La situation à France Télévisions : en attendant l’apocalypse (entretien avec F. Malverde)

Julien MUGUET

 » L’objectif tient en un mot : réduire. Réduire le périmètre de nos missions, réduire le maillage territorial, réduire la quantité de programmes et d’émissions produites ; tous les secteurs de l’audiovisuel seront concernés. »

L’audiovisuel public est dans le collimateur du gouvernement. Fuites du ministère de la culture, annonce de bouleversements internes par la direction de France Télévisions qui subit en retour une motion de défiance, « petite phrase » provocatrice d’Emmanuel Macron [1], tout est fait pour préparer l’opinion – et les personnels de l’audiovisuel public – à une purge supplémentaire, après des années de rigueur budgétaire.

Plutôt que de nous fier à ce qui filtre dans la presse de ces petites et grandes manœuvres, nous avons préféré faire le point sur la situation avec un acteur et un témoin direct de ce qui se trame à l’intérieur du groupe public en nous entretenant avec Fernando Malverde, journaliste à France 3, syndiqué au SNJ-CGT, élu CGT au CCE de France Télévisions, et last but not least, adhérent d’Acrimed. Il ne s’exprime pas ici dans le cadre de son mandat et l’analyse qu’il livre reflète son point de vue et ses opinions personnelles, lesquelles n’engagent aucune des deux formations syndicales sus nommées.

Rumeurs et démentis courent depuis plusieurs semaines à propos de licenciements à venir à France Télévisions. Est-ce que vous avez des informations supplémentaires en interne sur les exigences du gouvernement ou sur les intentions de la direction, et est-ce que vous anticipez et/ou craignez que certains services soient plus touchés que d’autres ?

Il est clair que la crise que l’on vient de traverser avec la motion de défiance [2], c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Nous – les gens les plus informés, les syndicats, et la CGT en particulier –, on sait que ce qui se prépare est beaucoup plus grave. Ce qui se prépare, c’est ce que M. Macron a formulé en partie en « off » mais aussi dans son programme – il suffisait de le lire : restructurer tout l’audiovisuel public et diminuer le nombre de salariés de façon considérable. La crise est donc actuelle, mais plus encore à venir.

Quels sont ses objectifs ? Appliquer à l’audiovisuel public ce qui est appliqué à l’ensemble des services publics, soit ce qui est inscrit dans le « Plan d’Action Publique » qui prévoit la réduction de la dépense publique de trois points de PIB d’ici à 2022 (i.e. 60 milliards d’euros). C’est un projet ultra-libéral qui touchera évidemment notre secteur.

Cette réduction contient un double danger : d’abord, une réduction du périmètre de l’audiovisuel public dans son ensemble c’est à dire toutes les sociétés qui le composent (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde [France 24 / RFI], INA, Arte). Il y a une volonté de réduire le nombre de chaînes et le nombre d’emplois qui dépendent du service public : là est leur seule obsession…

Pour se faire une idée du projet, il suffit de regarder qui pilote : l’un des principaux conseillers de M. Macron, est l’inspecteur des finances Marc Schwartz. Il a écrit la partie audiovisuelle du programme du candidat Macron et est l’actuel directeur de cabinet de Françoise Nyssen, ministre de la Culture, tutelle de France Télévisions. C’est un ancien directeur financier de France Télévisions et surtout, l’auteur d’un rapport sur l’avenir de l’audiovisuel public [3]. C’est un peu la feuille de route de l’État, feuille de route dont la mise en œuvre a déjà commencé depuis des années sous la présidence Hollande et qui se poursuit sous celle de M. Macron. Ses grands axes de questionnement sont les suivants : Que faut-il garder du service public ? Jusqu’à quel niveau le réduire ? Ce questionnement a des conséquences concrètes en termes de dépense publique et de diminution d’emplois, dans l’audiovisuel comme dans les autres secteurs. Le traitement qui nous est réservé n’a, en cela, rien de particulier.

