Elias Sambar : « Rien d’autre qu’un passeur de l’humanité palestinienne »

Elias Sambar. Photo Rédouane Anfoussi.

ELIAS SAMBAR est Ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco son dictionnaire amoureux de la Palestine livre une approche à la fois profonde et fluide.

A propos de la Palestine, vous évoquez le trouble comme la difficulté d’évoquer un pays qui n’existerait pas encore. La rédaction de ce dictionnaire a-t-elle contribué à un éclaircissement ?

« Cela n’a pas éclairci ma position sur le fond. Mais chaque mise en forme écrite implique une reprécision qui n’est pas une redécouverte. Ce qui est intéressant et sympathique dans la rédaction d’un dictionnaire, c’est la forme éclatée en apparence. Ce ne sont pas des informations parcellaires, il revient au lecteur de faire les liaisons. A première vue ces liaisons n’existent pas en réalité, elles font partie d’un squelette invisible qui suppose que l’auteur soit parfaitement clair dans ses idées.

Comment avez-vous travaillé sur les entrées ?

Les entrées fonctionnent en écho. Un dictionnaire peut être lu par tous les bouts. Ce qui offre au lecteur un rapport plus libre. J’ai pris plaisir à construire ce livre. Le jeu des échos correspond à ma façon de travailler. Je commence sur une entrée et je poursuis en me demandant ce qui résonne avec ces propos.

Vous rendez hommage à beaucoup  de vos amis, Darwich, Farouk Mardam-Bey, Genet, G.Deleuze, Daniel Bensaïd… dont la pensée trouve place au sein du livre. A propos d’Edward Saïd* vous évoquez un différent relatif aux accords d’Oslo ?

Il pensait que l’analyse n’était pas la bonne et la façon de s’y prendre non plus, ce en quoi je le rejoignais. Notre éloignement n’était pas lié au bilan des accords mais au fondamental. Pour moi la négociation n’était pas le plus important. J’avais la conviction et je l’ai toujours, que l’élément majeur se situait dans le principe d’une reconnaissance mutuelle. Oslo marque le point à partir duquel le nom Palestine redevient réel. Il y a évidemment les reculs et les épisodes en dents de scie, le développement monstrueux des colonies qui ont triplé depuis l’accord (signé en septembre 1995) mais après avoir été nié par la terre entière le nom Palestine a resurgi de l’absence. Pour moi Arafat reste l’homme qui a symbolisé le retour de ce nom.

En quoi consiste votre fonction au sein de l’Unesco ?

Sur les 193 Etats membres, la Palestine est le seul pays occupé. Je m’occupe des questions relatives à l’éducation, la science, la culture, le patrimoine mais dans un contexte plutôt particulier. Il est difficile d’imaginer les efforts qu’il faut déployer pour attribuer des bourses aux étudiants de Raza. Il faut par exemple trois mois pour acheminer un simple virement puisque l’argent est systématiquement suspecté d’alimenter la résistance.

Ce dictionnaire permet d’éclairer l’actualité à partir du regard d’un intellectuel…

J’ai tenté d’aborder cet ouvrage avec sérieux et une certaine légèreté. Il me semble très important de briser la déhumanisation du peuple palestinien. Car celle-ci existe à travers le traitement infligé par Israël mais aussi par leurs propres amis qui ne considèrent les Palestiniens que comme des héros ou des victimes. Moi je suis quelqu’un comme tout le monde, rien d’autre qu’un passeur de l’humanité palestinienne.

Quel est votre regard de diplomate cette fois, sur ce qui vient de se passer ?

Par delà la grosse infraction au niveau du droit, Israël vient de commettre une erreur politique grave. On en voit les résultats aujourd’hui. Au-delà des condamnations unanimes il y a, le fait que le gouvernement israélien vient de casser le discours qu’il a toujours tenu à savoir que le pays est menacé. Avec cette affaire, tout le monde a compris qui est l’agresseur. Le second point c’est que par cette action Israël vient elle-même de mettre fin au siège de Gaza. Puisque dans les heures qui ont suivi, l’Egypte a réouvert ses frontières sans limite de délais. De facto la frontière est ouverte ».

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Dictionnaire amoureux de la Palestine, éditions Plon 24,5 euros.

