique à Reporterre l’ancien journaliste (Marc Laimé. Il a travaillé pour Le Canard Enchaîné ou L’Usine nouvelle), et est désormais consultant en eau et assainissement pour les collectivités locales. A ce titre, il est en prise quotidiennement avec le lobby de l’eau français dont il est devenu l’une des bêtes noires.

Un lobby omniprésent

arton14-d6872-7ea13Qui sont les membres de ce lobby ? Une petite centaine de personnes, hommes politiques, hauts-fonctionnaires, associatifs, représentants de l’agriculture, de l’industrie et de l’énergie et des grands organismes de recherche spécialisés, installés à l’intérieur du système et omniprésents.

D’abord les élus, car il en faut pour prendre la direction des Comités de bassins et de diverses commissions. Marc Laimé les appelle dans son livre des « demi-solde » de la politique car ce sont quasiment tous des inconnus au niveau national (le seul d’entre eux à avoir une certaine notoriété est André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux).

« Le lobby compte une vingtaine d’élus de tous bords qui ont été co-optés à un moment de leur carrière et ont érigé le conflit d’intérêt en mode de gouvernance », dénonce-t-il. Ces « barons » de l’eau multiplient les casquettes. C’est ainsi qu’ils peuvent faire voter des budgets d’institutions publiques qu’ils dirigent en faveur d’entités privées dans lesquelles ils siègent.

Ces élus ont fait alliance avec les représentants de deux grands corps de l’Etat issus de l’ENGREF (Ecole nationale du génie rural et des eaux et forêts) et des Ponts-et-Chaussées. Ces hauts-fonctionnaires « trustent » tous les postes de décision dans les six ou sept ministères concernés (à commencer par celui de l’Agriculture où se décide la politique de l’eau en France) puis dans les services concernés de l’Etat (les DREAL, DRIRE et autres DDTM ou MISEN).

On retrouve ensuite ce que Marc Laimé appelle les « porteurs d’intérêt » des secteurs de l’agriculture, de l’industrie et leurs fédérations professionnelles, dont évidemment la FNSEA et Veolia, Suez et Saur. Puis viennent les représentants des grands organismes de recherche comme l’OIE (Office international de l’eau) ou le BRGM (Bureau de recherche géologiques et minières) qui prennent de plus en plus d’importance car, selon le livre, on assiste à un détournement progressif de la recherche publique pour des intérêts privés.

Marc Laimé explique au fil des quatre-cents pages l’alliance qui s’est nouée et renforcée entre tous les acteurs du lobby depuis que la France, au début des années soixante, a organisé la gestion de ses eaux par bassins versants, via six Agences de l’eau. « Ce modèle de gestion a fait école dans le monde entier, mais ses dérives constituent aujourd’hui le frein majeur aux réformes indispensables à ce système à bout de souffle », constate-t-il.

L’absence de tout contrôle démocratique

Son ouvrage n’est pas un livre de plus sur les ententes sur le marché de la distribution et la position dominante de Veolia ou de Suez. Il analyse les causes structurelles qui ont conduit à l’impasse qu’il décrit. « L’action de ce lobby a fait que la gestion de l’eau a graduellement échappé à tout contrôle démocratique. C’est d’ailleurs la seule politique publique financée par l’impôt qui ne fasse l’objet d’aucun contrôle ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat. Le résultat est sidérant : on ne connaît ce que coûte la gestion de l’eau dans notre pays qu’à deux milliards d’euros près ! »

Pour appuyer sa démonstration et achever de convaincre de l’impuissance des politiques face à la machine bureaucratique contrôlé par le lobby, Marc Laimé relate en détail comment la ministre de l’Ecologie Delphine Batho (vite limogée et remplacé par Philippe Martin qui a abandonné toute velléité de réforme) s’est vu empêchée d’engager tout changement.

« Le lobby a fait systématiquement obstacle à toute mesure pouvant s’apparenter à une remise en cause non seulement de la politique de l’eau mais surtout des politiques agricoles qui sont un désastre pour la qualité de l’eau ».

