Printemps des Comédiens. Séducteur impie des temps modernes

Photo Brigitte Anguerante


Bouchaud un Dom Juan diablement crédible Photo Brigitte Anguerante

A l’affiche du Printemps des Comédiens Cold Blood du  collectif Kiss & Cry et l’audacieux   Dom Juan  de Jean-François Sivadier

A l’image de cette 30e édition du Printemps des Comédiens, la soirée de jeudi oscillait entre texte du répertoire et recherche de nouvelles formes. Le festival reçoit la dernière création du collectif Kiss & Cry Cold Blood. Surprenant attelage composé de la chorégraphe Michèle Anne de Mey et du cinéaste Jaco Van Dormael.  La troupe avait subjugué le public il y a deux ans avec Kiss & Cry en associant simultanément spectacle chorégraphique, séance de cinéma et making of du film.

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Cold Blood, reprend le même principe technique consistant à déplier au fil de saynètes et de tableaux minimalistes un scénario s’appuyant sur le registre de  fables universelles. Autre surprise, pour ceux qui découvrent le procédé pour la première fois, la  dimension chorégraphique s’anime par les mains ou les doigts devenus des personnages, que l’on observe évoluer, sous les feux de la rampe. Dans Cold Blood, l’éclat visuel est une nouvelle fois au rendez-vous grâce aux qualités techniques et esthétiques des prises de vues, celles requises pour être un bon chef opérateur.

Le principe narratif appuyé joue beaucoup sur l’effet visuel. Le scénario reste assez proche de Kiss & Cry qui reposait sur la question : Où vont les gens quand ils disparaissent de notre vie, de notre mémoire ?  Il s’agit cette fois d’appréhender la mort en sept épisodes distincts et de faire quelques pas dans un au-delà assez stéréotypé.

On songe parfois aux publicités  bien léchées pour les assureurs ou les banques. L’ensemble vise à séduire le spectateur que l’on accompagne dans ses émotions grâce aux belles images que l’on produit sous ses yeux. Passé l’effet de surprise,  la nécessité de calcul  laisse peu de place à la vie pourtant visible sur le plateau. On reste sur notre faim en terme de jeu de réciprocité et d’intensité dramatique.

De la séduction à l’angoisse

Attendu au festival en 2014, le Misanthrope de Jean-François Sivadier n’est jamais arrivé, son Dom Juan aux épisodes condensés accumule les instants passionnés et fait chavirer les coeurs. La mise en scène s’apparente à une symphonie du désordre totalement jubilatoire.

Face au mythe du désir et de la mort, les comédiens sont absolus. Le couple Bouchaud (Dom Juan), Guédon (Sganarelle) se livre entièrement dans une interprétation complice que ne renierait pas Camus qui voyait en Dom Juan, l’incarnation même de la représentation.  Où l’on saisit  que Dom Juan qui drague des spectatrices, chante Sexual Healing  de Marvin Gaye , lit des extrait de La philosophie dans le boudoir du divin marquis, est un être de rupture qui  résonne furieusement avec notre temps.

A travers ces deux spectacles la démonstration est faite qu’un spectacle novateur peut être bien moins surprenant qu’une pièce de répertoire totalement dépoussiérée.

JMDH

Source La Marseillaise 11/06/2016

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L’inquiétante dérive des intellectuels médiatiques

Gisèle Sapiro

Gisèle Sapiro

De petites, et précieuses, lumières pour éclairer le chemin… Le blog poursuit la reprise d’articles qui comptent. Voici un excellent texte de Gisèle Sapiro, sociologue, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, publié par Le Monde. Gisèle est auteure de « La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (XIXe-XXe siècle) », publié au Seuil, en 2011, et elle a participé au livre dirigé par Pascal Durand et Sarah Sindaco « Le discours “ néo-réactionnaire”», publié aux éditions du CNRS.

Gisèle n’a pas prévu de se présenter aux primaires, justement parce qu’elle est une secondaire.

Alors que l’un d’entre eux vient de mourir (André Glucksmann) les intellectuels envahissent plus que jamais l’espace public. Ils profitent de la prudence des chercheurs, qui, souvent, hésitent à livrer des diagnostics complexes dans un format réduit, et de celle des écrivains, qui préfèrent laisser la parole aux experts. Ceux-ci comme ceux-là ont retenu la leçon du philosophe Michel Foucault, qui invitait les intellectuels à se cantonner dans leur domaine de spécialisation plutôt que de parler à tort et à travers, sans pour autant renoncer à porter un regard critique sur la société à la manière de l’expert. Foucault opposait ce mode d’intervention de « l’intellectuel spécifique » à la figure sartrienne de « l’intellectuel total ».

