Thaïlande: la plus sévère crise politique depuis des décennies

Un rassemblement de Chemises rouges dans la ville de Pattaya, à l’est de Bangkok. Photo RFI Arnaud Dubus
par Arnaud Dubus correspondant RFI à Bangkok

La Thaïlande se débat depuis début novembre dans une crise politique multidimensionnelle dont l’issue est difficile à entrevoir.

Cette crise n’est que le dernier soubresaut d’une phase de transition chaotique amorcée fin 2005. A l’époque, les classes moyennes de Bangkok, alliées à l’establishment traditionnel et monarchiste, se sont révoltées contre le Premier ministre, Thaksin Shinawatra, un leader populaire mais autocratique et corrompu. Sa sœur, Yingluck Shinawatra, qui dirige le gouvernement depuis les élections de juillet 2011, fait face depuis plusieurs mois à la même fronde conservatrice, appuyée sur la magistrature et la bureaucratie.

Ce n’est pas la première fois que la Thaïlande (ou le Siam, comme le pays s’appelait avant 1939) passe, dans la douleur, d’un modèle de société à un autre. Dans les années 1930, la montée en puissance économique et sociale des roturiers avaient entrainé la fin de la monarchie absolue. La forte croissance économique dans les milieux urbains, et surtout à Bangkok, à partir du début des années 1960 avaient abouti à la mobilisation pro-démocratique des classes moyennes, avec à leur tête les étudiants, lesquels avaient renversé, au début de la décennie suivante, la dictature militaire de Thanom Kittikachorn.

C’est un schéma similaire que l’on peut voir aujourd’hui, sauf qu’il se produit dans les provinces rurales. A partir du milieu des années 1980, la formidable croissance économique du royaume a bouleversé la donne sociale dans ces provinces. Les paysans ont progressivement diversifié leurs activités économiques, faisant un peu de commerce à côté de la rizière, voire se lançant dans le secteur des services. Ces mêmes paysans, qui vingt ans plus tôt peinaient à subvenir à leurs besoins, ont sorti la tête de l’eau. Ils ont souvent pu acheter une voiture, ont envoyé un ou deux enfants à l’université, voyagé à travers le pays ou même ont travaillé à l’étranger. Ils sont informés, lisent les journaux, leurs enfants surfent sur l’internet.

Un vieil adage qui ne fonctionne plus…

Dans les années 2000, ils ont réalisé, avec l’arrivée au pouvoir de Thaksin Shinawatra, que leur vote avait du poids. Ils avaient élu un politicien qui, pour la première fois, mettait en application ses promesses de campagne : sécurité sociale, micro-crédits, subventions à l’agriculture. Et quand les militaires, accusant Thaksin de manque de respect envers le roi et de corruption, l’ont évincé du pouvoir en septembre 2006, ces provinciaux (et beaucoup de migrants travaillant à Bangkok) ne l’ont pas accepté. Le vieil adage « les campagnes élisent le gouvernement, Bangkok les démantèlent » ne fonctionnait plus.

Ce que l’on voit dans les rues de Bangkok peut être analysé comme la réaction des classes moyennes de la capitale, très souvent d’origine sino-thaïlandaise, lesquelles réalisent qu’un rééquilibrage politique s’effectue dans le pays. Il est frappant lorsque l’on interviewe ces manifestants, fiers de leur éducation universitaire, de les entendre dire et redire qu’ils « paient des taxes » et qu’ils ont donc des droits spéciaux. Les Chemises rouges (comme sont appelés les gens des provinces qui soutiennent le gouvernement) sont qualifiés sans ambages de « buffles » – c’est-à-dire de gens stupides – par ces Bangkokois. Et certainement, les sino-Thaïlandais des grandes villes ont probablement plus d’affinités avec les habitants de Hong Kong ou de Singapour où ils aiment faire leur shopping qu’avec les habitants des provinces de leur propre pays.

C’est peut-être pour cette raison que leur perception des ruraux du royaume est dépassée. Leur vision se réfère à une réalité qui était peut être vraie il y a trente ans, mais ne l’est plus.

D’autres facteurs rendent cette crise de transition particulièrement sévère, au premier plan desquels la fin proche du règne du roi Bhumibol Adulyadej, âgé de 86 ans et de santé fragile – un règne entamé en 1946 et qui est le plus long de l’histoire du pays. L’identité nationale du pays a été fondée au début du XXème siècle sur le triptyque Nation-Religion-Roi, mais ces trois piliers sont en voie d’érosion accélérée.

