Le boycott des universités israéliennes qui indigne les Etats-Unis

n « mur d’Apartheid » dressé par les Etudiants pour la justice en Palestine, sur le campus de Berkeley, en Californie, le 9 avril 2004 (Rahimian /SIPA)

n « mur d’Apartheid » dressé par les Etudiants pour la justice en Palestine, sur le campus de Berkeley, en Californie, le 9 avril 2004 (Rahimian /SIPA)

La décision de l’American Studies Association (ASA) de soutenir le boycott contre les institutions académiques israéliennes suscite indignation et polémique dans l’enseignement supérieur américain et chez les politiques, alors que son influence reste très limitée sur les campus.

En décembre dernier, l’association « la plus large et la plus ancienne dévouée aux études interdisciplinaires de la culture et de l’histoire américaine » a répondu favorablement à l’appel de l’USACBI – qui se définit comme une campagne américaine de boycott des institutions académiques et culturelles d’Israel –, en s’associant au mouvement « Boycott, Désinvestissement et Sanctions » (BDS).

Le BDS est un mouvement international qui s’inspire à la fois de la campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) lancée par des intellectuels et universitaires palestiniens à Ramallah en 2004, et des mouvements de boycott sud-africains contre l’Apartheid.

La résolution de l’ASA, « essentiellement symbolique » – puisque l’organisation n’a pas les compétences pour l’appliquer – vise à « protester contre l’occupation illégale de la Palestine, les violations du droit à l’éducation des étudiants palestiniens, et la liberté des universitaires et des étudiants de la Cisjordanie, de Gaza et des Palestiniens d’Israël. »

Sanctionner les activités académiques et culturelles d’Israël – des institutions et non pas des individus – c’est aussi, selon l’association, mettre en avant le rôle des Etats-Unis dans la facilitation de « l’occupation israélienne de la Palestine ».

Les facs prestigieuses soutiennent Israël

Le BDS a eu jusqu’ici très peu d’échos aux Etats-Unis. Cette prise de position « éthique » et minoritaire dans le champ académique américain (l’association regroupe 5000 professeurs) a suscité dans le pays une vague d’indignation « rapide » et « frappante ». En quelques jours, l’ASA est passée « d’une relative obscurité à la proéminence en tant que paria de l’establishment de l’enseignement supérieur aux Etats-Unis ».

L’association américaine des professeurs d’université (AAUP), forte de 48 000 membres, a réitéré sa condamnation initialement formulée en 2005 contre le boycott des universités israéliennes, suivi par l’Association des universités américaines et du Conseil américain de l’Education.

Au mois de décembre, de nombreuses universités, parmi les plus prestigieuses du pays – Johns Hopkins, Harvard, Yale, Cornell, Princeton, Boston university, ainsi que les Universités de Pennsylvanie, du Connecticut et du Texas – ont officiellement condamné le boycott. Certaines ont d’ailleurs des programmes d’échanges avec des facs israéliennes.

150 présidents d’universités ont également réaffirmé leur soutien à Israël et leur condamnation de l’ASA, allant parfois jusqu’a se retirer de l’association, sans la consultation du corps enseignant ou administratif.

Des « effets antisémites »

Les critiques des universitaires défendent d’abord « la liberté d’enseignement » et critiquent le « double standard » appliqué à Israël. Pourquoi s’attaquer à « l’unique démocratie du Moyen-Orient » quand d’autres pays violent quotidiennement les droits civiques de leurs citoyens ?

Certains citent Mahmoud Abbas, le président de l’autorité palestinienne, qui s’est prononcé en décembre contre le Boycott israélien – mais celui des produits cultivés par les Israéliens dans les territoires occupés.

Les réactions les plus violentes ont été entendues sur les plateaux télés à l’instar de Larry Summers, ancien président de Harvard qui a appelé à la télévision au boycott de l’ASA, à une action punitive contre ses professeurs en évoquant « les effets antisémites voire les intentions » de cette prise de position de l’association.