Faire des économies est l’unique obsession en ce qu’elle répond également aux injonctions européennes ciblant la dépense publique et le périmètre de l’action publique. M. Macron suit cette feuille de route, dont l’objectif principal est de faire plaisir à Mme Merkel et à l’Eurogroupe, c’est à dire aux libéraux qui commandent aujourd’hui la marche de l’Europe. Avec ses 18 000 emplois, l’audiovisuel public français est en ce sens une cible de choix. Cette stratégie met en péril nos missions.

Tu parlais d’un deuxième danger, quel est-il ?

Il est lié à l’exercice « bonapartiste » du pouvoir par M. Macron : il ne désire rien de moins qu’une véritable reprise en main de l’audiovisuel. Il n’a pas supporté de constater que certains de nos patrons, Delphine Ernotte en particulier, se soient battus pour défendre le budget de leur entreprise. Il veut des patrons le doigt sur la couture du pantalon, terrorisés et obéissants. Il ne supporte pas toutes les formes de résistance qui se sont fait jour pour défendre le périmètre de l’entreprise et les missions du service public.

À ce titre, je pense que Delphine Ernotte, paie – et paiera – la première prise de position publique qu’elle a exprimée quand elle est arrivée à la tête de cette entreprise [4] sur Twitter : « Je veux fromage et dessert ». C’est à dire : « Je veux à la fois la publicité et une revalorisation de la redevance ». Des revendications totalement insupportables aux yeux de quelqu’un d’assez autoritaire comme M. Macron, désirant des patrons d’entreprises publiques aux ordres.

Les deux aspects des mesures à venir sont donc : une réduction du périmètre, des missions et du nombre d’emplois du service public audiovisuel mais également une reprise en main par le pouvoir politique. Le tout sera bien entendu accompagné de discours lénifiants du type « Recentrer l’audiovisuel public sur ses missions uniquement culturelles », comme indiqué dans le document préparatoire émanant du Ministère de la Culture et transmis au CAP 2022, document qui a fait l’objet d’une « fuite », notamment auprès du Monde.

Aujourd’hui, M. Macron et son entourage proche fonctionnent sur un mode extrêmement cloisonné, dans le plus grand secret et même sans contact réel avec les directions des entreprises. Après l’annonce des 50 millions d’euros d’économies (en fait 80 pour l’ensemble de l’audiovisuel public), le gouvernement exige des directions qu’elles déterminent elles-mêmes les pistes d’économies à réaliser alors que quoi qu’il en soit, il sera question de restructurer les entreprises concernées afin d’amputer davantage leurs missions et leurs budgets !

Tu penses donc que les restructurations à venir iront encore plus loin que celles annoncées dans le document de travail du ministère ?

Absolument. À l’heure actuelle, après l’adoption du projet de loi de finance pour 2018, les directions, quelque peu tétanisées, ont été obligées de réagir et de préciser où les économies seraient réalisées, secteur après secteur. Mais ça, c’est juste pour avoir un budget 2018 à l’équilibre ! Il restera encore à encaisser les restructurations que prévoira M. Macron.

Les 50 millions d’économies qu’exige aujourd’hui M. Macron doivent se faire en plus de celles évoquées précédemment ! Il s’agit en fait de 70 millions, une fois inclus les 20 millions d’euros liés au glissement mécanique de la masse salariale et à l’inflation. Se pose alors la question de suppressions d’emplois en sus de celles déjà prévues. Mme Ernotte a déclaré qu’elle s’en tiendrait à ce que prévoyait son Contrat d’Objectifs et de Moyens [Soit 180 ETP supprimés en 2018, 500 à l’horizon 2020, fin de de son mandat, NdlR] via le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux et qu’elle ferait donc porter les économies sur d’autres leviers : renégociation des contrats avec les producteurs, droits sportifs [5], augmentation des rediffusions, etc. En somme, ponctionner sur la grille de programmes mais également sur les moyens techniques. Il est cependant évident que si un budget du même acabit (contenant de nouvelles coupes) lui est imposé pour 2019, elle sera forcée de passer par un plan social. Le seul problème, c’est que l’entreprise n’a même pas les moyens de le payer et qu’il reviendrait à l’État de le financer !

