Stratégie Alstom : les errances de l’Etat actionnaire

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C’est l’histoire du démantèlement progressif d’un fleuron industriel français : hier numéro un mondial dans plusieurs secteurs stratégiques comme les centrales électriques ou le train à grande vitesse, Alstom est en passe aujourd’hui de voir sa dernière activité passer sous contrôle étranger. Comment a-t-on bien pu en arriver là ? C’est ce qu’ont cherché à comprendre une mission d’information au Sénat et une commission d’enquête à l’Assemblée, qui se sont penchées en particulier sur le rôle des pouvoirs publics dans cette affaire.

« Si l’on est arrivé à une telle défaillance de l’Etat à protéger ses intérêts fondamentaux, c’est par cécité, imprévision et entre-soi », résume le député d’Eure-et-Loir (LR) Olivier Marleix, président de la commission. Retour sur les carences de l’Etat stratège à travers deux épisodes récents emblématiques de l’histoire d’Alstom : la vente de la branche énergie à General Electric en 2014 et la cession programmée de celle du ferroviaire à Siemens.

Une longue histoire

La cession de l’équipementier des centrales nucléaires puis celle du fabricant de TGV ne sont que l’épilogue d’un processus commencé il y a vingt ans. En 1998, le conglomérat industriel, issu du rapprochement dans les années 1960 entre Alsthom et la Compagnie générale d’électricité, se scinde en deux. D’un côté, Alcatel, spécialisée dans les télécommunications, dont l’histoire sera jalonnée d’échecs jusqu’à son rachat en 2015 par le finlandais Nokia. De l’autre, Alstom, qui se séparera à son tour en 2006 de son activité de construction navale, les fameux Chantiers de l’Atlantique, qui appartiennent désormais à l’italien Fincantieri.

Ces choix stratégiques opérés par les directions successives d’Alstom n’ont pas tous été inspirés, loin s’en faut. Mais ce qui pose question, c’est l’attitude des pouvoirs publics. L’État était en mesure de peser, par le biais de la commande publique, sur la stratégie du groupe, dont ses métiers sont très dépendants. Mais aussi directement, lorsqu’il a été présent, à deux reprises, à son capital. En 2004 d’abord, quand il est entré au capital de l’entreprise pour lui éviter la faillite, puis à nouveau de 2014 à fin 2017, lors de la vente de la branche énergie.

Cette cession a longtemps été analysée comme une trahison de la direction d’Alstom, qui aurait mis Bercy devant le fait accompli. Le rapport de la commission d’enquête avance une autre lecture : l’opération se serait faite sous la houlette du secrétaire général adjoint de la présidence de la République de l’époque, un certain… Emmanuel Macron. Et ce, sans même en référer à son supérieur direct, Pierre-René Lemas, ni même à François Hollande !

Promesses non tenues

Au moment de la vente à General Electric (GE), le ministre de l’Économie d’alors, Arnaud Montebourg, a tout de même arraché des contreparties. Tout d’abord, le retour de l’État au capital d’Alstom : il a exigé de Bouygues, premier actionnaire, qu’il lui prête une partie de ses actions, correspondant à 20 % du capital, en se réservant la possibilité de les lui acheter à terme. Ensuite, la création de trois entreprises communes à Alstom et GE. Enfin, l’américain s’est engagé à créer 1 000 emplois en France d’ici à la fin 2018. A la veille de la date d’échéance de cet accord, fin 2018, il ne reste presque rien de ces engagements. L’État a rendu ses actions à Bouygues à la fin 2017, sans utiliser son option d’achat, et Alstom a signé un accord en mai avec General Electric pour sortir, dès cet automne, des trois co-entreprises. Les objectifs de créations d’emplois semblent, quant à eux, inatteignables, puisqu’on n’en comptait que 323 en avril 2018. Et l’avenir est inquiétant : le conglomérat américain est engagé dans un vaste plan de suppressions de postes visant à diminuer ses effectifs au niveau mondial de 20 %. Il entend supprimer 4 500 postes en Europe. Si la France est relativement épargnée pour l’instant, c’est en partie grâce à l’accord de 2014. Or, ce dernier se termine à la fin de l’année.