Abraham Foxman, directeur la ligue antidifamation, a caractérisé ce vote
d’« attaque honteuse, immorale et intellectuellement malhonnête sur la liberté académique ».

Une transgression du premier amendement

La controverse est allée jusqu’à la Chambre des Représentants, qui a proposé en janvier une loi bipartisane – « The Protect Academic Freedom Act » – visant à supprimer toutes les subventions publiques d’une institution qui soutiendrait le boycott d’Israël.

« Cette réponse explicite » à la position prise par l’ASA a suscité un flot de critiques, notamment une transgression du premier amendement, comme l’explique Michelle Goldberg dans le The Nation :

« Mais si le boycott de l’ASA peut enfreindre la liberté d’enseignement, la loi antiboycott l’enfreint pour de bon. C’est l’Etat [de New York] qui punit des professeurs pour leur prise de position. Ce qui est totalement anticonstitutionnel. »

La proposition est passée haut la main devant le Sénat fin janvier, avant d’être retirée du jour au lendemain de l’agenda parlementaire, pour éviter davantage de polémiques.

Un boycott pour faire parler des Palestiniens

L’indignation suscitée par la prise de position de l’ASA a permis aux cercles universitaires, politiques et même médiatiques de réaffirmer leur soutien à l’état juif, via le « principe de liberté d’enseignement ».

Et « sans qu’aucune mention n’ait jamais été faite sur le sort des Palestiniens » souligne Colin Dayan, l’une des rares professeurs juives américaines à s’être publiquement prononcée pour le BDS, soulignait fin décembre dans Aljazeera America :

« Les débats inspirés par le soutien académique du BDS contre les universités israéliennes permettent à toutes sortes de gens de voir ce qui est caché, de parler collectivement et librement, à des jeunes et des plus âgés, titulaires ou non, pour et contre le boycott.

La liberté d’être en accord ou en désaccord, la collision et le conflit nécessaires à la pensée critique, c’est ce qui compte. »

L’ASA, désormais « excommuniée [virtuellement] de la communauté bien-pensante des chercheurs américains », n’aura aucune incidence pratique sur l’évolution des relations entre universités israéliennes et américaines.

Mais d’après Colin Dayan, elle aura eu le mérite de faire parler du BDS dans les médias américains, où « la censure est omniprésente » :

« En Israël et aux Etats-Unis, la menace contre ceux qui débattent, ou même ceux qui posent des questions les droits humains et politiques des Palestiniens reste bien une réalité.

Nulle part dans la vague d’éditoriaux contre l’ASA et le mouvement de boycott palestinien, leur réalité n’a été discutée. Nulle part ailleurs, les effets néfastes de deux générations d’occupation n’ont été mentionnés. »

Construire des « murs d’Apartheid »

Le BDS est un mouvement aujourd’hui encore très limitée parmi la jeunesse américaine, et essentiellement promu par des associations, des professeurs et des départements universitaires.

La principale organisation étudiante de soutien au BDS est « Students for Justice in Palestine » (SJP) qui, depuis le début des années 2000 aurait, selon Aljazeera America, « a gagné un terrain considérable, attirant l’attention et la préoccupation des organisations sionistes et des groupes de défense des droits d’Israël. »

Né à Berkeley en Californie en 2001, le mouvement « travaille en solidarité avec le peuple palestinien et soutient son droit à l’autodétermination ». Les mêmes buts que ceux défendus par le BDS, mais « dans la non-violence » :

  • la fin de l’occupation et de la colonisation par Israël de toutes les terres arabes et le démantèlement du mur ;
  • la reconnaissance des droits fondamentaux des citoyens arabes palestiniens d’Israël ;
  • le respect, la protection et la promotion des droits des Palestiniens réfugiés de retourner dans leurs propriétés comme le stipule la résolution 194 de l’ONU.

