Grand écran sur l’Algérie contemporaine

La Chine est encore loin de Malek Bensmaïl, un des films projetés

7e art.  Regards sur le cinéma algérien s’ouvre à Montpellier. La manifestation offre un panorama sur les films du XXIe siècle dans toute la région jusqu’au 12 avril.

Ce n’est pas un festival mais un panorama sur ce qui se fait aujourd’hui en matière de 7ème art en Algérie. A l’initiative du collectif * Regards sur le cinéma algérien, la manifestation du même nom ne cherche pas à faire recette comme elle le pourrait en se concentrant sur un festival. « Nous voulons faire connaître la culture algérienne et favoriser le dialogue entre les cultures », confirme le vice-président Jacques Choukroun.

En 2010 Regards sur le cinéma a rassemblé 2 700 spectateurs, chiffres liés à la billetterie des salles de cinéma associées à la manifestation. Ce partenariat figure aussi comme une des particularités de cette initiative qui travaille avec les exploitants de salles. « C’est un vrai casse-tête au niveau de la logistique, mais nous laissons aux salles la liberté de choisir les films qui seront projetés », témoigne Pauline Richard en charge de la programmation.

La grande majorité des films proposés cette année sont nés au XXIe. Parmi les longs métrages, on pourra découvrir en avant-première La place, de Dahmane Ouzid qui viendra présenter la première comédie musicale algérienne, ou encore Guerre sans images, un film poignant et une réflexion sur les usages de l’image. Le documentaire de Mohammed Soudanni (invité de la manifestation) retrace le retour en Algérie trente ans plus tard, d’un photographe suisse ayant couvert la période de la terreur, qui va à la rencontre des victimes.

La série de courts métrages s’ouvre largement à la jeune création qui décline les problèmes de la jeunesse, notamment celui de vivre sa vie sexuelle. L’édition 2011 rend aussi hommage au cinéma berbère avec trois réalisateurs invités : Belkacem Hadjads (Machaho), Djamel Bendeddouche (Areski l’indigène) et Ali Mouzaoui (Mouloud Ferraoun).

Une cinématographie qui reste à découvrir y compris en Algérie. Avec les années noires, le pays a perdu son réseau de cinémas et en dix ans, le gouvernement n’a pas réussi à ouvrir une seule salle. S’ajoute le problème de la production. Il sort en Algérie 2 à 3 films par an, contre 200 en France. Les vingt films visibles sur les écrans de la région jusqu’au 12 avril permettent de parcourir l’essentiel de la production cinématographique algérienne actuelle. Une chance !

*Le collectif se compose notamment de Identités et Partage, France Algérie Méditerranée, MRAP, Pêcheurs d’images, la Fédération des cinés clubs, l’Institut Jean-Vigo, les Films des deux rives, ainsi que l’Association des réalisateurs professionnels algériens. Rens : 09 54 82 57 60.

Le cinéma vecteur d’expression : Ce que disent les films algériens de la société et de la vie est-il politique ?

La révolution tunisienne pose l’inévitable question de la situation politique algérienne. On sait que le pouvoir algérien a réagi très vite. Dès les premières manifestations de rue liées à l’augmentation des prix des aliments de bases, il a suspendu la hausse pour faire baisser la tension. Il en a les moyens. En matière de liberté d’expression le pouvoir adopte peu ou prou la même stratégie. La relative liberté laissée aux réalisateurs consiste à soulever la soupape.

Avec ses problèmes de diffusion, l’expression cinématographique algérienne se retrouve dans une situation où les films qui sont produits peinent à trouver leur public. C’est actuellement le cas avec le film de Dahmane Ouzid, La place. A première vue, cette comédie musicale est un film joyeux divertissant avec de jolies filles… qui met en scène une bande de jeunes artistes qui galèrent et souhaitent partir en tournée à l’étranger. La sortie du film était prévue cette semaine en Algérie. Elle aurait permis de rire comme les Algériens savent le faire d’eux-mêmes quand ils inventent les hittistes* un synonyme du mot chômeurs. Mais au regard de l’actualité, la sortie a été reportée. Tout se passe comme si les événements du pays voisin avaient modifié l’angle de lecture du film devenu soudainement subversif avec ses propos sur le désœuvrement, et la volonté manifestée de s’exiler à l’étranger. Il est intéressant de noter que la sortie de La Place n’est pas non plus à l’ordre du jour en France.

Les problèmes sociaux comme celui de l’éducation sont abordés de biais comme dans La Chine est encore loin, de Malek Bensmaïl. Le film raconte une enfance dans un village des Aurès et cherche « à comprendre les enjeux du nationalisme et de l’intégrisme à travers le prisme de la transmission des savoirs.

Quand on sait que les autorités ont absolument tenu à bloquer les bus de manifestants en provenance de Kabylie pour que leurs occupants ne rejoignent pas les autres manifestants, on comprend que le film Machalo, tourné totalement en berbère de Belkacem Hadjadj, se pose d’emblée comme une revendication culturelle. De même, il faudrait être aveugle pour ne pas voir dans les courts métrages réalisés par la nouvelle génération, que la société algérienne manque de respiration.

« Les jeunes réalisateurs n’usent plus du discours universaliste de leurs aînés. Et globalement, les scénaristes algériens ont abandonné l’idée qu’ils pourraient être des profs d’idéologie. Mais on n’imagine pas là-bas que la sortie d’un film ne fasse pas débat  » souligne Jacques Choukroun.

Ce qui laisse un avant goût des messages transmis par les cinéastes. Les films que propose Regards sur le cinéma Algérien sont à cet égard passionnants. On peut en découvrir la portée éminemment politique, en demi teinte.

Jean-Marie Dinh

*Hittistes : celui qui tient le mur, expression qui fait référence aux jeunes qui tuent le temps adossés au mur.

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