Entretien avec Laurent Mauduit autour de son livre « Main basse sur l’Information »

 Laurent Mauduit a été chef du service économique de Libération puis directeur adjoint de la rédaction du Monde. Cofondateur de Mediapart,

Laurent Mauduit a été chef du service économique de Libération puis directeur adjoint de la rédaction du Monde. Cofondateur de Mediapart,

Entretien
Laurent Mauduit  est un écrivain et journaliste d’investigation spécialisé dans les affaires économiques, et la politique économique et sociale. Il travaille pour le journal en ligne Mediapart dont il est l’un des cofondateurs. Il évoque son dernier livre Main basse sur l’information (éditions DonQuichotte).

Ce livre, est le premier que vous consacrez à la presse, est-ce lié à un fait déclencheur particulier, ou vouliez-vous aborder plus généralement le lien entre le sort de la presse et celui de la démocratie ?
J’ai écrit périodiquement sur différents acteurs de la presse, comme Bolloré , Niel ou Drahi  pour Mediapart.  Comme beaucoup de journalistes qui ont traversé le milieu de la presse parisienne, j’avais aussi beaucoup de choses en mémoire. Nous assistons à une normalisation économique et éditoriale sans précédent liée à la mainmise des puissances d’argent sur la presse. On constate depuis quatre cinq ans une accélération conséquente du naufrage. J’ai gardé la conviction d’un journaliste, selon laquelle l’histoire fondatrice de la presse est intimement liée à l’histoire de la démocratie. Il y a eu, à la Libération, une refonte de la démocratie et de la presse initiée par le CNR.  Les dirigeants du Conseil national de la Résistance souhaitaient une presse indépendante pour barrer la reprise en main des collabos et pour en finir avec la presse affairiste de l’entre-deux-guerres notamment du patronat, c’est à dire du Comité des forges.

Aujourd’hui ces mêmes « puissances d’argent » ont repris la main. A la veille des élections présidentielle et législatives, j’ai pensé qu’il était important d’alerter les citoyens. Ce livre a une fonction d’alerte. On a tous intérêt à défendre une presse libre et démocratique.

A quoi tient cette accélération ?
Si l’on se réfère à l’époque de la fondation du Monde par Hubert Beuve-Méry, ce que l’on a vécu dans les deux dernières décennies, est une succession d’abandons et une régression démocratique. Depuis cinq ans  nous sommes témoins d’un véritable séisme correspondant à l’abandon définitif des principes du CNR.

Aux commandes de l’empire Vivendi, Vincent Bolloré vient de mettre au pas Canal + sans le moindre souci de l’indépendance éditoriale des équipes. Après avoir spéculé sur les fréquences publiques de la TNT, il instaure le népotisme comme mode de gouvernance avec des conséquences sociales accablantes. Canal + qui joue un rôle majeur dans le financement du cinéma intègre le géant de la communication Vivendi et du divertissement avec Havas, auquel s’ajoutent l’institut de sondage CSA et le site Daylymotion.

La boulimie de Drahi, symbole des excès de la finance folle, est tout aussi préoccupante. Le financier possède Libé,  le groupe l’Express et 49% de NextRadioTV (BFM-TvV, BFM-Business, RMC) et il applique la même violence sociale que chez SFR. Cela ne s’arrête pas à ces deux exemples, toute la presse ou presque connaît le même sort.

Vous avez vous-même goûté à cette violence sociale au Monde ?
Le Monde a été mon journal pendant treize ans. Ce quotidien était la propriété des journalistes. Il a vécu une normalisation économique avec l’entrée du groupe Lagardère en 2005 puis une normalisation éditoriale, avec la remise en cause de la place de l’investigation et la promotion de la pensée unique néolibérale.

A l’époque, Alain Minc, le président du conseil de surveillance, poussait à la roue pour que Lagardère entre au capital. Je suis un des seuls à avoir voté contre. Je me trouvais en position minoritaire  ce qui fait partie du jeu que j’acceptais. J’ai néanmoins poursuivi mon travail de journaliste d’investigation. Mon départ fin  2006,  fait suite à la censure dont j’ai fait l’objet.