Selon moi, et on devrait le voir assez vite en début d’année prochaine, le gouvernement prévoit une réorganisation de l’audiovisuel avec des « mariages », des rapprochements forcés entre France Bleu et France 3, des suppressions de chaînes (France Ô, passage de France 4 en diffusion exclusivement numérique [et de Mouv’, ainsi que la suppression d’un des deux orchestres de Radio France… NdlR]), des suppressions d’édition (celle du week-end du Soir 3), des fusions de rédactions locales, et des regroupements régionaux, probablement selon la nouvelle carte administrative. Par exemple, le passage de 22 éditions de journaux télévisés de France 3 à une quinzaine. Clairement, l’objectif tient en un mot : réduire. Réduire le périmètre de nos missions, réduire le maillage territorial, réduire la quantité de programmes et d’émissions produites ; tous les secteurs de l’audiovisuel seront concernés.

Sans oublier la reprise en main politique. Une information a par exemple un peu échappé à la presse : André Gattolin, [Sénateur des Hauts-de-Seine, NdlR] ex-EELV passé à En Marche ! – a fait voter l’an dernier la suppression de la publicité dans les émissions destinées à la jeunesse en l’appliquant uniquement… à la télévision publique ! Une mesure relativement grotesque qui n’est rien d’autre qu’un moyen de priver France Télévisions de 20 millions d’euros de ressources supplémentaires dès le 1er janvier 2018. Il propose maintenant de modifier le mode de désignation des P.-D.G. de l’audiovisuel public dans le but probable de se débarrasser de Mme Ernotte afin de la remplacer par une personne totalement aux ordres. Je ne doute pas un instant du fait que cette idée ne soit pas venue toute seule au sénateur Gattolin : un « téléguidage » de l’Élysée est assez probable. Sa proposition de loi pourrait être votée dès le printemps et s’appliquer immédiatement.

Est-ce que, selon toi, cette politique d’économies à tous les étages, ne risque pas de dégrader plus avant la qualité du service public ?

Bien évidemment. Cela va dégrader la qualité de l’antenne, celle des contenus et notre capacité à concevoir et à réaliser des programmes attractifs, ce qui comporte un risque net de perte d’audience. Perte d’audience qui pourra nous être reprochée par la suite et justifier de nouveaux plans d’économies.

En sais-tu un peu plus sur les échéances et l’agenda de cette asphyxie programmée ?

Ils vont très certainement commencer par modifier la gouvernance et amorcer une réorganisation générale de tous les secteurs par une loi au printemps ou aux alentours de juin, puis réviser le financement de la télévision publique par une seconde loi à l’automne. À ce moment-là, on saura ce qu’il en est véritablement de la redevance. M. Macron a déjà déclaré qu’il n’y aurait pas de révision à la hausse de la redevance pour 2018 ni les années suivantes. La période qui s’ouvre, au moins pour les deux années à venir (2018-2019), va être une période dévastatrice pour l’audiovisuel public. Là comme ailleurs, M. Macron désire imprimer sa marque, ce qui implique de revoir de fond en comble l’organisation et le financement.

Peux-tu nous expliquer comment s’est passé le vote de la motion de défiance envers la présidente de France Télévisions ? Et pourquoi les déclarations de M. Macron et les exigences budgétaires du gouvernement (issues du « Comité action publique 2022 ») n’ont pas été ciblées dans cette motion ?

Il y a eu beaucoup de désinformation autour de cette motion des journalistes. Tout d’abord il faut remettre les choses à leur niveau. On a pu lire que la motion de défiance avait recueilli 84 % des voix alors qu’il n’y a eu que 860 votants sur 2680 journalistes et plus de 9800 salariés dans l’entreprise. Au final ce sont moins de 6 % des salariés qui ont voté la défiance ! Il y a eu un effet « loupe » du fait de la visibilité des rédactions nationales et de la capacité qu’elles ont eue à mettre en œuvre un lobbying efficace (appel à des « vedettes », réseaux sociaux). Cela y compris au prix de petits arrangements avec la réalité… Par exemple, dire qu’il s’agissait pour la direction de censurer des émissions emblématiques comme « Cash Investigation » est absolument faux : la ligne éditoriale de cette émission, qui fait honneur au service public, est soutenue et n’est pas remise en question par l’actuelle direction. Par contre, il y a clairement une volonté d’économiser des effectifs et de la dépense : pour ce faire, le principal levier de la direction est l’externalisation de la production (déjà fort avancée au sein de France Télévisions) puisque les emplois externalisés ne sont plus comptés comme publics. C’est quasiment l’unique cheval de bataille du Ministère des Finances.

En réalité, les économies étaient déjà prévues par le Contrat d’objectifs et de moyens signé par Delphine Ernotte au moment de son arrivée à France Télévisions (en 2015, sous la présidence de François Hollande). La trajectoire prévoyait d’ores et déjà la suppression de 180 équivalents temps plein (ETP) en 2018. Ces suppressions sont bien évidemment maintenues. Ce qui a fait réagir les SDJ des rédactions nationales et les magazines, c’est le fait qu’elles commencent à les impacter directement alors que jusqu’à présent, les économies touchaient principalement le réseau décentralisé (les rédactions régionales et locales de France 3, la rédaction de France Ô et les Outre-Mer Premières). Les rédactions régionales étant déjà « à l’os », les économies commencent à se faire sentir au niveau des réactions nationales et à toucher les mieux lotis : c’est ce que j’appelle le « ruissellement à l’envers »…

La réaction de la SDJ, y compris la motion de défiance, est donc en partie une réaction purement égoïste sur le mode : « Des économies d’accord, mais pas chez nous ! » ou plus démagogique encore : « Les économies sont un prétexte, le vrai problème c’est Delphine Ernotte ». Car il faut bien comprendre que certains membres de la SDJ ont un agenda politique : certains ont un intérêt – qui les fait conséquemment agir en sous-main – à favoriser le départ de la P.-D.G. parce que beaucoup de ces journalistes ne cachent pas leurs affinités vis-à-vis du pouvoir en place. Le libéralisme revendiqué par M. Macron ne leur pose ainsi aucun problème.

En 2017, la séquence électorale a permis de faire illusion, notamment avec un relâchement du contrôle des autorisations de dépassement de budget (embauche de CDD) dans les rédactions nationales. La fin de cette séquence marque le retour à des conditions de fonctionnement plus « normales » et la direction fait ainsi peser des économies dans tous les secteurs, y compris dans les rédactions nationales.

Comment fonctionne la SDJ ? Quelles relations entretient-elle avec les syndicats de journalistes ? À quoi ressemble le paysage syndical à FTV aujourd’hui ? Quel rôle jouent les vedettes de la rédaction (Léa Salamé, François Lenglet, Nathalie Saint-Cricq, etc.) dans cette « crise » ?

Je ne connais pas le fonctionnement détaillé de la SDJ, un bureau, plus ou moins actif, des échanges de mails, mais l’instance n’a pas de caractère vraiment permanent ou même délibératif, les assemblées générales (AG) sont rares. Elle fonctionne au cas par cas. Dans le cas d’espèce, les AG qui ont eu lieu et qui ont débouché sur cette motion de défiance avaient un caractère tout à fait exceptionnel. À l’inverse, pendant les grèves contre les coupes budgétaires, les AG des SDJ (de France 2, de France 3 national et de France Info) avaient soigneusement évité de se mélanger à celles des syndicats ! Il est intéressant de noter que la majorité de ceux qui ont signé cette motion de défiance n’ont pas fait grève.

Un exemple illustre assez bien son fonctionnement cependant ; lorsque M. Macron a attaqué l’audiovisuel public, la SDJ n’a pas fait de communiqué. Par contre, suite aux attaques de M. Mélenchon à l’encontre de Léa Salamé, François Lenglet et Nathalie Saint-Cricq, la réponse fut immédiate ! Des chefs de service, Mme Saint-Cricq et d’autres éditorialistes de bon ton et bon teint, assistent bien évidement aux AG de la SDJ, illusion d’une opinion partagée entre les aristocrates et les soutiers de l’information !