Selon la Ligue antidiffamation (ADL) qui le classe dans sa liste des 10 principaux groupes antiIsraël aux Etats-Unis [PDF] le SJP aurait des branches dans près de 80 universités aux Etats-Unis, dont Columbia, NYU, University of Washington, Florida, Boston, Chicago, Rutgers (New Jersey), ou encore Yale.

A côté des conférences et des activités de sensibilisation au conflit israélo-palestinien, leurs méthodes d’action consistent à placarder les couloirs des campus de notices d’éviction, construire des « murs d’Apartheid » devant les universités ou encore des faux checkpoints.

Marie Rousseau

Source Le Nouvel Observateur 11/03/2014

Voir aussi : Rubrique Israël, rubrique Palestine, rubrique USA, rubrique Education,

Les oranges au jus amère, fruit du débat

Documentaire. La réalisatrice Jacqueline Gesta a présenté son film au Diagonal dans le cadre de La semaine internationale contre l’Apartheid israélien.

Dans le cadre de La semaine internationale contre l’Apartheid israélien, le comité Boycott désinvestissement, sanctions (BDS 34) éclaire  les activités de l’entreprise Mehadrin numéro 1 dans la production, la commercialisation et l’exportation en Europe des fruits et légumes dont une partie provient de l’appropriation des terres et des ressources naturelles des territoires palestiniens occupés. Le combat continue, au-delà des frontières régionales, après la liquidation, en août 2011, de l’entreprise Agrexco, signataire d’un accord économique de coopération contesté* avec la région Languedoc-Roussillon. Sous l’impulsion de Georges Frêche, elle avait favorisé l’implantation de cette entreprise sur le port de Sète en finançant un portail de déchargement adapté notamment aux bateaux d’Agrexco pour un montant  de 6 millions d’euros et un hangar réfrigéré de quelque 20 000 mètres carrés aujourd’hui sous-exploité.

Pour expliquer le processus « d’apartheid » le comité BDS 34 a sélectionné trois documentaires qui seront projetés de Perpignan à Avignon jusqu’au 10 mars.  Jaffa la mécanique de l’orange d’Eyal Sivan, La terre parle arabe, de Maryse Gargour et Journal d’une orange, aller simple présenté hier au cinéma Diagonal par Jacqueline Gesta. La réalisatrice toulousaine, retrace dans son film, l’évolution d’un verger dont les fruits ont été bousculés par l’histoire. « Avant 1948, la zone fruitière des oranges de Jaffa était cultivée par les Palestiniens, après 1948 par les Israéliens. Aux kibboutzim a succédé une société privée qui produit aujourd’hui l’essentiel des légumes et agrumes de la plaine côtière israélienne. La majeure partie de l’exportation se fait en direction de l’Europe. La main-d’œuvre, quant à elle, est restée longtemps la même : palestinienne. De propriétaires expulsés et expropriés, les générations suivantes sont devenues salariées saisonnières. »

Une terre sans peuple

Le film est programmé aujourd’hui au centre culturel catalan de Perpignan. «  Nous nous intéressons essentiellement à la colonisation mais on découvre avec le film de Jacqueline Gesta qu’en Israël les expropriations sont identiques à celle qui se produisent en Cisjordanie, souligne  le militant pro-palestinien Jean-Louis Moraguès, Elles concernent, ceux qui vivent sous la colonisation, les Palestiniens de 48 (vivants aujourd’hui à l’intérieur des territoires occupés par Israël en 1948) et les réfugiés empêchés de rentrer chez eux. ».

La semaine internationale contre l’Apartheid israélien a bénéficié d’un coup de projecteur médiatique inattendu avec l’interdiction de la tenue d’un colloque international intitulé « Israël, un Etat d’apartheid ? » par le président de  l’université de Paris VIII le 27 et 28 février dernier.

Jean-Marie Dinh

* une coalition de plus de 85 organisations s’est fermement opposée au projet.

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