L’égalité n’a pas à être « performante »

84552-parite-dans-les-ca-publicis-et-bnp-paribas-montrent-lexemple-600x315-1Par Réjane Sénac *

Plus de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises, c’est une valeur ajoutée » ; « La diversité, c’est bon pour le business » ; « Plus d’immigrés, ça améliore la croissance ». Ces arguments sont de plus en plus fréquents, à gauche comme à droite. Peut-on encore, en France, défendre l’égalité sans conditions, comme un principe fondamental, sans avoir besoin de prouver son « utilité » ? Que se passera-t-il si le coût de l’égalité est prouvé ? Cela justifierait-il les discriminations sexistes, racistes et/ou la fermeture des frontières ?

De nombreux rapports légitiment les politiques d’égalité comme un investissement coûtant moins qu’il ne rapporte

La survie de l’Etat-providence et des politiques d’égalité semble reposer sur la démonstration que l’égalité est « meilleure pour tous », pour reprendre le titre de l’ouvrage des Britanniques Kate Pickett et Richard Wilkinson1, qui a connu un franc succès dans notre pays. Dans un récent rapport2, l’OCDE montre par exemple que les politiques de redistribution et d’égalité femmes-hommes sont nécessaires pour augmenter la croissance économique, en particulier parce qu’elles permettent que l’éducation soit un investissement rentable pour tou.te.s et pas seulement pour les plus aisés. De nombreux rapports3 légitiment ainsi les politiques d’égalité comme des investissements coûtant moins qu’ils ne rapportent, si l’on tient compte de leur « performance » économique et sociale sur le moyen-long terme.

Double risque

Il est naïf et/ou cynique de croire que des arguments de justice et d’utilité peuvent cohabiter sans que les premiers ne soient conditionnés par les seconds. Dépassons l’attrait de formules telles que le « gagnant-gagnant » ou « la fin justifie les moyens » : il faut assumer qu’une victoire pour certain.e.s est une perte pour d’autres. Il est urgent de dépasser une lecture enchantée où la lutte contre le néolibéralisme justifierait d’avoir recours à la marchandisation de l’égalité. Promouvoir l’égalité entre femmes et hommes4, la diversité ou l’immigration comme une démarche économiquement rationnelle et rentable, c’est les mettre sous conditions de la démonstration de leur performance. En demeure de prouver leur « utilité ».

S’il est démontré que la sortie des femmes de l’emploi et la préférence nationale pourraient contribuer à résorber le chômage, que ferons-nous ?

Le risque est alors double. Si la performance de l’égalité est prouvée, le premier risque est d’enfermer les inégaux dans une mise en scène de leur « plus-value ». Loin de remettre en cause leur assignation à une singularité sexuée ou/et racialisée, il les « modernise ». Concrètement : justifier l’inclusion des femmes ou des « non-Blancs » au nom de la rentabilité de la mixité, c’est attendre d’elles/d’eux qu’ils soient et demeurent des compléments rentables (le trop fameux « management au féminin » ou « capital féminin ») et non des égaux. Le second risque est que l’égalité de principe devienne une option sous conditions de performance. Les recherches sur les rapports entre mixité et performance5 montrent que leur lien de causalité est discuté et discutable. Dans cette logique, s’il est prouvé que les inégalités sont performantes, les politiques discriminatoires et d’exclusion sont légitimées. S’il est démontré que la sortie des femmes de l’emploi et la préférence nationale pourraient contribuer à résorber le chômage, que ferons-nous ?

Soumission du politique à l’économique

En procédant à ce type d’argumentation, nous acceptons implicitement d’indexer les choix politiques à des variables économiques. La brèche est ouverte au questionnement sur la « rentabilité » des dépenses publiques de solidarité et de redistribution, en particulier dans le domaine de la santé et de l’éducation. Est-on sûr que les bourses sur critère social « rapportent » plus qu’elles ne coûtent ? Que la gratuité de l’école soit un « plus » pour la croissance ? Qu’il soit économiquement fondé d’héberger des SDF l’hiver ?

Les débats sur les coûts ou les bénéfices liés à l’immigration6 constituent une bonne illustration de cette évolution idéologique. Le lien entre performance et mixité et celui entre performance et immigration participent d’une même logique de soumission du politique à l’économique. Quand arrêtera-t-on de justifier les entrées de migrants par leur « apport » à l’économie ou inversement de les refuser du fait de leur coût pour le pays, pour l’Europe ?

