Le Pakistan à la recherche d’un nouveau chef pour sa puissante armée

le general Ashfaq Kayani-

Le general Ashfaq Kayani

Islamabad — Après la première transition démocratique de son histoire, le Pakistan s’apprête à prendre une décision tout aussi cruciale avec le remplacement du chef de son armée, l’institution la plus puissante de ce pays en théorie allié des Etats-Unis dans leur « guerre contre le terrorisme ».

Le général Ashfaq Kayani, nommé en 2007 à la tête de l’armée, puis reconduit en 2010 pour un mandant de trois ans, a annoncé dimanche qu’il allait tirer sa révérence le 29 novembre prochain coupant court aux rumeurs selon lesquelles il cherchait à s’accrocher à son poste.

Sa déclaration ouvre officiellement la course à la chefferie d’une armée de 600.000 hommes confrontée à des défis internes, allant de la montée en puissance des talibans pakistanais à son crédit entamé par le raid de la CIA contre Oussama Ben Laden à Abbottabad, où est établi la principale académie militaire du Pakistan.

A quoi s’ajoutent des enjeux externes comme les relations avec les Etats-Unis et l’Inde rivale, et le rôle du Pakistan dans le futur de l’Afghanistan après le retrait des forces de l’Otan.

Selon des analystes pakistanais, le nouveau chef maintiendra une approche pragmatique avec les Etats-Unis, premier bailleur étranger de l’armée, et tentera aussi de ne pas contrecarrer les efforts politiques pour améliorer les relations indo-pakistanaises.

Un choix stratégique

Le Premier ministre Nawaz Sharif choisira sous peu le nouveau chef de l’armée parmi une liste de candidats fournie par le général Kayani.

Or, M. Sharif, élu en mai Premier ministre pour la troisième fois, devra se montrer prudent, après avoir promu Pervez Musharraf chef des armées à la fin des années 90. Le général Musharraf l’avait remercié en le renversant quelques mois plus tard….

Lors des élections législatives de mai, qui ont permis pour la première fois de l’histoire du pays à un gouvernement issu des urnes de passer le flambeau à un autre après avoir complété un mandat de cinq ans, le général Kayani s’était tenu à l’écart de la joute politique.

« Le mandat de Kayani à la tête de l’armée représente un pas en avant pour la transition démocratique au Pakistan car il a établi une nouvelle référence en dépolitisant le rôle de chef de l’armée », dans un pays ayant connu trois coups d’Etat depuis sa création en 1947, estime l’analyste pakistanais Imtiaz Gul.

Un chef pro-américain

Dans le cercle des intimes, quatre noms circulent pour prendre la relève du général Kayani, dont le lieutenant général Haroon Aslam, chef de la logistique de l’armée qui avait pris part à l’opération militaire contre les rebelles talibans dans la vallée de Swat (nord-ouest) en 2009.

Le général Rashad Mehmood, actuellement chef d’état-major, le lieutenant général Raheel Sharif, chef de l’entraînement et de l’évaluation du personnel, et Tariq Khan, ancien chef des paramilitaires dans le nord du pays ayant mené de nombreuses opérations de contre-insurrection, font aussi partie des favoris.

Malgré des relations houleuses entre le Pakistan et les Etats-Unis, Washington soupçonnant entre autres Islamabad de jouer un « double jeu » dans la lutte contre les combattants islamistes comme l’a démontré l’épisode d’Abbottabad, l’armée pakistanaise reçoit toujours l’aide financière de son allié américain.

Au cours de la dernière décennie, Washington a fourni plus de 23 milliards de dollars en aide au Pakistan, principalement militaire, selon les données du Congrès américain.

« Aucun chef de l’armée ne peut être anti-américain, car l’armée dépend en grande partie de l’aide américaine pour l’équipement et le soutien technique », explique Talat Masood, un général à la retraite. « Chacun des quatre candidats cités maintiendra des relations… » avec les Etats-Unis, pense-t-il.

Le prochain chef de l’armée cherchera certainement à « normaliser les relations avec l’Inde » afin de concentrer ses ressources sur les zones tribales près de la frontière afghane, sanctuaire des talibans pakistanais qui multiplient depuis leur création en 2007 les attaques contre les forces pakistanaises, estime M. Masood. « L’armée ne peut être engagée sur deux fronts à la fois », résume-t-il.

