» Les gens cherchent un médicament pour l’âme « 

René Koering : " En Région, les décideurs pensent souvent que c'est plus important d'avoir un kilomètre d'autoroute que d'avoir un orchestre ".

René Koering, compositeur, surintendant de la musique à Montpellier et directeur du festival de Radio France depuis 25 ans est aussi un homme loufoque, exigeant et sensible.

Quels ont été les grands moments et ceux plus inattendus de cette édition ?

 » La surprise vient du concert de la place de l’Europe où il y a eu beaucoup de monde. J’ai trouvé très sympa que les gens viennent avec leur bouteille de rouge leur marijuana, et se roulent des joints. Le vrai public potentiel c’est celui là. Ce sont des gens qui ne s’embarrassent pas de canons sociaux. Moi cela m’a fait plaisir de faire ce programme de tubes parce que je passe mon temps à faire ou à produire des œuvres que personne ne connaît. Ce n’est pas un hasard que ces œuvres soient tellement plébiscitées même si elles sont considérées comme des scies musicales. J’ai beaucoup apprécié le duo Boris Berezovsky et Brigitte Engerer qui ont fait un concert extraordinaire. J’ai aussi aimé l’opéra de Bellini. Question fréquentation, on est à 142 000 personnes soit presque 10 000 spectateurs de plus.

La décentralisation régionale progresse mais semble difficile et lente ?

Il y a eu beaucoup de concerts en région. On est autour de 17 000 personnes. C’est bien. Mais la région il faut la démarrer à la manivelle ce qui est normal parce qu’il y a des choses qui se tiennent pour la première fois. L’année prochaine les gens seront plus en attente. C’est un énorme travail parce que beaucoup de gens pensent en région que la culture n’est pas nécessaire à la vie. Ils pensent que c’est plus important d’avoir un kilomètre d’autoroute que d’avoir un orchestre. Beethoven disait l’homme honnête va à pied.

Grâce à la gratuité, la crise ignore le festival ?

Nous avons proposé 180 manifestations gratuites. Les sources de financement font de ce festival un service public. Je ne vois donc aucune raison d’en faire une affaire. Quand les gens sont dans une situation moins confortable, je pense qu’ils sont moins enclins à chercher le bonheur que le divertissement. Dans l’état actuel de la France, les gens cherchent un médicament pour l’âme et pas juste pour les zygomatiques. Cela dit, j’adore l’humour. Si je ne ris pas dix fois par jour je suis malheureux.

Vous pleurez aussi de temps en temps ?

Je n’ai pas tendance à pleurer. Mais j’ai remarqué des choses extraordinaires. Par exemple, l’opéra Friederike que nous avons donné en clôture est une ânerie sentimentale à un point… Mais comme je suis très sentimental, chaque fois que la fin arrive, j’ai la gorge serrée. Je suis relativement facilement ému. Pleurer c’est d’autres douleurs. Je ne pleure pas par émotion, je pleure quand cela me prend vraiment dans mon âme. La mort d’un ami ça me tue. Sinon j’aime être dans une ambiance où l’on rit. C’est important. Le reste, l’autorité tout ça, c’est un peu grotesque. Parfois l’imbécillité de certains journalistes me fait beaucoup rire. Je me dis mais comment il arrive à être aussi con. En même temps, je comprends que c’est comme si j’écrivais un article sur l’exploitation des gaz carboniques dans la fabrication de je ne sais quoi. Les gens diraient il est complètement con, il ne connaît rien !

Que pensez-vous de la presse critique ?

Il y a 150 ans c’était des gens comme Berlioz, Schumann… qui écrivaient dans les journaux. Maintenant se sont des gens dont la culture musicale se constitue à partir du disque. Des gens qui se font une opinion sur la valeur marchande de ce que l’on leur amène. Pour pouvoir lire un texte il faut être musicien. Où alors il faut dire moi je pense que. Mais pas dire c’est comme ça. Sempé a fait un dessin que j’aime beaucoup. On voit une salle de spectacle. Il y a 500 personnes qui sont debout, qui crient qui applaudissent à tout rompre. Tout en blanc comme ça avec juste le détour au milieu, on voit un petit personnage tout noir qui fait la gueule et il y a marqué : le critique. (rire)

Après un quart de siècle de pilotage, quel regard portez-vous sur le festival?

Un quart de siècle ! ne dites pas ça… Pour moi rien n’a changé, le premier festival est le même que celui d’aujourd’hui. Je fais des programmations pour des gens qui aiment la musique, si possible, et qui ne connaissent pas ce que je fais. C’est drôle parce que certains disent : il faudrait que le programme de Koering évolue. Alors qu’ils ne leur viendrait pas à l’idée que le programme d’Orange qui fait Carmen, la Traviata, et Aïda depuis 150 ans, évolue. Comment voulez-vous que ma programmation évolue, je ne vois pas en quoi.

