Printemps des Comédiens. Un bilan béton et des questions

La grenouille avait raison de James  Thierée Au Printemps des Comédiens

La grenouille avait raison de James Thierée Au Printemps des Comédiens

La trentième de tous les records, plus de 60 000 spectateurs, 90% de taux de remplissage… Mais demain ?

Eh bien voilà. Eteints les derniers projecteurs, baissé le rideau rouge de la Grenouille de James Thierrée, dissipées les ultimes acclamations. Et comme chaque année, à l’heure où se termine le Printemps des Comédiens, c’est dans un mélange de nostalgie et de satisfaction que l’équipe du festival veut remercier son public. Pour l’avoir suivi sur des pistes pas toujours balisées.  Il a fallu cette année bien des listes d’attente, bien des prises d’assaut de la billetterie pour tenter de satisfaire un public venu en rangs plus serrés encore que de coutume.

Ne rien sacrifier de l’artistique

Car cette édition du 30e anniversaire est celle de tous les records. Jean Varela, le directeur artistique du Printemps, voulait «un acte fort» : « Revenir à une durée plus longue après des années de baisse. Ne rien sacrifier de nos ambitions artistiques et maintenir le festival dans ce qui est sa marque : un mélange de publics, familles, enfants, amateurs plus pointus, un mélange de genres : cirques, théâtre de texte, croisement des disciplines comme avec Triptyque…»

C’est peu dire que le pari est réussi : la fréquentation du festival atteint un chiffre jamais vu en trente ans. Plus de 60.000 spectateurs ! Un remplissage des lieux de spectacle qui dépasse 90%… Il est vrai que ce chiffre bénéficie de l’effet Zingaro qui, installé dans le domaine de Bayssan à Béziers, accueillera jusqu’au 10 juillet entre 20 et 25000 spectateurs. Mais Zingaro, c’est le Printemps. Une sorte de retour aux sources même, puisqu’aux temps héroïques, le festival promenait ses tréteaux dans tout le département. Une affirmation du Conseil départemental aussi : marquer, aujourd’hui en terre biterroise, que la culture est plus que jamais une nécessité.

Dosages subtils

« Voilà donc le rideau baissé. Et à cet instant, chaque année, le dernier mot nous était évident : à l’an prochain, disions-nous à notre public. A l’an prochain avec des grands noms de la scène (…) Pouvons-nous le dire cette année ? Hélas, nous n’en savons rien : le transfert des compétences entre Conseil départemental et Métropole plonge l’avenir du festival dans l’incertitude. Ce n’est pas le lieu de s’immiscer dans des discussions où la politique et les exigences budgétaires s’entremêlent.

Mais peut-être est-ce le moment de rappeler qu’un festival, même fort de 60 000 spectateurs, est une construction fragile. Que la culture, la joie du public, le bonheur d’être ensemble dans un lieu magnifique, tout cela est une alchimie dont les dosages sont subtils. Puissions en préserver la recette l’an prochain pour un nouveau sacre du Printemps.»

Comment après la réussite d’une programmation artistique si ambitieuse, et l’accomplissement d’une mission culturelle publique de cette ampleur, validée par le plus grand nombre, une équipe est-elle amenée à s’interroger de la sorte ? Désormais, il appartient sans doute à ce large public de questionner les représentants du peuple,  pour connaître leurs véritables projets derrière leurs silences, leurs chiffres et leurs coups de menton…

Source : La Marseillaise 05/07/2016

Voir aussi ;  Rubrique Théâtre, rubrique Festival, Printemps des Comédiens 2016The Encounter, de McBurney , No Where de Marino Formenti, 4 x 11 l’ENSAD se déchaïne, Séducteur impie des temps modernesCirque Balthazar. 100 Zissu, Poison de Dag Jeanneret,  rubrique Politique, Politique culturelle, rubrique Montpellier,

Nouveau Cirque AOC Autochtone :

Domaine D’O. Nouveau langage et nouveau cirque à découvrir avec le collectif AOC, jusqu’à demain à Montpellier.

Pour les fêtes rien ne s’oppose à l’énergie d’Autochtone, un spectacle qui décoiffe ! Les amateurs de piste ronde qui ne se sont pas arrêtés à Jean Richard, peuvent se rendre sous le chapiteau du collectif AOC qui fait escale au Domaine D’O jusqu’à demain.* Cette jeune troupe d’artistes incontrôlables offre un show qui emporte loin, au point où sa millimétrique d’exécution nous échappe. Autochtone mêle réalisme et rêve en puisant dans nos ressources d’adrénaline pour enrichir la palette d’expression  circassienne.  Conseillée à partir de 10 ans, la pièce est issue de la rencontre du collectif AOC avec la chorégraphe belge Karin Vyncke dont le travail artistique tourne autour de la manipulation des masses.

Dans l’expression pluridisciplinaire qui compose la partition, la musique live (dans le registre underground US) tiens une place déterminante, comme les tableaux visuels qui plantent une atmosphère lynchienne. On réagit à la tension dramatique sans comprendre tout ce qui se passe.  De l’ombre et du fracas des os surgit la lumière. L’effarante froideur du système politique se met en branle. L’humanité se dégrade, il s’agit de se saisir des restes pour renouer avec la poésie…

Objets d’abus du pouvoir, les corps se plient. La trahison des hommes se vénère à travers le détournement des mythes et des croyances. Un étrange paradoxe se joue. AOC met en piste la perte individuelle tout en conservant l’essence collective et solidaire du cirque qui s’exprime dans le mouvement et emplit l’espace.

En 1h15, c’est toute la douceur et la violence du monde qui passent sous nos yeux . En inventant son propre dialecte, le collectif AOC démontre, s’il le fallait, l’immense potentiel  du nouveau cirque. « Ne croyez pas tout ce qu’on vous dit et continuez à venir au spectacle… » C’est le dernier message des artistes.

Jean-Marie Dinh

* Autochtone aujourd’hui à 17h et demain à 15h. Rens : N° Vert  0 800 200 165

Le cirque Romanès guidé par une « brindille sur le bord du chemin »

Photo Marie Clauzade.

Photo Marie Clauzade.

Rien dans les poches ». Le cirque tsigane Romanès, c’est presque comme à la maison jusqu’à mercredi au Printemps des Comédiens

Un jour on les voit passer, un autre ils s’arrêtent là où vous habitez, gonflent la toile de leur chapiteau et partagent quelques moments de votre vie avec la leur. C’est comme ça, chez les Romanès, on a le sens de l’hospitalité. On vous accueille au cœur. Toute la famille est là assise face à vous. Ce sont au moins trois générations réunies et disponibles qui participent au spectacle endiablé par une troupe de cinq musiciens qui rythment les numéros d’un bout à l’autre de la représentation.

Fondée par Alexandre Romanès, la troupe de cirque tsigane est née en 1994. Equilibriste et dresseur, l’homme est issu de la famille Bouglione dont il se sépare à vingt ans pour y revenir plus tard en choisissant la vie libre et nomade du cirque itinérant. Alexandre est aussi un auteur. Il écrit des poèmes sur les conseils de Jean Genet qu’il rencontre en 1976 lors d’un spectacle de rue à St Germain des Prés. Tous deux entretiennent une longue amitié jusqu’à la mort de l’écrivain dix ans plus tard. Genet n’avait pas tort. Celui qui ne savait ni lire ni écrire apprend pour exprimer ce qu’il vit. Comme sur les planches, ses mots forment des petits moments représentatifs de ce qu’il ressent « Moi je préfère la brindille sur le bord du chemin et la tresse impeccable des petites filles. » Aujourd’hui son troisième recueil de poésie vient d’être publié chez Gallimard.

Sur scène, Alexandre tient son rôle de chef de famille. Il veille au grain. C’est l’homme orchestre, celui qui assure la sécurité des petits et dit aux grands de bien se tenir. Il paraît difficile d’évoquer un numéro en particulier parce que c’est la famille dans son ensemble qui est l’esprit conducteur. On ne sait jamais vraiment ce qu’il y a d’écrit sous leur crane. Ce sont des poètes, ceux dont les ailes montent et descendent. Ils ont des yeux dans lesquels entre la lumière. Enfants de la balle, acrobates, trapézistes, jongleurs, funambule se succèdent à un rythme effréné entraînant les spectateurs dans un grand vertige. Le chapiteau est un peu grand pour parvenir à nous perdre totalement. Mais la tête tourne suffisamment pour nous faire rejoindre un ailleurs. Demain à l’aube, ils partiront vers une nouvelle destination tirée au sort.

Jean-Marie Dinh

Plume regarde la lune !

L'atelier du peintre. Photo Yves Petit

Il convient d’évoquer ce spectacle sans en gâcher la mystérieuse magie. Bref, de ne rien en dire de concret, de descriptif et même d’élogieux. Il convient de faire cela parce que nous ne sommes pas en présence d’une œuvre figurative. Commencer par décrire la fin, la vrai fin, c’est-à-dire le noir, comme Soulage sait si bien le faire pourrait nous soulager (c’est facile, on vous l’accorde). Le noir donc, ce qu’il reste après la mort d’un grand artiste, pas Michael si vous voulez bien, disons Vincent, Vincent Van Gogh. Un type presque inconnu à sa mort qui annonce le fauvisme, l’expressionnisme voir le cubisme. Un type que l’on pourrait croiser en se promenant au bord d’un champ sans même l’apercevoir. Le noir dans lequel on se plonge parfois nous rend aveugle comme le soleil de midi. L’abondance de commentaires, d’avis éclairés sur une question cruciale aussi.

Mais revenons à notre artiste. Un homme étonnamment doué disparaît, dans le sens où il n’est plus là et ne reviendra pas, vous êtes face à la partie de son œuvre qui lui a survécu. Vous rencontrez son œuvre sans pouvoir le rencontrer lui personnellement. Vous êtes face à l’art. Il vous reste à en faire quelque chose. Vous situez ? Bon, on tient le bon bout là. Parce que c’est à peu près le propos de Bernard Kudlak quand il dit, à propos de L’atelier du peintre : « Nous pouvons ajouter nos images aux images », ça signifie nous sommes libres, alors profitons ensemble. Tout le monde : les artistes, les techniciens, les spectateurs et les autres. Qui sont les autres ? Cela pourrait être le sujet d’un prochain spectacle.

La magie de Plume, c’est qu’on ne peut pas subir le spectacle qui reste suspendu comme un rêve. On ne subit pas nos rêves parce qu’on en est l’acteur. Cela nécessite un sens de la créativité et du respect de l’autre absolu. « Le cirque est un poème en acte. A partager », les deux derniers mots sont très importants. Le cirque Plume fait de l’art en regardant la lune. C’est décisif. On éprouve le sentiment que nos points d’appui se dérobent. Il convient de vous inviter à aller les voir. Comme ça, sans rien attendre, juste pour ressentir.