En fin de compte, je pense que les SDJ sont des sortes de « feuilles de vigne », de cache-sexe destinés à couvrir le manque de courage de certains, habituellement peu enclins à combattre les orientations imposées par la direction à la demande du pouvoir politique. On en profite, sous couvert de « consensus professionnel », pour se donner de faux airs de courage. La réaction des SDJ doit être prise pour ce qu’elle est : une réaction corporatiste dont les responsables n’ont, pour la plupart, aucune conscience des problématiques affectant l’ensemble de l’entreprise. Ses responsables ne font d’ailleurs jamais preuve de la moindre solidarité envers le reste des personnels. J’irais même jusqu’à dire que les SDJ sont plus corporatistes que les syndicats corporatistes.

Lesquels ?

Le SNJ Autonome, qui lui reste conscient des problématiques de l’entreprise, voire du secteur. Pour poursuivre mon propos sur les réactions entendues au sein de la SDJ (« des économies oui, mais pas chez nous ! », « le seul problème c’est Delphine Ernotte »), je persiste à penser que le courage aurait consisté à soumettre une question plus pertinente aux journalistes : « Pensez-vous qu’Emmanuel Macron veut défendre l’audiovisuel public ? » Là est la vraie question. C’est pour cela que j’ai toujours affirmé que les SDJ, de par leur fonctionnement, leur apolitisme revendiqué, leur recherche du consensus à tout prix – tout à fait pipeau ! – n’étaient pas les instances les plus qualifiées pour comprendre les enjeux stratégiques de l’entreprise. Dans le cas de celle de France Télévisions, c’est presque caricatural.

Sans oublier les menées de certains syndicats (la CGC en particulier, très droitière au sein de l’entreprise) qui utilisent la SDJ pour camoufler leur propre agenda politique, qui jouent leur propre carte pour mettre en œuvre leur stratégie. Un théoricien célèbre, dont vous retrouverez le nom, a parlé d’« idiots utiles » dans le cas présent. M. Macron a dû particulièrement savourer la motion de défiance.

Par ailleurs, je tiens à le dire ici, le prochain P.-D.G. de France Télévisions en finira très certainement avec « Cash Investigation ». Une émission qui a autant de moyens pour mener des investigations longues et approfondies sur les multinationales et les milliardaires n’est clairement pas la « tasse de thé » de M. Macron. Au bout du compte, les économies se feront aussi aux dépends de l’investigation et de l’indépendance du média.

Plus largement, quel est le rapport de forces entre les catégories de journalistes ? Entre les précaires et autres intermittents et les titulaires ? Entre les personnels de France 3 (particulièrement ciblés dans les documents ayant fuité) et ceux de France 2 ? Entre les syndicats ? Entre les plus mobilisés et ceux qui sont plus circonspects ?

Les CDD ont été les premières victimes du recul de l’emploi et des restrictions et beaucoup d’entre eux ont été obligés de recourir aux tribunaux pour faire valoir leurs droits légitimes. Nombre d’entre eux (souvent aidés par la CGT) ont ainsi obtenu leur intégration et également des dommages et intérêts. Un phénomène tellement massif que la direction provisionne même des sommes considérables en raison de ces litiges. Ces dernières années, le taux de précarité au sein des rédactions a fortement reculé, en particulier au sein du réseau des rédactions décentralisées. En effet, les CDD, qui permettaient auparavant de remplacer un salarié malade ou en formation, représentent aujourd’hui de l’ordre de 10 % des effectifs. Ce serrage de vis sur les effectifs crée des tensions et une usure des personnels qui devient dramatique. Dans les rédactions nationales, le chiffre tourne encore autour de 20 %. La gestion est donc encore relativement plus souple dans les rédactions nationales mais les mesures d’économies ont pour objectif, entre autres, de réduire le recours au CDD au maximum. France Télévisions n’est cependant pas une exception, elle suit, en cela, le même modèle que TF1.

