Portrait féminin de la société tunisienne

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Raja Ammari au cinéma Diagonal à Montpellier

Rencontre avec la réalisatrice franco-tunisienne Raja Ammari qui présente son second long métrage Les Secrets.

Invitée par Le Diagonal, la réalisatrice Raja Ammari est venue présenter son deuxième long métrage Les Secrets. Actuellement à l’affiche, le film pointe la confrontation du monde traditionnel et urbain et situe la société tunisienne à travers un vécu féminin. « J’ai commencé à écrire à partir du personnage d’Aicha*. Tenue à l’écart du monde par deux femmes de sa famille, la jeune fille cherche son identité. L’appel de la féminité interfère avec cet enfermement », indique la réalisatrice. Les trois femmes vivent en retrait dans le sous-sol d’une vaste maison à l’abandon. L’arrivée d’un jeune couple urbain va déséquilibrer leur vie en autarcie et faire basculer le film dans un tout autre univers ! « Aicha déforme la réalité en fonction de ses désirs »

Dans son premier film, Le Satin Rouge, Raja Ammari explorait le parcours d’une femme tentant de retrouver sa jeunesse. Dans Les Secrets, elle effectue le parcours inverse. Son regard sur le monde reclus des femmes vivant dans le conservatisme et le refoulement de leurs désirs mène à la violence. « Poussée par son désir Aicha pénètre le monde extérieur. Elle transgresse ce que sa grand-mère considère comme une menace. Mais dans la scène où elle vérifie si sa petite fille n’a pas perdu sa virginité, elle commet ce qu’elle redoute. » Le propos ne porte pas de jugement. Si la réalisatrice s’exonère de références religieuses, elle n’a pas évité que la projection du film suscite une vive polémique en Tunisie. « On m’a reproché de donner une image déviante et négative de la femme. » C’est une scène dans une salle de bain où une femme en lave une autre qui a déclenché le plus de courroux. « Je n’ai pas tourné cette scène pour provoquer. Mes indications étaient d’adopter une attitude maternelle, dénuée de sensualité. Dans cette scène, la nudité renvoie à une frustration enfouie qui fait parler le personnage de son enfance. » C’est ainsi que le film évolue, à travers l’image et le travail par étape sur l’émotion des personnages qui finissent par éclater tout ce qui leur tenait de schéma mental et comportemental.

Jean-Marie Dinh

* interprétée par la talentueuse Hafsia Herzi.

Voir aussi rubrique cinéma Tunisie, Le chant des mariés de Karim Albou,

Le conservatisme en politique

Les XXII es Rencontres de Pétrarque rediffusées sur France Culture abordent la question du conservatisme. Un statu quo qui s’applique bien à la politique française…

Les juillettistes ont manqué les XXII Rencontres de Pétrarque consacrées à la question « sommes-nous de plus en plus conservateur ? » Si le sujet les intéresse, ils peuvent se rattraper en écoutant France Culture qui rediffuse actuellement les enregistrements réalisés dans la Cours des Ursulines durant le Festival de Radio France. Nous revenons également cette semaine sur deux des débats abordés au cours de ces rencontres : Aujourd’hui le conservatisme en politique.

Messieurs les anglais tirez les premiers. Seul étranger autours de la table, le député travailliste Denis Mc Shane qui fut ministre aux affaires européennes dans le gouvernement Blair se lance. Avec un certain goût pour la provocation, il oppose « la révolutionnaire et libérale Margaret Thatcher au conservateur François Mitterrand. Oui, affirme le député britannique, la France est aujourd’hui le pays le plus conservateur d’Europe Chez vous, tout changement est refusé. La France ne bouge pas. Et quand le conservatisme ne marche pas, il fait naître des gens qui sont prêts à changer. » C’est ainsi que le travailliste s’explique l’avènement de Sarkozy. Au centre de son constat, les partis figés qui ne souhaitent pas le changement parce qu’ils sont incapables de changer leur propre fonctionnement. Silence, un troupeau d’éléphants passe sans bruit. Mc Shane poursuit. Tout en distinguant les conservateurs britanniques de leur homologues français, le social démocrate décomplexé prédit à la gauche française 15 ans de traversée du désert pour s’adapter au peuple. Vision cauchemardesque et pragmatique dont la clarté dérange ses co-conférenciers, mais qui oriente, dans le même temps, cette question du conservatisme vers la gauche.

Longue tirade d’Alain Finkielkraut qui observe de loin notre entrée dans un autre monde. « C’est le triomphe de la pensée calculante et la défaite de la pensée méditante. La culture s’engloutit dans le culturel». Le monde peut s’écrouler, Finkielkraut fera toujours du Finkielkraut. Reste que les néo conservateurs, Thatcher, Bush et Sarkozy, ne sont pas des conservateurs. Ils importent ou exportent un système idéologique et sont prêts à tout bousculer pour l’imposer. « Face à cette droite avide, les socialistes sont ils confiants dans leurs croyances ? » S’interroge Daniel Lindenberg « La défaite de Ségolène Royal est réelle. Elle n’est pas cosmique », précise l’historien des idées, la gauche immobiliste doit tirer les enseignements de cette droite qui pratique la guerre du mouvement. » pour Lindenberg, les lignes politiques bougent. Et en se réappropriant le culte de l’autorité et de la tradition, la gauche ne se projette pas dans l’avenir. Elle cède simplement à la tentation du repli.

Georges Frêche coiffe sa casquette d’historien pour rappeler que « La conservation et le progrès n’ont jamais été égaux. Le changement est bref et le conservatisme est long. » En France depuis deux siècles la vrai gauche n’a gouverné que onze petites années souligne le président de Région qui rejoint Mc Shane pour annoncer au PS son entrée dans un long purgatoire. « Ne tentons pas d’être absolument moderne. Mais efforçons-nous d’être contemporain.» recadre Antoine Compagnon qui enseigne la littérature au Collège de France.

La volonté de faire du passé table rase est un axe essentiel des politiques totalitaires. Il y a des libertés de la modernité qui reste à défendre et d’autre à contenir comme la liberté économique. Celle que l’anarchiste conservateur, Georges Orwell que personne ne cite, définissait comme « une liberté qui est le droit d’exploiter l’autre à son profit » Percutant non ?

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Débat politique Présidentielles 2007 victoire de  Sarkozy, Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie,