Loi contre la prostitution : la régularisation des prostituées étrangères en débat

 Manifestation de prostituées à Paris, le 5 juin. AFP

Alors que la proposition de loi sur la lutte contre la prostitution passe en deuxième lecture au Sénat – majoritairement à droite – à partir du mercredi 14 octobre, énième étape d’un processus législatif commencé il y a deux ans, les débats se concentrent à nouveau sur la mesure phare de ce texte porté par la députée socialiste Maud Olivier (Essonne) : la pénalisation des clients de prostituées. Au risque de négliger un autre aspect de la loi, ayant trait à la situation administrative des personnes étrangères se prostituant.

Mardi 13 octobre, quelques militants féministes, issus du Mouvement du Nid, d’Osez le féminisme ou encore des Effrontées, ont organisé un happening devant le Sénat pour inciter les élus à rétablir dans le texte de loi l’amende de 1 500 euros pour tout achat d’actes sexuels. Cette disposition, voulue par le gouvernement et votée par l’Assemblée nationale, est systématiquement retoquée par les sénateurs. Elle a encore été supprimée mercredi 7 octobre en commission spéciale sénatoriale, celle-ci ayant considéré « qu’une telle mesure risquait de placer les personnes prostituées dans un isolement plus grand et, par conséquent, dans des conditions plus dangereuses ». La mesure sera rediscutée en séance via des amendements.

Conditionné à l’arrêt de la prostitution

Mais la disposition qui a le plus fait l’objet d’amendements est autre : elle concerne la délivrance de titres de séjour aux personnes prostituées de nationalité étrangère. Comme le rappelle la Cimade, une des principales associations de défense des étrangers, dans un communiqué paru mardi 13 octobre : « Près de 90 % des personnes prostituées sont de nationalité étrangère, et parmi elles, une majorité de personnes sont dépourvues de titre de séjour. Les mesures favorisant la régularisation sont donc essentielles pour protéger les victimes de proxénétisme et de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. »

A ce sujet, le texte voté par l’Assemblée nationale prévoit qu’« une autorisation provisoire de séjour d’une durée minimale de six mois peut être délivrée » à la personne qui, « ayant cessé l’activité de prostitution, est engagé(e) dans le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle ».

Il s’agit donc d’une disposition conditionnée à l’arrêt de la prostitution et non automatique puisque la délivrance du titre est laissée à l’appréciation du préfet. « Cela ne va servir à rien », juge sévèrement Violaine Husson, responsable des actions pour les femmes migrantes à la Cimade. « Dans la pratique, si les personnes n’ont pas de titre de séjour, elles ne peuvent pas avoir d’hébergement, ni de suivi social ou même médical et entamer une insertion professionnelle. Ça nous paraît donc incohérent de demander la cessation d’activité de prostitution pour bénéficier de ce titre. »

Appel d’air

Plusieurs amendements – de la sénatrice EELV Esther Benbassa, du socialiste Jean-Pierre Godefroy et de la communiste Laurence Cohen – ont été déposés et prévoient la délivrance de plein droit d’une autorisation provisoire de séjour d’un an, non conditionnée à la cessation stricte de l’activité de prostitution. Ceux qui s’y opposent considèrent qu’ils peuvent constituer un appel d’air. « Sous prétexte de ne pas vouloir faciliter la prostitution en accordant un droit au séjour, les parlementaires proposent d’encadrer strictement l’attribution des titres de séjour, considérant que ce dispositif serait détourné par les réseaux de traite », regrette la Cimade dans son communiqué.

Laurence Cohen analyse ces résistances : « On est dans un climat très tendu à l’égard des personnes condamnées à l’exil. On considère l’étranger comme quelqu’un qui resquille et les prostituées comme des délinquantes. »

D’après un dispositif déjà existant, une personne prostituée peut obtenir une carte de séjour si elle coopère avec la police pour démanteler un réseau de traite, à travers le dépôt d’une plainte ou d’un témoignage. Dans les faits, les préfectures y ont peu recours : « En 2014, sur les 210 000 nouveaux titres de séjour accordés, seulement 63 ont été délivrés sur ce motif, toute situation d’exploitation confondue, rappelle la Cimade. Ce chiffre est ridiculement bas quand on sait qu’entre 20 000 et 40 000 personnes se prostituent en France, principalement des personnes en situation irrégulière.