Son récit est d’autant plus passionnant et bien étayé qu’il a participé avant et pendant la campagne électorale de François Hollande à un « think tank » interne au PS sur les problèmes que connaît la gestion de l’eau en France et les réformes à conduire.

En fait l’histoire ne fait que bégayer. Le lobby de l’eau avait agi de la même façon pour procéder à l’enterrement de la loi Voynet en 2002. Le retour de la gauche au pouvoir en 2012 aurait pu laisser croire à des réformes, aussi urgentes qu’indispensables. « Il n’en a rien été, et c’est même pire », se désole Marc Laimé.

Philippe Desfilhes

 Le lobby de l’eau, Marc Laimé, François Bourin Editions, 408 pages, 26 €.


Source : Reporterre 05/09/14

Voir aussi : Rubrique Ecologie, Face au lobby nucléaire Ségolène capitule en rase campagne, rubrique Livre, essais,

Nestlé et le business de l’eau en bouteille

"Pure Life", la nouvelle marque d'eau de Nestlé a une croissance à deux chiffres. (Crédits : DR)

« Pure Life », la nouvelle marque d’eau de Nestlé a une croissance à deux chiffres. (Crédits : DR)

Une enquête édifiante sur trois continents qui montre comment la multinationale fait main basse sur les ressources en eau pour les vendre au prix fort.

Comment transformer de l’eau en or ? Une entreprise détient la recette: Nestlé, multinationale basée en Suisse, leader mondial de l’agroalimentaire, grâce notamment au commerce de l’eau en bouteille, dont elle possède plus de 70 marques partout dans le monde. Une enquête édifiante.

Pour le président du Conseil d’administration de Nestlé, Peter Brabeck, l’eau, fer de lance d’une stratégie planétaire, peut « garantir encore cent quarante ans de vie » à l’entreprise. Malgré le refus de collaborer opposé par la direction, Res Gehriger et Urs Schnell dévoilent les coulisses de ce marché qui brasse des milliards.

Des États-Unis au Nigeria en passant par le Pakistan, ils explorent les circuits de l’eau en bouteille, mettant en lumière les méthodes parfois expéditives du plus puissant groupe agroalimentaire de la planète. Ils montrent qu’elles reposent sur une question cruciale, objet dans nombre de pays d’un vide juridique dont les avocats et lobbyistes de la firme savent tirer profit : à qui appartient l’eau ?

Bien public, gains privés

À Fryeburg, dans le Maine, un tribunal a autorisé Nestlé à ouvrir une deuxième station de pompage, alors que les habitants s’étaient mobilisés pour tenter d’empêcher ce qu’ils considèrent comme un pillage de leurs ressources collectives.

Dans la première, installée sur un terrain privé, la multinationale paye dix dollars au propriétaire pour 30.000 litres d’eau… Mais si, aux États-Unis, le groupe s’efforce de se concilier les populations en se montrant « bon voisin » (quitte à leur offrir en bouteilles l’eau qui coule de leurs robinets !), il ne prend pas les mêmes gants avec les villageois démunis du Pakistan. Ceux qui, dans la région de Lahore, ont demandé par pétition à pouvoir bénéficier de l’eau pompée sur leur nappe phréatique par l’usine Pure Life, filiale de Nestlé, n’ont pas eu de réponse.

Dans le sillage de Res Gehriger

Cette enquête minutieuse aux images soignées donne la parole à de très nombreux protagonistes sur trois continents, usagers ou militants, adversaires et partisans de Nestlé. Peter Brabeck lui-même y défend avec vigueur son point de vue (éloquent, comme quand il qualifie d' »extrémiste » l’idée que l’eau doit rester un bien public), par le biais de ses nombreuses interventions publiques.

Source La Tribune.fr : 07/08/14

https://www.youtube.com/watch?v=7i-osHNtB0Y

Voir aussi :  Rubrique Actualité Internationale, rubrique Affaires, rubrique Ecologie… rubrique Société, Consommation,

Source : La Tribune 7/08/2014