Ce qui reste moins clair toutefois est de savoir ce que peut faire l’armée pour juguler l’influence des insurgés locaux. Le général Kayani soutient l’offre de dialogue du gouvernement aux insurgés, mais le soutien populaire à cette politique de la main tendue s’est érodé depuis une vague récente d’attentats.

 Nasir Jaffry

Source AFP

Voir aussi : Rubrique Pakistan, rubrique Etats-Unis, rubrique Politique internationale, On Line, Les USA débloquent 1,6 Md $ d’aide au Pakistan,

La mort de Ben Laden

Dans la nuit de dimanche à lundi 2 mai, une unité des forces spéciales américaines a abattu Oussama Ben Laden dans la ville pakistanaise d’Abbottabad.

La deuxième mort du fondateur d’Al-Qaida

Le hasard fait, parfois, bien les choses. L’homme qui a incarné le djihadisme international meurt au moment où le « printemps arabe » vient de porter un coup à ce fantasme totalitaire. Dès lors que les peuples arabes se révoltent au nom de la démocratie et non de l’islamisme ou du retour au califat prônés par Al-Qaida, Oussama Ben Laden était un moribond politique.

C’est presque la deuxième mort du fondateur d’Al-Qaida qu’a annoncée dimanche soir 1er mai le président Barack Obama, en indiquant qu’un commando américain avait tué Ben Laden au Pakistan.

Le premier avis de décès, politique celui-ci, du dissident saoudien, on pouvait le lire dans les slogans des manifestants de Tunis et du Caire. Y transparaissaient non pas la haine de l’Occident, « des croisés et des juifs », la haine de l’Amérique, cris de ralliement habituels de Ben Laden, mais un désir de liberté et de démocratie, deux « valeurs » abhorrées par le chef djihadiste. Dans le monde arabe, au moins, Ben Laden avait perdu la bataille : la révolte en cours ne célèbre pas l’islamisme, cette illusion mortelle que portait le chef d’Al-Qaida selon laquelle le retour au califat et à l’islam des origines est la réponse à tous les problèmes des pays musulmans – voire à ceux du monde entier.

Ben Laden meurt au moment où la capacité de mobilisation et d’entraînement de l’islamisme est sur le déclin. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’attentats. Ni même qu’Al-Qaida et ses filiales maghrébine et sahélienne ne séviront plus. Il y aura toujours des groupes se réclamant de la marque pour tuer et enlever, ici et là. Le Maroc vient d’en faire l’expérience. Ce culte de la violence la plus aveugle n’est pas le seul héritage laissé par Ben Laden. L’homme qui disparaît a profondément marqué – pour le pire – ce début de XXIe siècle. Oussama Ben Laden, ce fils d’une riche famille saoudienne qui fit ses premières armes dans la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan, a façonné le paysage stratégique qui est le nôtre.

Parce qu’ils ont cru devoir répondre par la guerre aux attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis sont toujours empêtrés dans deux conflits : en Irak et, surtout, en Afghanistan. Ces aventures les ont épuisés militairement, budgétairement ; elles ont durablement terni leur image dans le monde arabo-musulman. M.Obama va pouvoir tirer profit aux Etats-Unis de l’élimination de Ben Laden; il n’en reste pas moins enlisé dans l’imbroglio afghan.

L’héritage encore : Al-Qaida a prouvé qu’un petit groupe pouvait perpétrer un crime de masse. Si Ben Laden, doté d’une arme chimique ou biologique, avait pu tuer non pas 3 000 mais 3 millions de personnes à New York, il l’aurait fait. Cette perspective a posé la lutte contre le terrorisme en priorité absolue. Et, au nom de celle-ci, en Amérique, en Europe et ailleurs, l’obsession sécuritaire a conduit à limiter les libertés publiques. On n’en a pas tout à fait fini avec Ben Laden.