Or, ce qui caractérise les intellectuels médiatiques, c’est précisément qu’ils sont capables de parler de tout sans être spécialistes de rien. Pénétrés de leur importance, ils donnent leur avis sur tous les sujets, par conviction sans doute, mais aussi et surtout pour conserver leur visibilité. Car la visibilité médiatique n’est pas donnée, elle se construit, elle s’entretient. Aussi sont-ils prompts à s’attaquer les uns les autres pour tenir en haleine les médias et le public, même si force est de constater qu’on est loin du panache d’un duel entre Mauriac et Camus.

La forme que prennent leurs interventions varie selon qu’ils sont plus ou moins établis, qu’ils occupent une position plus ou moins dominante : on peut ainsi distinguer les « notables » des « polémistes ». Forts de l’assurance des dominants, les « notables » parlent lentement, pèsent leurs mots, pour leur donner plus de poids, ils écrivent dans un style classique qui doit incarner les vertus de la langue française tout en touchant le plus de monde possible – car parallèlement aux apparitions publiques, il s’agit aussi de vendre des livres. Leur propos est moralisateur, ils prétendent incarner la conscience collective, même lorsqu’ils représentent des positions minoritaires. Les « polémistes » se caractérisent, quant à eux, par leur style pamphlétaire, ils parlent vite, pratiquent à l’oral comme à l’écrit l’invective et l’amalgame, assènent des jugements à l’emporte-pièce, avec des accents populistes. Ils sont coutumiers des revirements calculés qui sont autant de coups médiatiques.

Droitisation

Si les intellectuels médiatiques se recrutent dans toutes les tendances politiques, l’essentiel étant d’afficher sa différence, on n’en observe pas moins une droitisation de cette scène qui coïncide avec le phénomène identifié sous l’étiquette « néoréactionnaire ». Parmi les facteurs explicatifs de cette droitisation, il y a d’abord le vieillissement social, la scène en question ne s’étant pas beaucoup renouvelée depuis son émergence à la fin des années 1970 autour des « nouveaux philosophes ». On a vu ainsi d’anciens maos devenir des thuriféraires de la pensée néoconservatrice, des révolutionnaires d’hier appeler au retour à l’avant Mai 68, événement maudit dont découleraient tous les maux du présent. Jouent aussi les gratifications sociales, les réseaux de relations au sein du champ du pouvoir, les opportunités qui s’ouvrent dans des moments de reconfiguration des alliances politiques, comme ce fut le cas lors de la candidature de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Sa stratégie fut de tenter de rallier des intellectuels et des artistes identifiés à gauche, et elle rencontra un certain succès.

Aujourd’hui, c’est le Front national qui a entrepris de déployer une telle stratégie de séduction à l’égard des intellectuels et des artistes, en constituant entre autres un collectif Culture, libertés, création – excusez du peu ! Si pour l’heure, ce collectif n’a réussi à rassembler que d’illustres inconnu(e)s, qu’en sera-t-il demain ? La question se pose d’autant plus que l’afflux des migrants fuyant la guerre ou la pauvreté a suscité, à côté des manifestations d’empathie et de la mobilisation de larges fractions des populations européennes pour leur venir en aide, ou plus exactement contre elles, des réactions de xénophobie aiguë qui, pour être classiques, n’en sont pas moins inquiétantes. Nourries de l’islamophobie ambiante, ces réactions, dont le mouvement allemand Pegida [Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident] constitue l’expression la plus extrême et la plus organisée, révèlent des peurs profondes de nature diverse, qu’elles soient d’ordre « identitaire » ou économique.