Plus spécifiquement, y a-t-il une opposition entre les précaires et les titulaires au sein des rédactions ?

Non, mais il existe une forme de défiance entre les salariés des rédactions locales et ceux des rédactions nationales ; les premiers voient les seconds comme des privilégiés, puisque, jusqu’à présent, ils étaient soumis moins durement aux mesures d’économies. Après, il ne s’agit pas pour moi de diviser les gens, je pense que notre véritable adversaire et le véritable responsable, c’est le pouvoir politique.

Et une nouvelle fois, cette politique n’est pas nouvelle puisqu’elle a cours depuis au moins 10 ans. Trois chocs ont marqué l’histoire récente de France Télévisions et ont gravement déstabilisé la structure de l’entreprise : la fin de la publicité annoncée par Nicolas Sarkozy [en 2008, NdlR] qui a totalement fait vaciller le modèle de financement, lequel n’a jamais été réellement remis à flot, l’annonce d’économies correspondant à la suppressions de 650 ETP sous la présidence Hollande, pilotée à l’origine par Aurélie Filippetti puis par Fleur Pellerin et, enfin, avec l’arrivée de Mme Ernotte, un Contrat d’objectifs et de moyens qui prévoit la suppression de 500 ETP supplémentaires [d’ici à 2020, NdlR]. Dernière étape : l’agression contre France Télévisions, avec l’arrivée de M. Macron. Tout cela n’ayant qu’un but : préparer un véritable démantèlement du secteur public.

Un gouvernement qui se donnerait des objectifs plus constructifs et serait à l’inverse attaché à garantir l’existence d’un service public de l’information et de la culture enfin digne de ses missions aurait de nombreuses questions à dénouer. Par exemple, que fait-on de l’audiovisuel public à l’heure de la concurrence avec les plateformes américaines [Netflix, Amazon, NdlR] qui n’ont pas besoin de diffuseurs nationaux ?

Quid de la « délinéarisation » des contenus ?

C’est un enjeu majeur. Aujourd’hui, on ne regarde plus la télévision en allumant son poste, on la regarde quand on en a envie et on va chercher des contenus [6].

Ici, l’État doit clarifier la mission de la télévision de service public. Est-on en mesure de produire des programmes au niveau national voire européen qui seraient des programmes de qualité, exportables, visibles par les jeunes, etc. Aujourd’hui, les jeunes ne regardent plus la télévision mais ils accèdent à des contenus produits par la télévision sur Internet. La question des contenus est donc fondamentale.

Un corolaire important de cette question est celle de la restitution des droits de diffusion aux entités du service public. Est-ce que la télévision qui finance des productions peut les réexploiter ? Aujourd’hui, ce n’est pas le cas : les décrets Tasca obligent la télévision publique à n’être qu’une simple banque de financement des producteurs privés, qui disposent ensuite à leur guise des droits des programmes produits.

Propos recueillis par Bruno Dastillung

***

Annexe : Les données de l’équation…

- Motion de défiance
– « Faites-vous confiance à Delphine Ernotte pour préserver la qualité et les moyens de l’information à France Télévisions ? »
– Journalistes : 709  ; Votants : 607 (69%)
– Non : 83,77 % ; Oui : 8,95 % ; NSPP : 7,28 %

Delphine Ernotte, P.-D. G. FranceTV : « Je prends au sérieux la mise au vote d’une motion de défiance. Elle témoigne d’une inquiétude réelle et d’une demande d’équité dans la répartition des efforts. Nous y serons vigilants et attentifs. »

Clément Le Goff, président de la SDJ de France 2 : « Nous ne sommes pas contre le fait de faire des économies. On veut continuer à délivrer une information de service public de qualité. Informer, plutôt que distraire, devrait rester une priorité du service public. »

Plan d’économies 2018
– 50M€ pour 2018 (sur 2,57 Mds)
-180 ETP via non-remplacements et départs à la retraite (30 dans l’information)