Julia Pascual

Source : Le Monde.fr 13/10/2015

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Edition : un recueil de quatorze nouvelles noires pour soutenir l’action de la Cimade

etrangeSur la forme et sur le fond, cette initiative mérite d’être saluée. En partenariat avec la Cimade, le Firn édite un recueil de quatorze nouvelles noires sur le thème de cette année Etrange étranger. Les bénéfices provenant de ce livre seront reversés à l’association qui accueille, oriente et défend  les personnes étrangères, les demandeurs d’asile et les réfugiés. L’ouvrage coordonné par Patrick Mosconi fait écho à ce désordre assourdissant pour notre humanité que représente la situation des hommes, femmes, et enfants sans-papiers.

Entre violence brute et errance tragique dans les bas-fonds de nos villes et le désert de nos campagnes, ces citoyens du monde sans droit, inspirent les auteurs des courts récits compilés dans ce petit livre. Certains mettent à nu la férocité des rapports humains. C’est le cas de Lilian Bathelot qui conte dans Cristalline, une courte descente d’escalier de trois étages qui finit mal. Jean Bernard Pouy choisit lui, le thème de l’intégration réussie. Il narre avec humour le passé glorieux de la vicomtesse de Der qui détient le record du nom de société le plus long de l’histoire, déposé au registre du commerce.

Tout arrive, dans ce monde méconnu et sans règle. Anne Bourrel décrit les manigances de jeunes femmes marocaines pour se faire épouser. Sophie Loubière dénonce de manière originale l’atteinte profonde aux droits des femmes. L’étrange étranger de Serguei Dounovetz apparaît sous les traits d’un redoutable piranha qui squatte le cerveau embrouillé d’un musicien souhaitant saisir l’occasion offerte de braquer la Banque de France.

D’autres écrivains semblent s’inspirer de faits réels comme Gianni Pirozzi dans Femme de Parloir, qui use d’un style quasi documentaire pour évoquer le parcours d’une famille Rom ayant fui le Kosovo, ou Laurence Beberfield qui dans Aujourd’hui un autre jour, livre le récit d’un médecin engagé, resté fidèle au serment d’Hyppocrate. En pleine nuit la femme médecin part sur le bord de l’autoroute secourir et soutenir un groupe d’Erythréens à la barbe des policiers locaux. Dans La route est belle, Marin Ledin met en lumière la fragilité de l’intégration et la dureté de la vie tout en soulignant une grande inflammabilité des sentiments xénophobes dans les milieux d’extrême précarité.

«On se recompose sur les chemin de l’enfer» écrit de son lointain Brésil, Cesare Battisti qui décrit la force de caractère d’une femme africaine qui émigre pour ne pas subir le sort des femmes de son village. Il en sait quelque chose, lui qui a quitté son pays pour les raisons que l’on sait.  Toujours sur le thème de l’émancipation, mais au sein d’une famille gitane, Patrick Mosconi évoque l’histoire d’un couple qui souhaite assumer son  choix. Francis  Zamponi nous plonge dans la légion étrangère pour aborder l’extrême nécessité de trouver sa place dans la société, si cruelle soit-elle.

JMDH

Etrange étrangers éditions La Manufacture de livres, 6 euros

Source La Marseillaise 25 06 2015

Voir aussi : Rubrique LivreRoman noir, FIRN, Les amoureux du noir,

Les protestants solidaires des sans papiers

Le pasteur Florence Blondon

Le synode national de l’Eglise réformée de France, réuni à Toulouse début mai, s’inquiète des conséquences de la politique menée dans le domaine de l’immigration par le gouvernement Sarkozy. Les effets des quotas d’expulsion de la politique du gouvernement sont contraires aux convictions chrétiennes et peuvent être dramatiques pour les étrangers que les protestants côtoient dans leurs paroisses, au travail ou ailleurs. C’est ce que dénonce le Synode (parlement) protestant de France. Il attend aussi que les pouvoirs publics proposent des solutions humaines aux salariés sans papiers et garantissent l’égalité de chacun devant la loi.

« Localement, c’est de plus en plus difficile, indique le pasteur Florence Blondon. Il y a six mois, la police est venue arrêter des gens à la sortie de la Cimade. » L’injustice rappelle, sans souffrir la comparaison, les heures sombres de l’antisémitisme d’Etat.