Or ces craintes ont été largement attisées par nombre d’« intellectuels » médiatiques qui se sont érigés en gardiens de « l’identité » collective, qu’elle soit française ou européenne, contre les « barbares » à nos portes et parmi nous. Au lieu d’opérer les distinctions qu’impose une analyse lucide, ils pratiquent l’amalgame jusqu’à imputer des actes terroristes à une religion en tant que telle. Leur responsabilité dans la légitimation des réactions de peur et de haine, voire dans leur exacerbation, est grande. Or ce discours protectionniste, qui essentialise les identités et les cultures, n’est plus l’apanage de la droite conservatrice ou « néoréactionnaire », et c’est peut-être là que réside le point de bascule. Des intellectuels se disant de gauche ont dévoilé leurs réflexes de défense identitaire, ils ont mis en concurrence les populations démunies en fonction de leur origine géographique, iront-ils jusqu’à suggérer qu’il faudrait pratiquer ce que le FN appelle la « préférence nationale » ?

Drumont, Maurras

La présence de ce type de discours « néoconservateur » ou « néoréactionnaire » dans l’espace public n’a rien de nouveau. La figure du polémiste d’extrême droite a des antécédents tristement célèbres en la personne d’un Drumont, d’un Maurras ou d’un Brasillach. A cette différence près que ceux-ci n’étaient pas des intellectuels médiatiques mais des journalistes dans une presse d’opinion où toutes les tendances étaient représentées. L’envahissement par ces « intellectuels » médiatiques d’une presse qui se veut d’information avant tout sature l’espace public de leur discours, donnant l’impression qu’ils sont les seuls survivants d’une espèce en voie de disparition : les intellectuels. Alors même que cette presse sait faire appel aux avis éclairés de chercheurs et d’universitaires sur des questions précises, leurs analyses se trouvent noyées dans le flot du discours omniprésent de quelques individus, toujours les mêmes, des hommes, blancs, qui ont dépassé la cinquantaine, et qui prétendent parler au nom de la collectivité, la « nation », le « peuple », l’« Europe ».

Les médias ont une responsabilité dans cette monopolisation de l’espace public. Même les tentatives de rééquilibrage ne font que renforcer le phénomène. Il faut y voir ce que Pierre Bourdieu appelle un « effet de champ » : la nécessité de se positionner les uns par rapport aux autres, de traiter des mêmes sujets. Le succès rencontré par les hebdomadaires qui consacraient des dossiers à ces intellectuels a entraîné dans son sillage la presse quotidienne. Les médias audiovisuels ont joué un rôle de premier plan. Car ces non spécialistes ont en commun une compétence qui fait défaut à la plupart des chercheurs et universitaires plus familiers de la chaire et des échanges entre pairs : ils maîtrisent fort bien les règles de ces hauts lieux de visibilité. Ils « passent » bien à la télévision ou à la radio. Cela contribue-t-il à expliquer ce qui n’en demeure pas moins un mystère, à savoir, pourquoi ils suscitent un tel intérêt auprès du public ?

Source : Blog 20mn Actualités du droit 06/02/2016

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L’expo Gallimard, Un siècle d’édition au Musée Fabre

Par Jean-Marie Dinh

L’expo Gallimard, Un siècle d’édition accueillie au Musée Fabre, retrace une affaire de famille. Ce que donne à voir la première salle d’exposition en localisant les lieux d’implantation successifs de la maison d’édition le confirme. Les images évoquent plutôt le cadre chaleureux d’un foyer, où le bureau du directeur jouxte la salle des auteurs, que les centres d’affaires impersonnels où se façonnent aujourd’hui les grands traits de l’hégémonie culturelle.

Lors de l’inauguration de l’exposition à Montpellier, Antoine Gallimard, un homme en phase avec son temps, a fait cette remarque à propos de l’histoire de son entreprise : « J’éprouve tout à la fois un sentiment de proximité et d’éloignement. » Comme si le Pdg de Gallimard s’interrogeait sur le destin de la maison, une des dernières réellement indépendantes à cette échelle. Il s’est ensuite attardé sur l’amitié que  tissent à Montpellier Gide et Paul Valery en 1890. Cette relation se poursuivra dans les méditations entretenues par les deux jeunes auteurs sur le rôle de la littérature. « A l’heure du numérique, on dit la littérature menacée, mais elle résistera sous différentes formes parce qu’elle nous permet de vivre », affirme Antoine Gallimard.

Le patron de la librairie Sauramps, Jean-Marie Sevestre, qui entretient une complicité de longue date avec l’éditeur confirme : « Montpellier est une ville de lecture, une ville culturelle, une ville intellectuelle, si nous sommes là aujourd’hui c’est grâce à cet entourage. » Mais si le terreau de matière grise montpelliérain était fertile, il a aussi fallu la volonté politique de l’Agglo, qui prend en charge le budget de l’exposition (200 000 euros) et, à la différence de Paris, permet le libre accès à un siècle d’histoire littéraire.