Le Monde (02/05/11)

 

Une intéressante réflexion du journal La Croix

« sans baisser la garde face au danger terroriste, les pays qu’il menace doivent se porter aux côtés des jeunes forces, dans les pays du monde arabo-musulman, qui cherchent des voies nouvelles pour développer leur pays et y instaurer la démocratie. (…) Soutenir ces mouvements avec la même détermination, conclut La Croix, la même persévérance qui furent mises en œuvre pour traquer le chef d’Al-Qaïda, c’est – plus efficacement encore – combattre le terrorisme. »


Chine : une étape importante dans la lutte antiterroriste internationale

La Chine a déclaré lundi soir que la mort d’Oussama Ben Laden constituait une étape importante et un développement positif dans la lutte internationale contre le terrorisme. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Jiang Yu, s’est ainsi exprimé, commentant la mort du leader du mouvement terroriste Al-Qaïda.

Le président américain, Barack Obama, a annoncé dimanche soir que Ben Laden avait été tué lors d’une opération américaine au Pakistan. « La Chine a pris note de cet annonce », a affirmé Mme Jiang. « Le terrorisme est l’ennemi commun de la communauté internationale. La Chine est également une victime du terrorisme », a-t-elle indiqué.

Elle a souligné que la Chine s’était toujours opposée à toutes les formes de terrorisme et participait activement aux efforts anti-terroristes internationaux. « La Chine soutient que la communauté internationale devra établir une coopération afin de lutter ensemble contre le terrorisme », a réitéré Mme Jiang. « La Chine considère qu’il est nécessaire de trouver une solution temporaire et un règlement permanent dans la lutte contre le terrorisme et de faire de grands efforts pour éliminer le sol sur lequel repose le terrorisme pour se développer, » a ajouté la porte-parole chinoise.

Xinhua (3/05/11)

ONU : La mort de ben Laden est un tournant dans la lutte contre le terrorisme

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a estimé lundi que la mort du chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, annoncée par le président américain Barack Obama, constituait un tournant dans la lutte contre le terrorisme à travers le monde et a appelé à se souvenir des victimes.

« La mort d’Oussama ben Laden annoncée par le président Obama la nuit dernière constitue un tournant dans notre lutte commune et globale contre le terrorisme », a dit Ban Ki-moon dans une déclaration à la presse. « Les crimes d’Al-Qaïda ont touché la plupart des continents, causant des tragédies et la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Les Nations Unies condamnent dans les termes les plus forts possibles le terrorisme dans toutes ses formes quels que soient ses objectifs et les lieux où il frappe », a-t-il ajouté.

« C’est un jour pour se souvenir des victimes et des familles des victimes ici aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde », a encore dit le secrétaire général. Il a indiqué qu’il se souvenait personnellement très bien du 11 septembre 2001, alors qu’il se trouvait à New York ce jour-là.« Les Nations Unies continueront à combattre le terrorisme et prendront la tête de cette campagne contre le terrorisme », a insisté Ban Ki-moon.

L’opposition indienne accuse le Pakistan de fournir refuge aux terroristes

Le principal parti de l’opposition indienne, le Bharatiy Janata Party (BJP) a annoncé lundi que la mort d’Oussama Ben Laden au Pakistan avait montré que « le Pakistan fournit de refuge aux terroristes ».

« Il a été tué au Pakistan, tout près de sa capitale Islamabad, cela confirme le fait que le Pakistan reste l’épicentre du terrorisme », a indiqué le porte-parole du BJP Ravi Shankar Prasad. « Les terroristes sont encouragés par le Pakistan qui les fournissent de refuge, et la mort de ben Laden au Pakistan est le plus grand exemple », a-t-il ajouté.

 

Dans la presse européenne

El País – Espagne
Un revers important pour Al-Qaida

Si la mort d’Oussama Ben Laden affaiblit le réseau terroriste Al-Qaida, elle ne le détruira pas, estime le quotidien de centre-gauche El País : « La perte de Ben Laden est un revers cinglant pour Al-Qaida. Il sera difficile de remplacer la force symbolique de son leader. Mais Al-Qaida poursuivra son existence et disposera d’un nouvel émir, probablement de l’Egyptien Aiman Al-Zawahiri. Celui se présente depuis des années comme le stratège du terrorisme mondial, même s’il n’est peut-être pas soutenu par tous les acteurs de ce réseau multiforme. Ces dernières semaines ont été arrêtées en Allemagne trois personnes qui étaient en relation avec la cellule dirigeante d’Al-Qaida et qui se préparaient à commettre des attentats-suicides dans le pays. On continuera à recevoir des nouvelles de ce type dans les années à venir. » (03.05.2011)