« Lorsqu’ils ont arrêté les communistes, je n’ai pas élevé la voix ; lorsqu’ils ont interné les juifs, j’ai gardé le silence ; lorsqu’ils s’en sont pris aux sociaux-démocrates, je me suis tu … Lorsqu’ils sont venus me prendre, il n’y avait plus personne pour me défendre. » Ce texte écrit en 1935 par Martin Niemöller, à l’origine de l’Église confessante, mérite d’être réactualisé. Dès les années 30, les synodes allemands s’élèvent contre une prédication de l’Eglise aux ordres de l’Etat. Le mouvement de conscience donnera naissance en 1939, à la Cimade qui organise en France la résistance au régime nazi en soutenant ses victimes.

«Les protestants réformés ont toujours été très engagés sur ces questions. Beaucoup de paroissiens sont engagés dans des lieux de combat aux côtés de personnes qui ne sont pas des religieux. Mais avec le durcissement des lois qui laisse de moins en moins de failles, le savoir-faire juridique de la Cimade touche à ses limites », explique le pasteur montpelliérain. D’autres formes de solidarité se font jour. « Nombre de paroisses servent de domiciliation à des travailleurs sans papiers. » Il y a six ans, des sans papiers se sont installés au temple de la rue Maguelone. « On réfléchit sur ces sujets dans les églises. C’est important. Les paroissiens sont plus ou moins sensibles. Certains gardent une certaine distance, d’autres nous suivent ou nous précèdent. On a des enfants en situation irrégulière qui viennent parler de leur situation. Et d’autres qui n’osent pas venir. Quand on les entend, on ne peut que dénoncer ce type de politique. »

Dans ce monde où les origines religieuses sont parfois une source d’aveuglement, où le politique n’hésite pas à se rabattre sur la religion pour définir telle ou telle communauté, l’église se voit contrainte d’assumer ses responsabilités historiques. A Montpellier, le pasteur Florence Blondon suit simplement sa conscience : « Pour moi la séparation ne se fait pas entre chrétien ou non, entre croyant ou pas, je suis plus proche des gens qui se mobilisent. Avec d’autres ils m’arrivent de penser que nous n’avons pas le même Dieu. »

Les témoignages tombent partout dans le pays comme une condamnation sans appel contre la politique discriminatoire du couple Sarkozy-Hortefeux.

Au niveau national, les délégués du synode se sont élevés contre le projet de directive européenne concernant le retour des étrangers illégaux, qui banalise leur enfermement, dont la possibilité est portée à 18 mois assortis d’une interdiction de territoire européen de 5 ans. Le parlement protestant espère que la future présidence française de l’Union européenne permettra de considérer les ressortissants des pays tiers de manière humaine et digne de la Déclaration des droits de l’Homme.

Jean-Marie Dinh

L’Eglise réformée de Montpellier participe au Cercle de silence organisé à Montpellier

Couple mixte : « La police fouille dans nos sentiments »

Reportage. Dans le train qui les amène à Paris, les conjoints français d’étrangers confient les humiliations incessantes dont ils font l’objet.

Ils sont de plein droit sur le sol français. C’est leur pays et pourtant l’envie d’être heureux leur est refusée par la loi. C’est ainsi qu’ils ont rejoint le collectif pour la défense du droit à une vie familiale des couples mixtes, initié par la Cimade de Montpellier sous la bannière évocatrice Les Amoureux au Ban public. Seize d’entre eux, époux et épouses français de sans papiers, ont pris le train mercredi pour la capitale, direction le Sénat et l’Assemblée nationale. L’idée d’une intervention collective des conjoints auprès des parlementaires donne une autre portée à la démarche. « Et puis au moins on sait qu’ils ne risquent pas de se faire ramasser à la descente du train », précise le responsable régional de la Cimade, Jean-Paul Numez.

Dans le TGV qui les conduit à Paris où les députés débattent du nouveau projet de loi sur l’immigration, les langues se délient. « Je connais mon mari depuis 2003. Il est entré légalement. Nous sommes mariés depuis 14 mois. Ca n’a pas été facile, ils sont venus l’arrêter à domicile deux jours avant notre mariage. Le tribunal administratif a annulé l’arrêter de reconduite à la frontière. Mais la préfecture refuse de lui délivrer un certificat de long séjour, explique Delphine. En juillet dernier, la police a multiplié les descentes, nous avons dû nous éloigner. On vit dans la peur, les enfants ne comprennent pas. »

Beaucoup font état des exactions commises par l’administration française dans leur vie personnelle. D’autres regardent le paysage qui défile en silence, conscients du durcissement qui se joue à l’Assemblée, alors qu’ils se trouvent déjà en prise à des embûches kafkaïennes. Plus que la colère, c’est l’incertitude ravageuse qui se lit sur les visages. Celle d’une situation qui rend tous ces amoureux vulnérables, à la merci d’une administration suspicieuse régie par l’arbitraire.