Face à cette impuissance de l’État à faire respecter des engagements à certains grands groupes, les parlementaires estiment plus judicieux de négocier des accords dont la sortie est progressive, à la place d’une date butoir. Surtout, ils demandent des sanctions financières dissuasives en cas de non-respect des engagements. Le gouvernement semble prêt à s’engager dans cette voie : il a annoncé début juin qu’il appliquerait fin 2018 à GE la pénalité prévue dans le contrat de vente de la branche énergie d’Alstom, soit 50 000 euros par emploi manquant par rapport à l’objectif des 1 000 créations nettes d’emploi.

Face à un tel bilan, nombreux sont ceux qui appréhendent une répétition du scénario avec la cession de l’activité ferroviaire d’Alstom à son concurrent allemand Siemens, qui devrait être bouclée en fin d’année. Si les protagonistes de la fusion la justifient par la mise en place d’un « Airbus du ferroviaire », la nouvelle structure est en réalité bien éloignée du projet politico-industriel du constructeur aéronautique. Certes, la future entité gardera son siège social en France et sera dirigée par l’actuel PDG français d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge. Il n’en reste pas moins que Siemens disposera de la majorité des sièges au conseil d’administration avec seulement 50 % du capital de la nouvelle structure, et qu’il pourra accroître sa participation dans les prochaines années. « C’est un cadeau immense à Siemens, considère le sénateur du Doubs (PS) Martial Bourquin. Alstom est cédée pour zéro euro. » Ce n’est en effet pas une vente, puisque Siemens ne rachète pas Alstom, mais une fusion de deux groupes avec le contrôle de l’instance suprême de gouvernance confié à Siemens.

« Siemens prend le contrôle de nos brevets, de nos compétences, de notre carnet de commandes rempli sur plusieurs années, de notre trésorerie, le tout sans rien dépenser », déplore Boris Amoroz, délégué syndical central CGT d’Alstom. « Un rapprochement plus équilibré et plus favorable aux intérêts français était possible », estime de son côté Martial Bourquin, qui met en avant d’autres solutions comme la création d’un groupement d’intérêt économique (GIE) ou d’une filiale commune.

Un risque pour l’emploi en France

L’enjeu, désormais, c’est la pérennité des treize sites français d’Alstom et l’avenir de leurs 8 500 salariés. Leurs syndicats redoutent que Siemens privilégie les sites et les emplois en Allemagne plutôt qu’en France. Et ce, malgré les engagements pris par Alstom et Siemens auprès du gouvernement français. « Aucun départ contraint ni aucune fermeture de site ne pourra avoir lieu dans les deux pays [France et Allemagne, NDLR] jusqu’en 2023 au moins », a indiqué Bruno Le Maire. Le contenu exact de l’accord est cependant tenu secret et même les syndicats n’y ont pas eu accès. Le parlementaire Martial Bourquin, qui a pu le consulter, déplore l’absence de véritables garanties et de pénalités en cas de non-respect. En outre, la direction de l’entreprise dispose d’autres moyens que les « départs contraints » pour supprimer des postes, qu’il s’agisse des plans de départ volontaire ou des ruptures conventionnelles collectives, mises en place en 2017 par les ordonnances travail.

Par ailleurs, cet accord ne couvre qu’une période de quatre à cinq ans d’activité qui était déjà assurée pour Alstom grâce à son carnet de commandes bien rempli. Les craintes sur le maintien de l’emploi en France portent donc sur la période après 2022. D’autant « qu’il y a eu un accord entre le syndicat allemand IG Metall et Siemens sur le maintien de l’emploi en Allemagne », précise Patrick de Cara, délégué syndical CFDT. Un engagement qui inquiète les syndicats français, car ces derniers n’ont rien signé d’équivalent avec les directions d’Alstom ou de Siemens.