Il faut politiser le principe d’égalité en le libérant de son conditionnement à la performance

La tentation est forte de défendre l’égalité comme une valeur dans laquelle on investit, sans prendre conscience qu’elle est ainsi sacrifiée, en tant que principe de justice, à la valorisation et à la performance de la différence. Finalement, tout se passe aujourd’hui comme si les tenant.e.s de l’égalité abandonnaient la bataille idéologique pour s’en remettre aux thèses néolibérales qu’ils contestent. Pour que l’égalité retrouve un sens et une épaisseur politiques, il faut dénoncer cette ruse de la raison néolibérale qui consiste à la paralyser, voire à l’empoisonner, en l’exaltant à son profit.

Egalité

Afin de ne pas être contraint.e de participer à un arbitrage cynique entre les inégalités coûteuses et les inégalités rentables, les politiques d’égalité « performantes » et celles qui ne le sont pas, il faut politiser le principe d’égalité en le libérant de son conditionnement à la performance. C’est accepter de passer par la porte étroite d’un principe de justice d’égalité qui n’a jamais été appliqué pour celles et ceux qui ne font pas partie de la « fraternité républicaine » : les femmes et les « non-Blancs ». C’est remettre en cause un mouvement historique et théorique qui les a exclu.e.s au nom de leur prétendue « moins-value » naturelle et qui les inclut aujourd’hui au nom de leur prétendue « plus-value » culturelle, sociale et économique et non en tant que pairs.

Pour cela, proclamons « L’égalité est morte, vive l’égalité ! » pour dire la nécessité de faire le diagnostic de l’incompatibilité entre l’application du principe républicain d’égalité et sa justification par son efficacité, qu’elle soit politique, sociale et/ou économique. Loin d’être accessoire, cette justification participe d’un processus de soumission du principe d’égalité aux « valeurs du marché »7 à travers une sorte de modernisation du mythe de la complémentarité sexuée et raciale.

 

* Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences-Po/Cevipof. Auteure de L’égalité sous conditions. Genre, parité, diversité, Presses de Sciences-Po, 2015.

Tribune initialement publiée sur le site de l’Observatoire des inégalités. Article original à lire ici.

Voir aussi : Rubrique Science, Science Politique, rubrique Société, Droit des femmes, Citoyenneté, rubrique Economie, rubrique Débat,

  • 1. Les Petits Matins, 2013. Préface de Pascal Canfin, alors ministre en charge du Développement.
  • 2. « Tous concernés. Pourquoi moins d’inégalité profite à tous », OCDE, mai 2015.
  • 3. « Féminisation et performances économiques et sociales des entreprises », par Thomas Breda, rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) n° 12, décembre 2015. Etude réalisée dans le cadre d’une convention entre l’IPP et le secrétariat d’Etat chargé des Droits des femmes ; « La stratégie d’investissement social », par Bruno Palier, étude du Conseil économique, social et environnemental, février 2014 ; « L’apport économique des politiques de diversité à la performance de l’entreprise : le cas des jeunes diplômés d’origine étrangère », par Sonia Hamoudi, étude du Conseil économique, social et environnemental, septembre 2014.
  • 4. http://www.oecd.org/fr/parite/ ; « L’égalité hommes-femmes peut stimuler l’économie », par Willem Adema, L’observateur de l’OCDE n° 298, 1er trimestre 2014.
  • 5. Cf. en particulier « Not-So-Strong Evidence for Gender Differences in Risk Taking », par Julie A. Nelson, Feminist Economics, juillet 2015.
  • 6. Cf. en particulier les rapports de l’OCDE, ainsi que pour le cas français « Bénéfices et coûts de l’immigration : les perspectives macroéconomiques d’une politique d’immigration active en France », par Xavier Chojnicki, e-migrinter n° 12, 2014 ; Immigration Policy and Macroeconomic Performance in France, par Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly, Documents de travail du Centre d’économie de la Sorbonne 2015.23.
  • 7. Les habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néoconservatisme, par Wendy Brown, Les prairies ordinaires, 2007, page 50.

Source : AlterecoPlus 09/02/2016

 

Dans le Gard la société civile s’engage contre la discrimination

Agir devant l'impuissance publique face à la montée du FN

Pour un vrai débat public et citoyen

Réfléchir sur les pannes qui se sont produites dans le processus d’intégration ou analyser la montée de l’extrême droite à l’échelle locale ne consiste pas à réduire ces problématiques qui se déploient à l’échelle nationale et européenne. Ce peut être au contraire une facon d’ouvrir le débat au plus près du quotidien. Les thèmes de l’exclusion et des discriminations émergent toujours difficilement dans le débat public hexagonal. « Localement, la moitié de la population est raciste, certains maires refusent d’aborder la question pour ne pas fâcher les gens », confie M. Mazauric.