Objectifs CAP 2022
– Gel dotation (@ 3,8 Mds €)
– « Rapprochement » entre France Télévisions et Radio France
– Fusion de France 3/France Bleu,
– Suppression de France Ô
– Passage de France 4 et Mouv’ à une diffusion 100 % numérique

Déclarations d’Emmanuel Macron (Télérama.fr)
– « L’audiovisuel public, c’est une honte pour nos concitoyens, c’est une honte en termes de gouvernance, c’est une honte en ce que j’ai pu voir ces dernières semaines de l’attitude des dirigeants. »
– « Parce que c’est très cher, pour une absence de réforme complète depuis que l’entreprise unique [à France Télévisions, ndlr] existe ; pour une synergie quasi-inexistante entre les différents piliers des entreprises publiques ; pour une production de contenus de qualité variable. »
– « Je n’accepterai jamais qu’une entreprise publique, quand on lui demande un effort (…) considère que la seule réponse serait d’augmenter la redevance, ou d’aller faire du lobbying en commission. »

par Bruno Dastillung, Fernando Malverde

Source Acrimed 26/12/2017

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France Télévisions : ces candidats qui veulent remplacer Rémy Pflimlin

 Rémy Pflimlin, actuel président de France Télévisions et candidat à sa propre succession, défend son bilan et plaide pour la continuité managériale dans un audiovisuel public fragile Rémy Pflimlin, actuel président de France Télévisions et candidat à sa propre succession, défend son bilan et plaide pour la continuité managériale dans un audiovisuel public fragile

La course à la présidence de France Télévisions a créé ses premières déceptions, jeudi 16 avril. Des personnalités de poids comme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde (FMM), et Didier Quillot, ancien dirigeant d’Orange et Lagardère Active, ont admis ne pas avoir été retenus dans la liste de candidats que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) doit auditionner dès la semaine prochaine. Au terme de ces auditions, et avant le 22 mai, le CSA doit désigner le nouveau président de l’entreprise publique.

L’éviction de Marie-Christine Saragosse a surpris. Sa personnalité et son bilan à la tête de FMM la rangeaient au rang des favoris. Mais le fait qu’elle soit actuellement en poste dans une entreprise de médias publique, et en cours de mandat, a pu devenir un handicap, au lendemain de la crise survenue à Radio France. Par souci de stabilité, les huit conseillers auraient jugé préférable qu’elle aille au terme de son mandat commencé en 2012 après la crise survenue sous le mandat d’Alain de Pouzilhac, selon une source proche du dossier. Cette préoccupation aurait également barré Emmanuel Hoog, PDG de l’Agence France-Presse (AFP), qui ne figurerait pas dans la liste restreinte. Tous deux sont passés par des cabinets ministériels de gauche, note aussi un connaisseur du secteur.

La décision du CSA est difficile à digérer pour Didier Quillot, qui pensait que sa longue expérience managériale le protégerait d’une élimination à ce stade. « J’ai reçu jeudi un courrier me signifiant que je n’étais pas retenu, mais je n’ai eu aucune explication, déplore-t-il. Je trouve cette décision complètement incompréhensible. J’ai mis en ligne mon projet car je veux qu’il soit connu et j’espère que les autres candidats feront de même. » Parmi les 33 postulants enregistrés par le CSA, d’autres, comme Serge Cimino, du Syndicat national des journalistes (SNJ), et Alexandre Michelin (MSN), ont déclaré publiquement ne pas avoir été retenus.

La composition de la liste restreinte ne fait l’objet d’aucune communication de la part du CSA dès lors qu’un ou plusieurs de ses membres sollicite la confidentialité. Il n’est donc pas possible de la connaître avec certitude. Toutefois, selon nos informations, au moins cinq candidats ont été contactés par l’autorité pour être auditionnés, et deux autres sont annoncés certains par d’autres médias.

