Le Hezbollah craint la consécration d’un front chrétien et le risque de « déviation » de Aoun

Le Hezbollah craint l’emprise de Samir Geagea sur la rue chrétienne.

Le Hezbollah craint l’emprise de Samir Geagea sur la rue chrétienne.

Le Hezbollah serait sérieusement inquiet de l’alliance qui s’est établie entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises à la veille de la présidentielle. Une appréhension confortée d’une part par le discours d’investiture à connotation purement nationale, et d’autre part les prises de position successives affichées par le chef du CPL, Gebran Bassil, et le président Michel Aoun. Le tout couronné par l’annonce faite par le chef de l’État de renouer avec l’Arabie saoudite, qui figure en tête de liste de ses déplacements à l’extérieur.

Dans certains milieux chiites informés non proches du Hezbollah, on affirme que ce dernier a de plus en plus d’appréhensions face au rapprochement entre le CPL et les FL. C’est la raison pour laquelle il œuvre actuellement à saper par tous les moyens l’alliance entre ces deux formations chrétiennes tout en faisant en sorte de couper court à toute tentative de leur part de mettre sur pied d’autres alliances politiques avec le courant du Futur et le PSP.

Le parti chiite craint en effet une emprise des Forces libanaises sur la rue chrétienne, maintenant que Michel Aoun a été propulsé à Baabda. Samir Geagea peut désormais mettre à profit ses relations avec le CPL et le président pour consolider sa position, leur alliance devant être consolidée un peu plus lors des prochaines législatives que les deux formations comptent mener ensemble via des listes conjointes établies sur l’ensemble du territoire. D’ailleurs, la proposition de présenter 128 candidats dans toutes les circonscriptions est on ne peut plus symbolique, le message étant que l’alliance entre les deux formations n’a pas un caractère chrétien mais surtout national.

Le Hezbollah appréhende par ailleurs un éventuel changement dans la stratégie du chef de l’État qui se considère désormais comme étant l’arbitre de la nation et donc au-dessus des parties et des formations en présence. Une crainte qu’est venue exacerber la déclaration de Gebran Bassil, qui avait affirmé que « lorsque Michel Aoun se trouvait à Rabieh, il était le chef du CPL. Maintenant qu’il est à Baabda, il est le père de tous ». Cela signifie que les choix que le président fera à partir du palais présidentiel « seront des options à dimension nationale et non sectaire », commente un responsable politique.

Le parti chiite craint enfin que Michel Aoun ne soit politiquement assiégé par ses deux nouveaux alliés, le chef du courant du Futur Saad Hariri et le leader des FL Samir Geagea, qui tentent par tous les moyens de l’empêcher d’avaliser les choix du Hezbollah.

D’ailleurs, ce dernier ne compte pas se laisser faire face au renforcement progressif d’un nouveau front chrétien allié au mandat, et projette de constituer un front opposé, avec son volet chrétien qui comprendrait les Marada, les Kataëb et des personnalités indépendantes. Selon des sources politiques, le parti chiite a déjà effectué, loin des feux de la rampe, des contacts dans cette direction, tout en tenant à préserver la confidentialité de cette démarche afin qu’elle ne soit pas torpillée en cours de route.

À l’instar du Front du rassemblement consultatif créé de toutes pièces en 2003 par les Syriens pour contrer la rencontre de Kornet Chehwane, le Hezbollah entend réitérer la stratégie en parrainant un front chrétien face au tandem CPL-FL. Ce front serait ainsi appelé à s’élargir pour englober des personnalités musulmanes telles que le président du Parlement Nabih Berry, qui sert depuis quelque temps de façade au parti chiite, lequel cherche à éviter tout affrontement direct avec les aounistes tout en continuant de soutenir officiellement le nouveau mandat. En même temps, le Hezbollah continue de protester de sa bonne foi face aux accusations selon lesquelles il appréhenderait l’alliance FL-CPL et tout rapprochement de ces formations avec le courant du Futur et le PSP de Walid Joumblatt.

C’est dans ce contexte qu’il faudra d’ailleurs interpréter la visite « préventive » effectuée à Walid Joumblatt à son domicile rue Clemenceau par une délégation du parti, notamment pour convaincre ce dernier de rester aux côtés du président de l’Assemblée Nabih Berry sans être tenté de lorgner ailleurs. Lors de cette rencontre, les membres de la délégation se sont attelés à rassurer le leader druze au sujet de la prochaine échéance électorale, en lui affirmant que la future loi, quelle qu’elle soit, ne sera adoptée que si elle prend en considération les appréhensions de M. Joumblatt en termes de représentation. Objectif : tenir le leader druze loin des alliances concoctées autour du mandat, une mission d’autant plus cruciale que le parti chiite craint d’ores et déjà les résultats des prochaines élections ainsi qu’un scénario similaire à celui des législatives de 2009 qui s’étaient conclues par une victoire du 14 Mars.

D’ailleurs, commentent des sources politiques chiites, il ne faut surtout pas croire que le Hezbollah, qui revendique haut et fort la proportionnelle, souhaite réellement son adoption, et ce pour des raisons simples : le Hezbollah, qui n’est plus sûr de sa popularité d’antan dans les milieux chiites, notamment après son intervention en Syrie et le nombre de morts occasionnés dans ses rangs, risque d’en payer le prix dans les urnes. Comme il ne peut non plus réitérer le scénario sanglant des combats de rue déclenchés le 7 mai 2008, il a opté pour l’heure pour la flexibilité et la main tendue dont les députés du parti se sont fait l’écho lors du vote de confiance au Parlement.

Source : L’Orient du Jour, 30/12/2016

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