 

L'inauguration à Montpellier

L’esprit Maison

La création de Gallimard en 1911 fait suite à la volonté de La Nouvelle Revue Française de prolonger l’aventure  intellectuelle de la revue en éditant des auteurs auxquels elle croit. Le 31 mai 1911, André Gide et Jean Schlumberger qui président à la destiné de la NRF signent avec Gaston Gallimard l’acte de naissance des Editions Gallimard.

La première partie de l’exposition est consacrée au  processus de l’édition. On découvre l’esprit d’ouverture de la maison, du premier livre de la collection blanche L’otage de Claudel au lancement de la série noire en 1945 par Marcel Duhamel avec les traductions  de La môme vert-de-gris de Peter Cheyney ou du célèbre Pas d’orchidée pour Miss Blandish de James Hadely Chase. Dès 1919, Gaston Gallimard se lance dans l’édition pour enfant avec  Macao et Cosmage dont l’histoire merveilleusement illustrée délivre un message écologique avant l’heure. Chez Gallimard, on a le goût du livre pour le fond et la forme.

La seconde partie du parcours donne à comprendre la complexité du métier d’éditeur. La stratégie éditoriale à long terme implique une gestion faite d’interventions multiples, des relations délicates avec des auteurs comme Camus, Céline, Giono, Sartre, Breton, Michaux… aux adaptations techniques, politiques et commerciales.

L’exposition fait sortir de la confidentialité des documents exceptionnels. A travers les extraits de correspondances, le visiteur trouvera des éléments clés pour approfondir les œuvres des plus grands auteurs du XXe et saisir le contexte de leur époque. A découvrir crayon ou iPhone en main.


Musée Fabre : Gallimard Un siècle d’édition jusqu’au 3 novembre

 

La bibliothèque de la Pléiade ici et maintenant

Musée Fabre. Gros plan sur les petites lettres d’une prestigieuse collection dans le cadre de l’expo Gallimard.

La bibliothèque de la Pléiade est une collection de référence qui rassemble les plus grandes œuvres du patrimoine littéraire. Abritée par les éditions Gallimard depuis 1933, le premier exemplaire est édité par Jacques Schiffrin qui publie le premier tome de l’œuvre de Baudelaire en septembre  1931. L’idée d’offrir au public des œuvres complètes d’auteurs classiques en format poche compact intéresse André Gide qui intercède en faveur de son ami Schiffrin auprès de Gaston Gallimard pour que celui-ci reprenne sa bibliothèque.

Dans la dernière salle de l’exposition Gallimard Un siècle d’édition, on peut appréhender l’impact de cette collection prestigieuse sur les auteurs à travers différentes correspondances. Deux ans après la disparition de Camus (1), René Char renonce à écrire la préface des œuvres de son ami (2) à paraître dans La Pléiade : « Je dois ajouter que l’affection fraternelle que j’éprouvais pour Camus fait encore écran à mes possibilités de jugement touchant son œuvre grande ouverte. »

Soucieux de la postérité de son œuvre, Céline manifeste dès avril 1951 le désir d’entrer de son vivant dans La Pléiade. C’est assez rare. Gide, Montherlant, Malraux y sont parvenus. Sa demande tourne à l’obsession. Un contrat est signé en 1959, mais le premier volume de ses œuvres ne paraît qu’en 1962. Quelques mois après sa mort.

A l’inverse, Henri Michaux prie son éditeur de ne pas le faire entrer dans La Pléiade. Le poète assimile cette reconnaissance imprimée sur papier bible à un enfermement, au fait de devenir définitivement un professionnel alors qu’il revendique son statut d’amateur. « Nous ne sommes pas un répertoire des monuments historiques de la littérature française ou internationale. Nous proposons des œuvres susceptibles d’être lues, ici et maintenant même si elles ont été écrites ailleurs, il y a trois, cinq ou vingt siècles », affirme aujourd’hui Hugues Pradier qui conduit cette Rolls-Royce de l’édition.

(1) Camus dispose à partir de 1946 d’une collection chez Gallimard qu’il baptise « Espoir »
(2) Concernant la relation Char Camus voir correspondance 1946-1957, Gallimard 2007.