Les premières conséquences sociales devraient cependant se faire sentir ailleurs, dans les rangs des fournisseurs des deux entreprises. Une partie des 4 500 entreprises sous-traitantes d’Alstom, employant au total 27 000 salariés, risque d’être inquiétée lors de l’uniformisation des fournisseurs de la nouvelle entité. Ainsi, si les modules de commande se font désormais aux normes établies par Siemens, il est à redouter que cela profite à des sous-traitants outre-Rhin.

Tout ceci nourrit les critiques d’un accord très déséquilibré et aux objectifs mal définis. L’intersyndicale (FO, CFDT, CFE-CGC, CGT) s’y est d’ailleurs opposée en critiquant « un projet uniquement politique et financier, sans aucune stratégie industrielle ». « Si l’idée de se rapprocher d’un acteur européen a du sens, cet accord est uniquement capitalistique, c’est juste être plus gros », pense le sénateur Martial Bourquin.

Une bonne affaire pour Bouygues

« Dans ce dossier, l’État n’a pas rempli son rôle », ajoute-t-il. Une plainte visant les pouvoirs publics a d’ailleurs été déposée par Anticor. L’association reproche à l’État de ne pas avoir utilisé l’option d’achat sur les parts de Bouygues, « le privant d’un gain de 350 millions d’euros ». Si l’État est perdant, Bouygues, le premier actionnaire d’Alstom avec 28 % du capital, réalise une très belle opération. Il devrait en effet toucher jusqu’à 500 millions d’euros en prime de contrôle et dividendes exceptionnels du fait de la cession à Siemens. Le groupe de BTP et de médias a enregistré des gains financiers à chaque étape du démantèlement d’Alstom, puisqu’il avait déjà touché 900 millions d’euros après la vente de la branche énergie à General Electric. L’accord avec Siemens arrange les affaires de Bouygues, qui ne cache pas sa volonté de sortir du capital d’Alstom depuis plusieurs années : ce rapprochement devrait lui permettre de revendre ses actions à bon prix. En effet, depuis l’annonce de l’accord, le cours de l’action d’Alstom a bondi d’environ 30 %. Négligence ou connivence, l’État donne ainsi l’impression d’avoir privilégié les intérêts du premier actionnaire d’Alstom, au détriment d’une stratégie industrielle de long terme.

Justin Delépine

En 2004, Alstom a frôlé la faillite. Sous-capitalisée à la suite de son divorce d’avec Alcatel, l’entreprise a connu une crise de liquidités liée à la nature de son activité. En effet, dans les secteurs du transport et de l’énergie, les ressources financières devancent la production, qui est par nature longue à réaliser. Mais quand les commandes diminuent, et donc que les avances financières des clients se font plus rares, les coûts pour la production des commandes passées doivent toujours être supportés, ce qui met à mal la trésorerie. En manque de liquidités, l’entreprise a davantage de difficultés à convaincre de nouveaux clients. Un cercle vicieux. A la suite d’un retournement du marché en 2003-2004, Alstom s’est retrouvée dans cette situation et a dû faire appel à l’Etat, qui a injecté 720 millions d’euros dans l’entreprise, afin de lui permettre de traverser ce trou d’air.

 

  • 2004 Face au risque de faillite du groupe, l’Etat entre au capital d’Alstom en en acquérant 21 %, pour un coût de 720 millions d’euros.
  • 2006 L’Etat sort du capital d’Alstom en cédant ses parts à Bouygues pour 2 milliards d’euros.
  • 2014 Alstom vend sa branche énergie à General Electric pour 12 milliards d’euros. Au travers d’un prêt d’actions de Bouygues, l’Etat contrôle 20 % du capital d’Alstom.
  • 2017 Accord pour la fusion Alstom-Siemens. L’Etat annonce ne pas utiliser ses options d’achat sur les actions de Bouygues et sort donc du capital.