Vivre dans la peur

La loi exige que les maires saisissent le procureur de la République de tous les mariages mixtes. Celui-ci demande systématiquement une enquête de police ou de gendarmerie pour évaluer la capacité au mariage mais sans plus de précision. « On doit se justifier. C’est très humiliant quand la police fouille dans vos sentiments, confie une femme de 35 ans. Ils m’ont demandé où vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ? Mon mari est libraire. A la papeterie, ai-je répondu.  Quelle est le nom de cette papeterie m’ont-il demandé, et là, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu un trou. Le dossier a été rejeté. » Le plus souvent les refus ne sont pas justifiés. Il n’y a pas de critères objectifs. « Je suis mariée depuis quatre ans, mon mari est algérien, il est entré en France avec un titre de plein droit. Nous nous sommes mariés, il a obtenu une carte de 4 mois. Nous n’avons jamais reçu sa carte d’un an. Au bout de deux ans, je suis allée à la préfecture pour savoir pourquoi. La gendarmerie est venue faire une enquête à la maison. Ils ont constaté qu’il n’y avait pas de photo de nous sur les murs. Que nous n’avions pas d’enfant et pas de compte commun et  ont conclu au mariage de complaisance ! J’ai attaqué devant le tribunal administratif qui a suspendu la décision. Mais nous sommes toujours coincés. Nous attendons les papiers. »

Quitter la France

« Vous ne cherchez pas la situation, elle vient vers vous. » témoigne un cadre financier à la retraite. Il a choisi d’être du voyage pour soutenir sa fille. « Elle était dans une école internationale. Il y avait de fortes chances pour qu’elle rencontre un étranger, constate-t-il. Magali a rencontré un Tunisien. Ils s’aiment et comptaient se marier en juin. Quitte à le faire dans un pays qui accepterait leur union, mais ma fille a trouvé un poste à responsabilité à Cannes. Du coup ils sont passés dans la clandestinité parce que la préfecture refuse de renouveler le visa de mon futur beau-fils. C’est absurde et inacceptable. Et je sais bien qu’il existe des situations beaucoup plus difficiles. Moi je vais les encourager à quitter la France. »

Préoccupante réalité

Le train des amoureux arrive à la gare de Lyon. Direction l’Assemblé nationale où les Montpelliérains et les Nîmois rejoignent d’autres conjoints parisiens. Françoise de la Cimade de Marseille explique qu’une arrestation a retenu les Marseillais sur place. Aux abords de l’Assemblée, le groupe se scinde en deux, sous le regard vigilant du service de sécurité. Une partie des amoureux prend la direction du Sénat où ils seront reçus par le groupe PS en charge de l’immigration. L’autre rencontrera le député UMP Etienne Pinte qui s’est distingué de son groupe sur cette question et le député PCF Patrick Braouzec qui souhaite défendre un amendement dans l’après-midi. Devant les parlementaires attentifs, chacun prend la parole succinctement pour expliquer sa situation et les humiliations vécues. Les membres de la Cimade ponctuent les explications de courts commentaires techniques sur les dossiers. L’opération ne vise pas à régler les dossiers individuels mais à informer les élus sur la préoccupante réalité du terrain.

Il est déjà l’heure de quitter les palais de la République pour le retour. A l’Assemblée, les débats se poursuivent. Tout est ficelé. Tard dans la nuit, le projet de loi sur l’immigration, le plus régressif et radical depuis les années les plus sombres de la France passe comme une lettre à la poste. Seuls 45 députés ont voté contre le retour du droit du sang. Les amoureux au ban public se séparent en gare de Montpellier « Je sais que je ne suis pas plus avancée sur mon dossier, dit Audrey dont l’aimé est coincé au Maroc, mais cette journée m’a redonné du punch. » On promet de se revoir très bientôt.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Société, citoyenneté, rubrique Politique de l’immigration,