România Liber? – Roumanie
La jeunesse musulmane a besoin de perspective

La mort du chef d’Al-Qaida Oussama Ben Laden ne signifie pas la fin du terrorisme, ce dont l’Occident est lui-même coupable, estime le quotidien România Liber? : « Ce combat n’existerait pas si la jeunesse appauvrie du monde islamique disposait d’une véritable alternative aux sociétés archaïques et à la violence qui les entoure. … Mais les données statistiques compilées par les organisations internationales ces dernières années montrent combien la situation de l’éducation est décourageante dans les pays musulmans. … La lutte contre les mouvements comme celui d’Oussama Ben Laden devrait être menée avec des livres plutôt qu’avec des bombes, et c’est l’élite politique, culturelle et aussi économique des Etats musulmans qui devrait la mener, plutôt que les généraux des armées occidentales. L’Occident pourrait jouer un rôle important qu’il n’a jusque là pas assumé avec suffisamment de détermination. C’est une obligation ! Si ce n’est par empathie, du moins pour préserver ses citoyens de nouveaux actes terroristes. » (03.05.2011)

De Morgen – Belgique
La fin du choc des civilisations

Avec la disparition d’Oussama Ben Laden, l’indicible « choc des civilisations » peut aussi prendre fin, espère le quotidien De Morgen : « On peut voir dans la mort de Ben Laden la fin presque symbolique du terrorisme fondamentaliste, mais aussi celle de l’exploitation qui en a été faite pour amplifier et problématiser la contradiction entre monde occidental et monde musulman. … Il n’y a dans l’histoire ni table rase ni rupture soudaine d’un jour à l’autre. … Mais la mort de Ben Laden, associée aux évolutions dans les pays arabes, contribuera à ce que l’on ne puisse plus parler de la politique mondiale en des termes manichéens, ‘noir et blanc’, ‘vous et nous’. Elle ne contribuera pas à ce que l’on abandonne la politique hégémonique, ni à ce que tout devienne rose. Mais la mort d’Oussama Ben Laden et le printemps arabe pourraient augurer une ère où les deux ‘cultures’ ne seront plus hermétiques l’une à l’autre. » (03.05.2011)

Le Monde – France
Les révolutions arabes ont tué le djihad

Oussama Ben Laden est mort politiquement depuis déjà longtemps, écrit le quotidien de centre-gauche Le Monde : « La mort physique d’Oussama Ben Laden fait suite à la mort politique du chef d’Al-Qaida, liquidé par les révolutions démocratiques arabes dont les slogans étaient aux antipodes de son idéologie islamiste radicale. Eût-il été éliminé par George W. Bush durant la guerre contre la terreur, Ben Laden aurait pu servir de martyr à la cause jihadiste, voire d’icône aux mouvements anti-occidentaux divers du monde musulman. Sa mort vient clore une sombre décennie dans les relations entre le monde arabe et musulman et l’Occident, ouverte par les attentats du 11-Septembre et refermée par la révolution du jasmin tunisienne, par la place Tahrir au Caire et par les aspirations des peuples arabes à la démocratie et aux droits de l’homme. » (03.05.2011)
Gilles Kepel

The Times – Royaume-Uni
Le Pakistan mis en cause

Le fait qu’Oussama Ben Laden ait pu se cacher aussi près de la capitale pakistanaise préoccupe le quotidien libéral-conservateur The Times : « Un problème certain de Washington est désormais de savoir comment traiter le Pakistan. Il est difficile de croire que personne ne savait ce qui se trouvait dans ce camp largement fortifié – à quelques centaines de mètres d’une école militaire d’élite. Dans le meilleur des cas, Islamabad est coupable de négligence, dans le pire des cas, de complicité. Les Etats-Unis ont désormais besoin du Pakistan à leurs côtés, notamment pour les prochaines décisions sur l’Afghanistan, et traiteront Islamabad avec un certain tact diplomatique. Il serait toutefois imprudent de se fier à ce gouvernement dysfonctionnel. » (03.05.2011)

Ben Laden était-il « une carte dans le jeu pakistanais » ?

Une carte à jouer du Joker. Photo Myklroventine/Flickr/CC.