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Daniel Bensaïd :  » Le problème c’est la course contre le temps « 

Disparition de Daniel Bensaïd

Disparition de Daniel Bensaïd

Le philosophe marxiste et théoricien de l’ancienne Ligue communiste révolutionnaire (LCR),  Daniel Bensaïd, est décédé hier à 63 ans. Il était gravement malade depuis plusieurs mois. Après avoir cofondé la JCR (Jeunesse Communiste Révolutionnaire) en 1966, puis compté comme l’un des principaux acteurs du mouvement de Mai 68, Daniel Bensaïd a participé à la création de la LCR, en avril 1969, dont il a longtemps été membre de la direction. En 2008 et 2009, il avait aussi contribué à la création du NPA. Philosophe, enseignant à l’Université de Paris VIII, il a publié de nombreux ouvrages de philosophie ou de débat politique, dont «Prenons parti pour un socialisme du XXIe siècle» (Editions Mille et une nuits, 2009). Nous publions un entretien réalisé lors d’une rencontre à Montpellier en février 2008 autour de la sortie de son livre Eloge d’une politique profane» (Editions Albin Michel 2009).

Votre dernier livre porte un regard global sur la politique bousculée par la mondialisation…


 » Je porte en effet une réflexion sur les effets de la mondialisation qui bouleversent les bases de la politique moderne apparue au XVIIe siècle et effacent tout le vocabulaire sur lequel elle reposait, comme les mots  » peuple « ,  » souveraineté « …

Le titre fait référence à la religion…

Oui, les récents discours du Président de la République à Latran, Ryad, et il y a deux jours devant le CRIF, confirment cette inversion de tendance dans les rapports entre le politique et le religieux, dont la séparation reste la grande caractéristique de la modernité. Au lendemain du 11 septembre, le discours de G.W Bush initiait déjà ce changement en utilisant le registre théologique. On constate le même basculement entre la première Intifada qui était un mouvement social et la seconde où apparaît la rhétorique religieuse.

Y voyez-vous une utilisation unilatérale du religieux par le politique ?

Le mouvement va dans les deux sens. Avec d’un côté l’utilisation de la religion pour donner un soubassement à une morale civique qui n’y parvient plus par ses propres moyens. Et de l’autre une offensive idéologique de l’épiscopat très manifeste chez Benoît XVI que l’on constate avec le mariage homosexuel ou l’avortement. Pour moi c’est une espèce d’aspiration par le vide qui déplace l’argumentation politique sur le terrain émotionnel.

D’où provient cette défaillance du politique ?

Elle est liée à plusieurs facteurs. La privatisation du monde entraîne une perte de substance de l’espace public qui pousse à baisser les bras. La politique, s’inscrit dans des espaces où les lieux de pouvoir dispersés deviennent insaisissables pour les citoyens. Enfin, le résultat des blessures du XXe siècle, qui se traduisent par la difficulté à se projeter dans l’avenir.

Comment porter de nouvelles stratégies de résistance ?

C’est toute la question après le diagnostic. Il importe de trouver l’espace des acteurs pour les luttes profanes.

Vous restez fidèle au concept de la lutte des classes dans une société où l’individualisme les décompose. Avec la disparition de lieux de socialisation, la classe ouvrière n’a plus guère d’expression politique …

La décomposition sociale est réelle mais elle est aussi relative. Le prolétariat que Marx décrivait en 1848 n’a rien à voir avec le milieu ouvrier. Les luttes d’aujourd’hui paraissent asymétriques. Mais ne rendent pas pour autant impensable le fait de changer le monde. Le problème c’est la course contre le temps. Les millions de Chinois qui sont aujourd’hui exploités trouveront inévitablement une forme d’organisation sociale pour défendre leurs droits.

Vous êtes membre dirigeant de la LCR, sur quelles bases votre parti envisage-t-il la mutation décidée lors de son dernier congrès ?

La décision de fonder un nouveau parti anticapitaliste est actée. Elle dépend maintenant du processus constituant. Cela devrait voir le jour fin 2008 ou lors du premier trimestre 2009. Le point de départ part de la nécessité d’actions face aux attaques brutales du gouvernement Sarkozy pour une mise aux normes néolibérales du pays. Mais aussi de l’absence de résistance de la gauche de gouvernement qui s’oppose sur la forme mais pas sur le fond. Il y a un espace pour un vrai parti de gauche qui n’efface pas son histoire sans pour autant l’imposer aux autres, ce qui permettra des alliances. « 

recueilli par Jean-Marie Dinh


article publié dans L’Hérault du jour le 16 02 08

Eloge de la politique profane, 22 euros ed, Albin Michel

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