A l’aune de ce témoignage, on mesure la nécessité de voir émerger des mouvements organisés et massifs. Avec le soutien de partis en manque de symbole, le monde associatif s’est depuis longtemps engagé dans ce combat mais de Fadela Amara à Harlem Désir, les premiers concernés ont plus pensé à servir leurs ambitions qu’à s’investir dans une action collective. La marche pour l’égalité de 1983 et « Convergence 84 » avaient ébauché une avancée qui fut minée par la récupération politique et les déceptions consécutives.

Par l’effet d’une méfiance compréhensible, les intéressés on finit par s’isoler dans des revendications communautaires. Il est plus que temps de dépasser le lourd contentieux colonial pour s’inscrire dans la réalité de la diversité. L’effet de loupe porté sur la situation du Gard permet de voir que le racisme s’exerce aussi en direction de l’étranger qui vient s’installer dans la région quelles que soit ses origines. « La peur du FN reste un des principaux ressorts du vote utile », souligne l’historien Alexis Corbière, une raison citoyenne de plus d’évaluer et d’agir en connaissance de cause…

JMDH

Société. Le Gard est le seul département à avoir placé le FN (25,51%) en tête au premier tour de la présidentielle en 2012. La société civile s’engage pour un retour à la fraternité soutenu par le CG 30.

Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert

Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert

Premier festival du livre contre la discrimination

La semaine nationale contre le racisme et les discriminations prend du sens ce week-end à Vauvert avec la première édition du Festival in/différences initiée par les éditions Au Diable Vauvert et la librairie La Fontaine aux livres. « Nous inaugurons le premier salon du livre en France contre la discrimination, indique Marion Mazauric fondatrice des éditions du Diable. Nous le reconduirons chaque année à l’occasion de la semaine contre le racisme en mettant à l’honneur une pratique, une culture ou une population ostracisée. Le thème de cette année c’est le racisme, ce pourrait être les homosexuels ou la tauromachie...» Au cœur de la 2e circonscription du Gard représentée à l’Assemblée par Gilbert Collard, cette initiative s’accompagne de la parution d’un petit livre* qui fait le point sur les raisons locales de la montée du FN. L’ouvrage réunit historiens, sociologues, géographes ou spécialistes de l’extrême droite pour se pencher sur le cas du Gard.

L’historien Raymond Huard rappelle que les mouvements d’extrême droite prospèrent toujours sur un terreau particulier. Des débordements xénophobes d’Aigues-Mortes à l’encontre des ouvriers italiens à la fin du XIXe aux différents succès électoraux du FN dans le Gard à partir des Européennes de 1984 en passant par le mouvement poujadiste qui perce dans les années 50 auprès des rapatriés d’Algérie, le FN a trouvé les moyens de s’ancrer dans le département. Il a en outre bénéficié de l’attitude de deux présidents de région successifs. Jacques Blanc s’alliera directement avec le FN tandis que Frêche s’en est accommodé par calcul politicien.

La géographe Catherine Bernié- Boissard fait le lien entre le rapport des habitants à la ville et leur comportement électoral. Rattachant la récente progression du FN à un ensemble de facteurs : crise économique, délitement des services publics, ruptures des liens sociaux, crise culturelle. Ici comme ailleurs, la ruralité a reculé au profit du péri-urbain. « On ne gère plus le collectif, confirme Marion Mazauric qui vit sur place. On construit des villes entières sans place pour se rencontrer. Le défi du développement démographique suppose un effort mutuel. Les gens qui arrivent doivent respecter la culture et les autres doivent pendre conscience qu’ici les sangs se sont mêlés depuis les Wisigoths ». Au-delà du festival, plus de 75 associations sont mobilisées pour remettre l’intelligence au service de l’humain. Ils ont trouvé une réponse institutionnelle avec le Préfet du Gard Hugues Bousiges qui lance la semaine de la fraternité du 21 au 28 mars. Un réveil ?

Jean-Marie Dinh

Vote FN : pourquoi ? Ed Au Diable Vauvert 128 p 5 euros.

Source : La Marseillaise 16/03/2013

Voir aussi : Rubrique Livre, Essais, Le massacre des Italiens rubrique Edition, rubrique Festival, rubrique Histoire, rubrique Société, citoyenneté, rubrique Politique, Politique de l’immigration, rubrique Débat,