Ce n’est pas tapi au fond d’une caverne des zones tribales que Ben Laden a été retrouvé, mais dans une demeure sécurisée d’un quartier peuplé de militaires à Abbottabad, à moins de 100 km d’Islamabad. De quelles complicités l’homme le plus recherché au monde a-t-il bénéficié ? Jean-Luc Racine, directeur de recherches au CNRS, au centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud, analyse le rôle et les motivations du Pakistan dans l’attaque contre le leader d’Al Qaeda.

Lorsqu’il a été attaqué, Ben Laden se trouvait dans une maison protégée par une grande enceinte dans une ville qui abrite une base militaire de l’armée pakistanaise. Cela relance les suspicions sur les liens entre le Pakistan et Al Qaeda…

Le chercheur Jean-Luc Racine

La situation est très opaque. Nous sommes depuis des années dans un jeu d’ombres qui bien sûr posait problème aux autorités américaines. Celles-ci ont fait part récemment de leur « impatience stratégique » aux responsables de l’armée pakistanaise, avec qui les contacts sont très réguliers. On ne sait pas encore exactement ce qui s’est passé. Mais difficile de croire que Ben Laden ait pu vivre à quelque 60 kilomètres d’Islamabad sans que personne de l’Inter-services intelligence (ISI), – les services secrets pakistanais, qui dépendent de l’armée – n’en sache rien.

Comme toujours avec les services pakistanais, cet état de fait traduit des manœuvres très complexes, qui restent en partie sujettes à interprétation : d’un côté, Ben Laden échappe aux traques américaines pendant près de dix ans ; de l’autre, le Pakistan, sous Pervez Musharraf, au pouvoir de 1999 à 2008, a livré beaucoup de responsables importants d’Al Qaeda, dont Khalid Sheikh Mohammad, le « cerveau » du 11 Septembre. Il faut aussi rappeler qu’Al Qaeda a plusieurs fois condamné les responsables pakistanais comme traîtres à l’islam, tout cela dans un contexte où les talibans pakistanais, retournés contre le pouvoir d’Etat, ont mené dans le pays des vagues très meurtrières d’attentats terroristes depuis des années.

On peut imaginer que les services pakistanais aient en quelque sorte gardé en réserve la carte Ben Laden, non parce qu’ils soutiennent sa ligne, mais pour peser dans leurs relations compliquées avec les Etats-Unis. Le véritable enjeu pour eux étant la relation à l’Inde et à l’Afghanistan, un Afghanistan où ils entendent retrouver une influence amoindrie depuis le 11 Septembre et la chute des talibans afghans.

Pourquoi avoir alors permis aux Etats-Unis d’attaquer le lieu où se trouvait Ben Laden ?

Il paraît peu vraisemblable que les services secrets pakistanais n’aient pas été au courant de l’attaque commanditée par les Etats-Unis (d’autant que le commando est venu d’Afghanistan). A tout le moins, ils savaient que les Américains étaient sur la piste de Ben Laden. Et le président Obama s’est félicité, sans précision, de la coopération pakistanaise à cet égard. Bien sûr, vu le degré d’anti-américanisme au Pakistan, il est difficile pour le pouvoir, civil ou militaire, de s’afficher en première ligne dans cette affaire. Mais d’un autre côté, une partie de l’opinion va crier à la violation de la souveraineté nationale si les Américains y sont allés seuls.

Il est possible que le Pakistan ait décidé de livrer Ben Laden aux Américains, non seulement en raison des pressions accrues de Washington, mais aussi parce qu’une part décisive de la stratégie d’Obama en Afghanistan est de dissocier les talibans afghans, avec qui les négociations sont envisageables, d’Al Qaeda. Ce groupe terroriste étant bien la cible-clé d’Obama, comme il l’a encore récemment rappelé.

En affaiblissant Al Qaeda, le Pakistan gagne ainsi sur deux fronts : d’une part, il amoindrit une menace pesant sur la sécurité pakistanaise, de l’autre il renforce sa position sur le grand échiquier discret sur lequel se joue en coulisses le futur de l’Afghanistan, et donc le futur de l’influence pakistanaise en Afghanistan, à l’heure où l’on discute du calendrier de retrait des forces de l’Otan.