En 2010, l’arrivée du trio Bergé, Niel, Pigasse qui s’octroient 60% du capital du Monde marque la fin de l’indépendance de la rédaction. Dans la bataille pour la prise de contrôle, vous relatez le rôle trouble d’un certain Macron ?
En effet le trio ne parvient à ses fins qu’au terme d’une violente confrontation avec le groupe de  Claude Perdiel qui avait les faveurs d’Alain Minc et de son mentor Nicolas Sarkozy. Macron, à l’époque associé gérant de la banque Rothschild, est venu voir la bouche en coeur la société des rédacteurs en proposant ses services pour les conseillers en tant que citoyen bénévole. J’apporte la preuve dans mon livre qu’il travaillait pour le camp adverse.

Concernant la politique menée en direction de la presse faites-vous une distinction entre les années Sarkozy et Hollande ?
Je vois une petite différence, à mon sens assez minime. Sarko entre dans la famille du bonapartisme. Il  incarne le monarque républicain auprès duquel vont se presser les obligés du Palais que symbolise  le dîner au Fouquet’s.

Cela est moins vrai sous Hollande mais ce qui se passe n’est pas moins grave. Non seulement les règles anti-concentration n’ont pas été renforcées mais la loi n’a pas été respectée notamment quand Drahi a absorbé BFMTV et RMC en dépit de la loi relative à la liberté de communication. De même, peut on s’étonner de la nomination de Guillaume Zeller,  petit-fils d’un général félon de la guerre d’Algérie adoubé par  l’extrême droite catholique, à la direction de l’information du groupe Canal + qui bénéficie d’une fréquence attribuée par le CSA. Hollande n’a rien fait pour empêcher le séisme. Il n’a pas engagé les grandes réformes nécessaires.

A l’AFP comme à Radio France ou à France Télévisions le service public semble attaqué de toutes parts…
On aurait pu espérer que la presse publique conserve une certaine déontologie mais le présidentialisme qui convoque les journalistes au palais entraîne la presse publique dans une spirale de dépendance. Par ailleurs, le règne des doctrinaires libéraux sévit partout dans l’espace public. L’économie est une science sociale dont la richesse dépend de la pluralité des échanges. Il est dommageable pour la démocratie que le service public ne s’ouvre pas à ce type de débat.

La question de la concentration des médias se pose aussi en région avec des implications en termes politique, économique et démocratique…
On assiste en région à un phénomène de concentration inquiétant. A l’Est, le Crédit Mutuel dispose d’un monopole sur un quart du territoire. C’est un rouleau compresseur qui a absorbé des journaux concurrents en supprimant  des centaines d’emplois. Après avoir été condamné à rembourser 404 M d’euros Tapie est toujours à la tête de La Provence. La Dépêche et Midi Libre sont entre les mains d’un ministre en exercice. Ce qui est tout à fait choquant. La richesse de la presse, c’est la richesse de son pluralisme.

Quelles pistes préconisez-vous pour sortir de ce marasme quasi général ?
Quand à la fin du XIXe apparaît l’électricité, la France connaît une révolution technologique et industrielle qui se traduit par l’irruption de l’imprimerie et des rotatives. Cela donne lieu à la loi sur la presse de 1881. Ce que nous connaissons avec la révolution numérique relève de la même logique. Internet bouleverse beaucoup de choses. Pour les citoyens c’est un outil de transparence publique.

Il est temps de refonder totalement cette loi sur la presse afin de garantir le droit de savoir des citoyens à l’heure du numérique. La politique publique taillée pour favoriser les puissances de l’argent sape le pluralisme de la presse et menace le droit d’être informé librement des citoyens. La puissance publique pourrait envisager de créer des sociétés citoyennes de presse en inventant un statut qui les préserve de tout type de rachat.

 Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 08/10/2016

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