La crise politique de ces derniers mois a mis en évidence une nouvelle montée des régionalismes. Les Chemises rouges dominent le nord-est, le nord et le centre et s’opposent au sud bouddhiste, fief des forces conservatrices (ou Chemises jaunes). La rébellion ethno-religieuse du sud à majorité musulmane relativise la position du bouddhisme – fragilisé par la corruption et les scandales de mœurs au sein de la communauté monastique – comme critère absolu de la citoyenneté thaïlandaise. La famille royale, dont l’image a été utilisée à l’excès par la Chemises jaunes dans leur campagne politique, ne parvient plus à exercer le rôle de ferment national comme par le passé. La Thaïlande doit se redéfinir et elle y semble mal préparée. Selon plusieurs analystes, cette quête d’elle-même pourrait encore durer entre dix et vingt ans.

Source RFI : 25/04/2014

Voir aussi : Rubrique Asie, Thaïlande,

Bangkok en feu

bangkok

Immeuble en feu Bangkok 19 mai 2010. Photo AFP

Une ville en feu. Des centres commerciaux ravagés. Des combats de rues sans merci entre des militants antigouvernementaux armés de bombes artisanales et de grenades, et des conscrits forcés de tirer sur des Thaïlandais souvent originaires de la même province qu’eux, voire du même village.

Les autorités thaïlandaises ont reconduit jeudi pour trois nuits supplémentaires le couvre-feu imposé dans la nuit de mercredi à jeudi à Bangkok et dans 23 provinces. La mesure a été cependant un peu assouplie puisque le couvre-feu débutera à 21h00 (14h00 GMT) pour se terminer à 05h00, contre de 20h00 à 06h00 la nuit dernière.

«Le centre de gestion des situations de crise (CRES), présidé par le Premier ministre Abhisit Vejjajiva, a décidé d’imposer le couvre-feu pour mieux assurer la sécurité et lutter contre les activités» des fauteurs de troubles, a indiqué Dithaporn Sasasmit, un porte-parole de l’armée.

Il a précisé que «la police et l’armée avaient indiqué au Premier ministre que le couvre-feu avait facilité leur tache» la nuit dernière, alors que des incendies et des violences s’étaient déclarés à Bangkok à la suite de l’assaut lancé contre le camp retranché des «chemises rouges».

AFP

Bain de sang à Bangkok

Bangkok l'armée les pieds dans le sang des chemises rouges

Bangkok l'armée les pieds dans le sang des chemises rouges

Les manifestants pacifistes thaïlandais, qui se heurtent à l’armée autour de leur camp retranché à Bangkok, ont demandé dimanche une négociation sous l’égide de l’ONU pour ne pas ajouter de victimes à un bilan déjà établi à 31 morts et 230 blessés depuis trois jours. Acculés par l’armée dans le quartier qu’ils occupent depuis le début du mois d’avril, les  chemises rouges demandent au gouvernement de retirer ses soldats, alors que les combats se poursuivaient dimanche dans les rues de la capitale.

Mais le gouvernement a immédiatement opposé une fin de non recevoir. Il rejette toute intervention de l’Onu et réclame la reddition des leaders de la contestation. Cette fermeté croissante des autorités douche tout espoir de compromis .

Un porte-parole de l’armée, a expliqué que les soldats étaient autorisés à tirer sur les manifestants s’ils s’avancent à moins de 36 mètres des lignes tenues par l’armée. Les « rouges » ont de leur côté renforcé la défense de leur « camp retranché », pendant que certains d’entre eux menaient des opérations de guérilla urbaine avec cocktails Molotov, pierres, engins incendiaires…

Voir aussi : rubrique Asie Thaïlande, Une balle dans la tête du général, Les chemises rouges acceptent la médiation, nouveau rassemblement des  chemises rouges, Lien externe entretien avec Olivier Guillard directeur de recherche de l’IRIS,

Thaïlande: nouveau rassemblement des « Chemises rouges »

chemises-rouge-2704Le mouvement anti-gouvernemental des « Chemises rouges » organisera une nouvelle manifestation mardi pour faire pression sur le gouvernement, a annoncé hier un de leurs principaux leaders. Le rassemblement  est programmé aujourd’hui puisque le gouvernement tente toujours de disperser le meeting des « Chemises rouges, » a déclaré le chef du mouvement Natthawut Saikua, selon l’Agence de presse thaïlandaise.

Sans fournir plus de détails, Natthawut a indiqué que les  » Chemises rouges » ne seront pas seulement sur le principal site des manifestations mardi. Les « Chemises rouges » ne craignent pas que le gouvernement ne reprenne le lieu des manifestations du carrefour Rathchaprasong, a lancé Natthawut.

Les « Chemises rouges » occupent le quariter des affaires de Bangkok depuis le 12 mars pour réclamer la dissolution du Parlement et l’organisation des élections anticipées.

Voir aussi : Lien externe entretien avec Olivier Guillard directeur de recherche de l’IRIS,