Or, pour Islamabad, la carte afghane est essentielle, afin d’éviter la prise en tenaille entre l’Inde et un Afghanistan où les Indiens seraient influents – et leur influence s’est accrue sous la présidence d’Hamid Karzai…

En 2008, David Petraeus, commandant des forces internationales en Afghanistan, avait déclaré pour la première fois qu’un lien étroit existait entre les talibans pakistanais, afghans et Al Qaeda. La même année, un nouveau responsable des services secrets pakistanais était nommé, Ahmad Shuja Pasha. Quelle a été l’influence de Washington sur cette nomination ?

Il semble bien que la nomination du général Pasha en 2008 s’inscrive dans les consultations qui ont eu lieu en 2007 avec Washington quand le général président Musharraf a dû abandonner ses responsabilités à la tête de l’armée, au bénéfice du général Kayani (lui même ancien directeur de l’ISI) et qui ont eu lieu de nouveau en 2008, après que Musharraf fut contraint par l’opinion d’abandonner la présidence de la République. Le général Nag, successeur de Ashfaq Pervez Kayani à la tête d’ISI, aura donc été en poste peu de temps, pour laisser la place à Ahmed Shuja Pasha. A chaque fois, Washington a, semble-t-il, été consulté discrètement, au nom de la coordination américano-pakistanaise dans la lutte contre le terrorisme.

On pose parfois par ailleurs la question de savoir si une part de l’armée est tentée par l’islamisme radical. Mais cette crainte, assez peu crédible, peut être aussi instrumentalisée par l’armée pour légitimer la difficulté qu’elle a à lutter contre l’extrémisme. Le vrai problème étant du reste plutôt celui posé par les talibans pakistanais, des enfants du pays, que par Al Qaeda proprement dit.

Est-ce-que la mort de Ben Laden peut modifier les relations entre le Pakistan et les Etats-Unis et si oui, dans quel sens ?

Pour l’opinion pakistanaise, il faudra en savoir plus sur les conditions de sa mort, et sur ce qu’il est advenu de son corps ensuite. En termes de relations bilatérales, il faut attendre de voir ce qui va suivre. La disparition de Ben Laden va-t-elle être suivie ou non par d’autres disparitions, son second Ayman al-Zawahiri par exemple ?

Si Al Qaeda – la maison mère, pas ses succursales au Sahel ou ailleurs – est réellement affaiblie, si le mouvement est décapité, les relations entre Islamabad et Washington peuvent s’améliorer de façon significative, d’autant que les Etats-Unis ont besoin du Pakistan pour négocier avec les talibans afghans.

Encore faut-il voir comment le pouvoir, civil et militaire, va gérer les conditions de l’intervention américaine contre Ben Laden vis-à-vis de l’opinion, au nom de la souveraineté nationale d’un pays de 180 millions d’habitants, nucléarisé de surcroît.

Recueilli par Marie Kostrz (Rue89)

 

Voir aussi : Rubrique Afghanistan, L’enlisement total,  L’exemple russe pour la sortie, rubrique Pakistan, La frontière source de guerre, clef de la paix, rubrique Méditerranée, Al-Quaida totalement dépassée par la lame de fond arabe,

Ben Laden mort, l’Otan estime que sa mission en Afghanistan doit continuer

Le secrétaire général de l’Otan Anders Fogh Rasmussen a salué lundi le « grand succès » que représente selon lui la mort de Ben Laden, tout en estimant que les opérations militaires de l’Alliance en Afghanistan devaient continuer.

« C’est un grand succès pour la sécurité des alliés de l’Otan et de tous les pays qui se sont joints à nous pour combattre le fléau du terrorisme mondial et rendre le monde plus sûr pour nous tous », a déclaré M. Rasmussen en « félicitant le président (américain) Barack Obama et tous ceux qui ont rendu cette opération possible ».

Le secrétaire général de l’Otan a rappelé que l’alliance militaire occidentale s’était engagée en Afghanistan aux côtés des Américains car « elle considérait l’attentat du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis comme une attaque contre tous les alliés », conformémement à l’article 5 de son traité fondateur. Or « le terrorisme continue de menacer directement notre sécurité et la stabilité internationale », a estimé M. Rasmussen. Donc, « les alliés de l’Otan et leurs partenaires continueront de mener leur mission en Afghanistan afin de s’assurer que ce pays ne redevienne jamais un havre pour l’extrémisme », a-t-il souligné. « Nous continuerons de défendre les valeurs de liberté, de démocratie et d’humanité que Oussama Ben Laden voulait détruire », a-t-il ajouté.