Âgé de 48 ans, Christophe Beaux s’appuie sur la transformation jugée réussie de la Monnaie de Paris, une institution industrielle et culturelle de 500 personnes qu’il préside depuis huit ans. Cet énarque a travaillé en banque d’affaires, chez JP Morgan, et connaît parfaitement la machine d’Etat pour avoir œuvré au Trésor – sous la responsabilité de Jean-Pierre Jouyet, actuel secrétaire général de l’Elysée – et dans plusieurs cabinets ministériels – sous le second mandat de Jacques Chirac. Il est membre du conseil d’administration de France Télévisions depuis 2011.

Arrivée à La Poste au poste de directrice générale adjointe en charge de la communication en avril 2014, Nathalie Collin, 50 ans, a auparavant dirigé des structures plus modestes, dans la presse (Libération, Le Nouvel Observateur) ou la musique (EMI France). Elle se présente comme une experte de la transition numérique – qu’elle chapeaute désormais à La Poste. Pour se renforcer sur les programmes et la stratégie, elle se serait appuyée sur Vincent Meslet, directeur éditorial d’Arte et ancien directeur des programmes de France 3, ainsi que sur Catherine Smadja, cadre du groupe audiovisuel public britannique BBC et ancienne conseillère audiovisuelle du ministère de la culture sous Catherine Trautmann.

Delphine Ernotte, directrice exécutive d’Orange France, a fait toute sa carrière chez l’opérateur, où les activités audiovisuelles sont concentrées sur la distribution (via les box d’accès à Internet). Ingénieure de formation, 48 ans, elle a l’expérience d’une grosse structure et du dialogue social. Son profil a suscité une inquiétude chez des syndicats de France Télévisions, après des échos de presse rappelant qu’elle était en poste chez France Télécom à l’époque de la mise en place du plan Next, dans la foulée duquel les suicides se sont multipliés chez l’opérateur. Son entourage a rappelé que la justice ne l’avait en rien mise en cause.

Pascal Josèphe, ancien consultant, a surtout été dirigeant de TF1, La Cinq, France 2 ou France 3, dans les années 1980 et 1990. Il dit aborder la télévision publique par « la question de l’offre », qui doit davantage refléter, selon lui, la jeunesse et la diversité. Quand on lui parle de son âge (60 ans), il pointe celui, plus élevé, des actuels patrons de M6, TF1 ou Canal+.

Robin Leproux incarne, dans cette liste, l’expérience du secteur privé, après notamment un long parcours chez M6. Âgé de 55 ans, l’homme qui a géré la crise des supporters en tant que président du PSG est aussi celui qui a conquis des parts de marché publicitaire avec la régie de M6. Il dispose aussi d’une expérience dans la stratégie et les contenus, sur la chaîne privée et à RTL. Sur ce média grand public, il a fait venir l’éditorialiste Jean-Michel Aphatie ou mis en place certains rendez-vous comme « On refait le monde ».

Polytechnicien, ingénieur des Ponts et chaussées, Cyrille du Peloux a fait partie de l’équipe de direction de TF1 lors de son acquisition par le groupe Bouygues. Passé à la Lyonnaise des Eaux, il a ensuite dirigé le bouquet satellite TPS et la chaîne Paris Première avant de rejoindre, en 2002, le groupe Veolia, où il est aujourd’hui, à 61 ans, directeur de la transformation et membre du comité de direction.

Rémy Pflimlin, lui, ne doit pas voir d’un mauvais œil la liste retenue par le CSA, dont deux candidats sérieux issus, comme lui, de la sphère publique ont été écartés. À l’automne, l’actuel président ne se voyait crédité que de chances très faibles de voir son mandat renouvelé. Les derniers mois, et notamment les difficultés de Mathieu Gallet à Radio France, lui ont plutôt redonné des raisons de ne pas désespérer. À 61 ans, il défend son bilan et plaide pour la continuité managériale dans un audiovisuel public fragile. Reste une particularité de son profil : il a été nommé par le président de la République Nicolas Sarkozy. Alors que François Hollande a tenu à rendre au CSA le choix de ces patrons, l’autorité voudrait-elle confirmer à la tête de France Télévisions la personne choisie par l’ancien président ?

Par Alexis Delcambre et Alexandre Piquard

Source Le Monde : 16 04 2015