L’explorateur, explore…

Il y a un tel réservoir dans l’histoire de la musique que l’on est très loin d’avoir entendu ce qui est beau. La beauté ce n’est pas forcément les chefs d’œuvre. Evoluer ça ne veut rien dire, par contre, lorsque je fêterai le cinquantième anniversaire du festival, j’aurai fait peut-être 150 opéras inconnus. Actuellement j’en suis à 78.

Comment travaillez-vous en matière de recherche ?

Il faut chercher dans les bibliothèques, faire des copies. Il y a en a qui ne veulent pas les donner. Et avant cela, il faut les trouver. On téléphone à des tas de gens. C’est compliqué. Là, je suis sur une œuvre que je veux absolument faire, je n’ai que le piano chant, et je ne trouve pas l’œuvre elle-même. Sur mon piano, il y a actuellement une centaine d’œuvres en attente. Elles sont là, il faut que je les regarde. Je les classe : urgent, pas tout de suite et puis jamais. Mais même le jamais je le regarde. Sur ces cent-là, il y en a une quarantaine que je ferai.

A l’heure où les politiques culturelles posent questions, quel avenir pour le festival ?

Je ne vois pas un avenir autre que l’état politique actuel. Je ne préfère pas l’imaginer. Et de toute façon je n’en ferais pas partie. Je n’ai jamais calculé la longévité de quoi que ce soit sur un état politique. Quand j’ai créé le festival en 85 avec Georges Frêche, en 86, j’ai lu dans le journal que c’était la dernière édition. On a vu le résultat. Le reste ce sont des bavardages de gens qui sont impatients de prendre le pouvoir, d’être des patrons et de pouvoir rater ce que d’autres ont réussi.

Votre succession à la tête de l’orchestre et de l’opéra a été confiée à Jean-Paul Scarpitta

J’ai proposé aux responsables politiques Jean-Paul Scarpitta qui est une personne que j’aime beaucoup, et qui bénéficie, grâce à son talent de metteur en scène, d’une vraie reconnaissance du public de l’opéra. Cela a été accepté. Je garde le festival mais j’avais envie d’arrêter cela me permettra de m’atteler à d’autres propositions. Je reste en tant que conseiller musical pour faciliter la passation. J’entends profiter un peu des 80 ans qui me restent à vivre « .

Recueilli par Jean-Marie Dinh

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L’humble ivresse musicale d’Aldo Ciccolini : Entretien

Découverte d’un pianiste virtuose

Par Jean-Marie Dinh

A l’aube de ses quatre vingts ans, Aldo Ciccolini est un des rares grands maîtres du piano en concert ce soir au Corum

Inlassable défricheur du répertoire français, et ardent défenseur de la musique française au piano, Aldo Ciccolini reste l’un des pianistes les plus appréciés du public qui se souvient de ses enregistrements légendaires de Satie, Séverac mais aussi Chopin Beethoven et Alkan. D’origine napolitaine, il acquiert la nationalité française en 1971. Véritable enfant prodige le jeune Aldo est embauché dans une saison régulière dès l’âge de huit ans, mais débute vraiment sa carrière après  avoir remporté le concours Long Thibaud en 1949

« Cela m’a permis de commencer une carrière. Mais ne croyez pas que j’ai été une bête à concours. J’ai participé à un seul concours de toute ma vie, et basta ! Si je n’avais pas obtenu la victoire, je n’aurais pas recommencé la fois suivante. J’aurais attendu une autre occasion. On peut très bien faire une carrière sans passer par la voie des concours internationaux ; simplement, on met dix ans de plus »

S’il se défend d’avoir une patrie musicale, Aldo Ciccolini reconnaît la marque des grandes écoles de piano mais préfère avant tout, celle de l’expression personnelle.  Avec ce récital au Festival de Radio France, le pianiste virtuose signe un retour attendu. Le choix de la sonate en si bémol Majeur opus posthume D 960 de Schubert lui permettra d’exercer son talent avec cette œuvre de pure génie modulatoire.  Exempt de toute démonstrativité, le jeu de Ciccolini devrait faire merveille. On peut s’attendre à ce que le raffinement pianistique qui prévaut chez Ciccolini donne une humanité pénétrante à l’œuvre de Schubert. Le virtuose s’emparera également de la sincérité musicale de Litsz en interprétant, consolation, Funérailles, Polka de Méphisto, La mort d’Isolde et Rigoletto. Un grand moment en perspective.

La Marseillaise 19/07/05

 

La leçon de Piano

Du 18 au 21 juillet, de jeunes élèves suivent à la médiathèque Emile Zola des cours d’interprétation dispensés par Aldo Ciccolini, des instants d’une rare sensibilité ouverts au public

C’est un plaisir pour le spectateur qui passe dans les coulisses et certainement un moment inoubliable que ces leçons à des élèves sélection-nés sur leurs motivations. Dès le premier contact le maestro veille à chasser les tensions. Il s’agit d’aller à l’essentiel, la musique et rien que la musique.
En initiant le cycle de Master-Class qui se tient jusqu’à vendredi à la grande Médiathèque, le jeune pianiste Michaël N’Guyen avait choisit Chopin et Debussy, des compositeurs dont Aldo Ciccolini est un des plus ardents défenseurs. Le maître observe, écoute,  conseille avec bienveillance :

« Quand nous jouons nous racontons une histoire ! La musique est très proche de la prosodie des acteurs. Ne t’occupe pas du solfège, c’est anti musical. »

La nature du rapport entre le maître et l’élève révèle une disponibilité mutuelle féconde. Le public profite lui de cet accompagnement pour se faire l’oreille aux variations proposées par le maestro.