L’Isaf, la force internationale sous commandement Otan depuis août 2003 et qui a actuellement 140.000 soldats en Afghanistan, prévoit de ne transférer la responsabilité de toutes les opérations aux troupes afghanes qu’à la fin de 2014, à l’issue d’un processus de transition entamé cette année. Selon la décision prise par le sommet de l’Otan à Lisbonne en novembre dernier, elle ne devrait ensuite à partir de 2015 qu’assumer un rôle de soutien plus limité.

AFP

Voir aussi : Rubrique Afghanistan, L’enlisement total,  L’exemple russe pour la sortie, Rubrique Méditerranée, Al-Quaida totalement dépassée par la lame de fond arabe,

Jean-Pierre Filiu : « Al-Qaida est totalement dépassée par la lame de fond arabe »

Jean-Pierre Filiu :

Les manifestants se sont mobilisés au nom de valeurs que les Djihadistes récusent.

Entretien avec Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po, conseiller des Affaires étrangères, il a été en poste en Jordanie, en Syrie et en Tunisie, ainsi qu’aux États-Unis.

Mouamar Kadhafi  dénonce l’influence d’Al-Qaida dans le soulèvement de la Libye. Que sait-on vraiment de la présence ou non de djihadistes dans ce pays ?

La dénonciation de Ben Laden par M. Khadafi serait dérisoire si elle n’intervenait pas dans un contexte aussi tragique. La Libye a certe été, en mars 1998, le premier Etat à émettre un mandat d’arrêt international contre le chef d’Al-Quaida, à l’heure où peu de service de renseignement avaient pris la mesure de cette menace globale.

Tripoli avait en effet écrasé les maquis  djihadistes de Cyrénaïque et les dirigeants des groupes islamiste combattant libyens (GICL) avaient rejoint Oussama Ben Laden en Afghanistan. Le GICL a depuis été absorbé par Al-Quaida et il n’existe plus sur le terrain depuis une quinzaine d’années. Un certain nombre de djihadistes repentis se sont même ralliés dernièrement au régime de Kadhafi, qui agite cet épouvantail pour repousser l’heure de vérité.

Le colonel Kadhafi a été, par le passé, un parrain du terrorisme international, pourquoi cette opposition, aujourd’hui à Al-Qaida ?

Il est le doyen des chefs d’Etat arabes et tous les moyens lui ont été bons pour perpétuer un pouvoie absolu. La confrontation avec l’Occident a longtemps été son fonds de commerce et les sanctions internationales lui ont permis de resserrer le contrôle de la population par les Comités révolutionnaires. Il a ensuite profité de l’effet d’aubaine suscité, après les attentats du 11 septembre, par « la guerre globale contre la terreur ». Il a proposé ses services dans ce cadre et renoué avec les Etats-Unis sur cette base. Il n’a dès lors plus cessé d’exagérer la menace d’AL-Quaida, alors même qu’elle  avait disparu en Libye.

Comment Al-Qaida vit-elle ces soulèvement et ces révolutions arabes ?

Al-Qaida est totalement dépassée par le vague de fond qui traverse le monde arabe, car ce mouvement démocratique invalide tout ce qui les djihadistes proposent en termes de programmes et professent en termes d’analyses. Ces soulèvements populaires ont renversé, en peu de temps, des régimes qu’Al-Qaida n’a jamais sérieusement menacé en plus de vingt ans d’existence. Les manifestants se sont mobilisés en masse au nom de valeurs démocratiques que les djihadistes abhorrent et combattent.

Ben Laden et ses acolytes espèrent une contre-révolution violente qui pourrait les remettre en selle. Une fois de plus, Al-Qaida attend son salut de ceux qu’elle présente comme ses pires ennemis et qui, tel Kadhafi, la désigne pour s’accrocher au pouvoir.

Recueillis par Gilles Paris (Le Monde)

Jean-Pierre Filiu est l’auteur de La Véritable histoire d’Al-Qaida (Pluriel, 384 p., 9,50 euros) .

Voir aussi : Rester mesurés face à la menace du terrorisme