Voir aussi : Rubrique Exposition, rubrique Edition, rubrique Livre,

Mécif dans les traces profondes d’André Richaud

Pour commencer, il faut trouver un endroit tranquille avant d’ouvrir le livre d’Yvan Mécif sur André de Richaud. Car convenons en, comme le disait Benjamin Franklin, en matière de biographie,  » Le défaut de soin fait plus de tort que le défaut de savoir « . Vision de Richaud, comme son titre l’indique, n’est d’ailleurs pas un travail biographique. C’est un essai sur la complexité de rejoindre la réalité, l’impossibilité et à la fois, la tentation du silence. Yvan Mécif entre dans le parc sauvage, nous transportant là où l’écriture s’impose comme une seconde respiration au cœur d’une démarche ontologique. Loin des contingences et des dompteurs médiatiques qui font la vie littéraire, ce livre est une tentative pour suivre le chemin d’écriture d’un grand écrivain,  » sa géographie intérieure « .

Richaud, auteur au talent méconnu, est un enfant du Sud et de la Provence. Il naît en 1907 à Perpignan, passe une partie de son enfance à Nîmes, fait ses études à Aix et meurt à Montpellier en septembre 1968. L’écrivain n’a pourtant rien d’un auteur du terroir.  » La ville de mon enfance, je n’ai jamais su son nom. Elle est en moi comme un amas de maisons anonymes, de squares que je ne peux appeler du fond de mon souvenir. C’est pour cela que lorsque je vous entends tous parler de celle qui vous a vus petits, mes yeux deviennent vides, un peu luisants de larmes ; regard tourné vers quelques syllabes qui se refusent.  » Un court essai sur Delteil lui vaut les sympathies de l’écrivain qui soutient son premier roman la Douleur, paru en 1930. Son œuvre, surtout romanesque l’Amour fraternel, La fontaine des lunatiques, déconcerte par l’obsession du crime qui y fait jour. Malgré le soutien de Camus et Cocteau, on le considère comme un marginal, sa nonchalance et son penchant pour l’alcool n’arrangent rien. Reflet parcellaire, démontre brillamment Yvan Mécif, qui s’aventure au pays inconnu de l’inspiration. Ironie du sort ou vertu de l’équivoque, c’est un récit paru en 1965 sous le titre Je ne suis pas mort qui vaut à Richaud son retour à l’avant scène.  Dans son refus de l’autre comme dans l’impuissance qu’il met en lumière Richaud écrit :  » Adieu les autres ce n’est pas le moment d’être hypocrite chacun de mes mouvements vous inonde de mort allez-vous en allez-vous en que je vous voie longtemps ne plus penser à moi.  » Loupé.

Vision de Richaud éditions Christian Pirot 20 euros

Salah Stétié : Une restitution de l’identité par la cruauté

 

Voix de la Méditerranée . En échos des rêveries, le poète libanais Salah Stétié explore à Lodève  le fracas créatif des batailles de la civilisation.

 

« Seule une quête, une conquête, donnera vie à ce qui n'a plus de vie ». Photo DR

« Seule une quête, une conquête, donnera vie à ce qui n'a plus de vie ». Photo DR

Salah Stétié figure comme un grand itinérant du songe et de l’action. A Lodève, on a pu goûter la substance étincelante de son œuvre poétique. Mais l’homme de culture, qui a mené une double carrière de diplomate et de poète, souhaitait intervenir sur un registre plus large pour aborder le vaste héritage que cette petite mer n’a cessé de léguer au monde. Une volonté exprimée et reçue par Maïthé Vallès-Bled, la directrice du festival.

Le propre des évidences est de se transformer en transparence. Ce que Stétié s’est efforcé de combattre à travers toute son œuvre.

A la tombée du jour, dans le Cloître de la cathédrale, le poète débute en posant quelques parcelles de réalité souvent dissimulé par l’actualité brûlante. « Platon, Aristote, Augustin Averroès, Maimonide se bouchent le nez et baissent les yeux, Moïse, Jésus, Mahomet, se détournent. Ont-ils définitivement retiré leurs anges ? » questionne l’ancien délégué du Liban auprès de l’UNESCO. S’interrogeant sur ce que constitue la Méditerranée, il évoque le concept de personne morale. A travers l’ensemble de l’histoire méditerranéenne, le monde d’aujourd’hui, se trouve en souffrance. L’épopée des trois grandes religions monothéistes, dont elle fut le berceau, et avec elles, toutes les bases philosophiques de la réflexion des hommes.