« Il y a la tentation d’une marche funèbre mais ce n’est pas une marche funèbre. Chopin exprime de la lassitude, un sentiment de désolation, de mal de vivre… », les clés données par Aldo Ciccolini suivront sans nul doute la carrière des jeunes musiciens, comme ses conseils : « Ton piano est un morceau de glaise, c’est un être humain que l’on caresse. C’est le piano qui joue de toi. Tu es joué par le piano. » Avec humilité Ciccolini prend plaisir à transmettre ce qu’il sait de l’art, sans jamais en faire le tour.

L’Hérault du Jour 18/07/06

 

" L’occident va vers sa ruine culturelle "

 

L’humble ivresse musicale d’Aldo Ciccolini

A 80 ans, Aldo Ciccolini conserve le pouvoir expressif des grands maîtres du piano. L’auteur qui a adopté la France est aussi un ardent défenseur du répertoire musical français dans le monde.  Ses mots sont aussi limpides et justes que son doigté : Entretien.

Quelles sont les qualités de l’élève et du professeur qui vous paraissent les plus importantes ?

Il s’agit dans les deux cas d’être serviteur de l’art. Que l’on soit enseignant que l’on soit pianiste concertiste ou élève, nous sommes au service d’un idéal bien plus grand que nous que l’on appelle la musique. C’est la qualité que j’apprécie le plus. Quant à se faire valoir en grand pianiste superstar et toutes ces bestialités de l’époque, je n’en crois pas un mot. Je crois au service, qui n’est pas du tout humiliant, au contraire, c’est notre fierté de servir la musique.

L’interprète n’est qu’un médiateur ?

Oui, l’interprète est un médiateur. Il passe. Il agit parce que la musique doit durer. Nous passons, la musique doit rester.

Vous ne semblez guère optimiste sur l’avenir de la musique et plus largement celui de la culture occidentale ?

Je ne suis pas optimiste du tout. L’occident va vers sa ruine culturelle. Et comme l’occident n’a existé jusqu’ici que grâce à sa culture, privé de sa culture, je me demande ce qu’il en restera.

Qu’est ce qui vous fait dire cela ?

Beaucoup de choses, il y a un changement de société, l’indifférence, la recherche de la compétition sportive qui est d’ailleurs en train d’envahir la musique. Aujourd’hui on parle de celui qui joue plus vite et plus fort que son copain. Tout cela ce sont des signes précurseurs dans les astres. L’émulation… L’émulation est un sentiment qui disparaît. C’est un sentiment très saint car  il nous permet de reconnaître la valeur d’un autre et de vouloir l’égaler. Alors que dans la compétition, il y a quelqu’un qui veut gagner à n’importe quel prix. Fusse-t-il le plus sale des prix, on l’a vu récemment.

Le rapport au public, quelle place occupe-t-il pour vous ?

Nous avons besoin du public. C’est-à-dire que nous l’aimons, dans le sens où nous lui racontons nos joies nos misères… nos déceptions. Le public ne sait pas ce que nous racontons exactement, mais il sait que l’on est en train de raconter quelque chose et parfois, il répond parce qu’il a compris qu’on lui adresse la parole en jouant.

Comment gérer les connaissances après avoir rencontré succès et reconnaissance ?

Moi je pars du principe, même à mon âge, que je ne sais rien de la musique. Et je travaille et je me documente avec beaucoup d’humilité. Car le domaine de l’art est si vaste que personne ne pourrait se vanter d’en avoir fait le tour.

Le  fait d’enseigner, est-ce important  ?

C’est énorme. J’ai autant de joie à enseigner que j’en ai à jouer en public. Il ne s’agit pas du rapport professeur élève. Par exemple tous mes élèves me tutoient, je leur demande de me tutoyer parce que nous sommes tous père et fils devant la musique. C’est un rapport amical, un rapport basé sur le respect de l’autre. Il m’importe surtout de faire n’importe quoi pour que l’élève soit tranquille après une leçon. Je n’ai jamais compris la sévérité excessive de certains professeurs qui souvent provoque des troubles mentaux. Ce ne sont pas des professeurs, ce sont des incompétents qui masquent leur incompétence derrière le voile de la sévérité. C’est beaucoup plus simple d’être gentil. D’encourager l’élève, même s’il a beaucoup de travail devant lui, il faut le mettre dans les conditions d’esprit de pouvoir faire son travail dans la joie. S’il n’y a pas de joie, il n’y a pas de travail.

La Marseillaise 18/07/06

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