Les nouveaux monstres

Pourtant, sous la fragmentation de sa surface, la civilisation méditerranéenne n’a jamais cessé d’être animée par le même mouvement de violence. Pour Salah Stétié, le principal débat se situe du côté de l’imaginaire. Là où par de singuliers détours, on croise les monstres. Sphinx, Minotaure, Hydre, Méduses et autre Cyclope peuplent l’esprit des peuples.  Mais il s’est toujours trouvé des hommes pour s’en débarrasser. « Les Méditerranéens sont armés pour la confrontation. Parce qu’ils ont su jadis, décomposer les monstres, ils sauront ne pas se laisser atteindre par ceux qui, aujourd’hui, dominent monstrueusement notre civilisation ». Et l’orateur de décrire le nouveau monstre sous un autre jour. Celui des machines qui endommagent sérieusement ce qu’il y a d’humain dans l’homme. Comme hier, la mythologie de notre modernité fait peur. « Bientôt l’idole robot en arrivera à nous expatrier dans notre propre maison et à nous exiler de notre propre seuil. Bref tout ce qui nous fut Méditerranée va mourir. A cette lumière, on réalise combien l’univers mental de chacun, serait appauvri si venait à lui être retiré tout ce qu’il a su accueillir de ces rivages, dans les domaines de la création artistique, littéraire et spirituelle. A cet égard, il est frappant de constater comment les tenants du pouvoir négligent cette dimension d’accomplissement. Discret dédain de la politique lorsqu’elle croise les civilisations sur son chemin…

 

Dialectique de la cruauté

Empêcher un tel effacement, se révèlerait contraire aux cultures de la Méditerranée soutient pourtant Salah Stétié. Eclairant les arcanes de son espace à travers l’histoire, il rappelle comment Rome détruisit la Grèce, la Syrie et l’Egypte, comment fut brûlée la bibliothèque d’Alexandrie, comment mourut sous le coup, des rois très catholiques, la flamboyante Andalousie, comment l’espace de l’inquisition se dévora lui-même. Comment l’Algérie fut détruite une première et une deuxième fois, comment les Balkans, le Liban, la Palestine, la Bosnie… Et pause ce qu’il nomme, la dialectique de la cruauté comme fil conducteur de l’histoire méditerranéenne. « On voit à travers tant de destructions, comment la faiblesse peut devenir une autre forme de la force. Comme le christianisme démantela la Rome et ses aigles de bronze. Comment un petit Corse deviendra Napoléon, non sans avoir trouvé le temps dans la plus vaste et la plus sanglante des confusions historiques de laisser un code et des lois pour les hommes. »

Réconcilier les contraires

Cette violence, qui déferle sur nous comme des vagues, mérite d’être évaluée, souligne Stétié, citant le génie de Picasso qui fait éclater le grand miroir des apparences. « Ce qu’il veut n’est rien d’autre que la fin de l’homme dans la fin sinistre et joyeuse du monde. De l’apparente destruction naîtra pour Picasso une affirmation majorée, une restitution de l’identité. Seule une quête, une conquête, donnera vie à ce qui n’a plus de vie. Il en est ainsi d’Orphée réfléchissant à la porte des enfers, de Camus pour qui la vie humaine commence de l’autre côté du désespoir. Les plus noires des tragédies vécues en Méditerranée sont des tragédies de l’identité. En réconciliant les contraires, Antigone en est un des symboles fondamentauxElle incarne l’accomplissement suprême de l’imaginaire et du mystère méditerranéen. » A en croire le poète libanais, cette violence si singulière constitue un socle. Lieu d’élaboration de toute culture, ou chaque religion, va puiser pour explorer le réel

Serait-ce, comme nous l’enseignent les rivages de cette petite mer bleue, à l’envers des choses que se trouvent leurs réalités ?

Jean-Marie DINH

 

Voir aussi : rubrique Rencontre Amin Maalouf , Sapho, rubrique Poésie, Voix de la Méditerranée le contenu d’une union , Les mille feux d’une conviction poétique, L’espace des mots de Pierre Torreilles,