Voir aussi : Rubrique Affaires, Alstom vendu aux Américains : retour sur les dessous d’un scandale,

Rachats d’Alstom : la com’, et les coups tordus

Capture d'e?cran issue du documentaire sur LCP (DR)

Capture d’e?cran issue du documentaire sur LCP (DR)

Chaque matin du lundi au vendredi, si possible à 9h15 précises, Daniel Schneidermann publie cette chronique sur les dominantes médiatico-numériques du matin. Ou parfois de la veille au soir (n’abusons pas des contraintes). Cette chronique est publiée sur le site indépendant arrêt sur images (financé par les abonnements) puis sur Rue89.

C’est reparti pour les hymnes au « champion européen ». A en croire la presse unanime, Alstom et Siemens devraient annoncer aujourd’hui leur fusion. Les passagers du TGV rouleront donc allemand.

Enfin, disons, franco-allemand. Qu’on se rassure dans les chaumières françaises, rien à craindre pour le « fleuron français » du ferroviaire : la fusion se fera à égalité ; l’emploi est préservé pour quatre ans ; enfin l’actuel PDG d’Alstom, le Français Henri Poupart-Lafarge, sera maintenu à la direction du nouvel ensemble.

De toutes manières, c’est la moins mauvaise solution : le concurrent chinois guette à la porte. Ça, c’est le rideau de fumée de com’ qui enveloppe tous les épisodes du gigantesque Mecano industriel.

Pour connaître la réalité des bras de fer, des coups tordus, et des épreuves de force, il faut attendre -dans le meilleur des cas- quelques années. Heureusement, la chaîne parlementaire diffusait opportunément, hier soir, un documentaire sur le rachat par General Electric de la branche « énergie », de la même Alstom, en 2014, titré « Guerre fantôme, la vente d’Alstom à General Electric ».

Quelques années ayant passé, un coin du voile peut être soulevé (un premier coin l’avait déjà été l’an dernier par l’émission de Canal+ Special Investigation). Et sous le voile, illustrations apocalyptiques à l’appui, c’est l’histoire d’une entreprise, Alstom donc, prise en tenaille entre une amende pour corruption infligée par le Département de la Justice américain, et la proposition opportune de rachat par General Electric, qui propose, dans ce cas, de payer l’amende à la place d’Alstom.

Y a-t-il eu concertation entre le Département de la Justice et General Electric ? En d’autres termes, quelques vautours industriels américains suivent-ils à la la trace, autour du monde, les inspecteurs anti-corruption US, pour racheter à bas prix les entreprises inquiétées par la Justice américaine ? Tout le monde en France le soupçonne, personne ne peut le prouver. De la même manière, que personne ne peut prouver que c’est sous la menace de cette amende, et de poursuites personnelles contre lui, que le PDG d’Alstom, Patrick Kron, a vendu à GE.

« On n’est pas au Venezuela »

N’empêche que tout le monde le soupçonne, même Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, qui faisait état de ses soupçons devant une commission de l’Assemblée. Soupçons qui ne l’avaient pas empêché quelques mois plus tôt, alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, de favoriser la vente, contre le ministre de l’économie Montebourg, dont il triompha avec cet argument massue : « on n’est pas une économie dirigée. On n’est pas au Venezuela ».

Des soupçons, pas de preuves, et pas d’enquête officielle : ainsi, et pas autrement, naissent les légendes conspirationnistes. Après avoir, dans un premier temps, promis une fusion à 50/50, GE a donc mis la main sur la branche énergie d’Alstom, et notamment sur sa pépite, la fameuse turbine Arabelle, dont vous n’avez jamais entendu parler parce que la presse ne parle pas de ces choses triviales, mais que le monde nous envie.

Cette turbine équipe notamment les centrales nucléaires françaises, ce qui donne désormais à GE le contrôle de la maintenance de ces centrales, pouvoir dont l’Américain entend bien se servir, si j’en crois cet écho.

Que l’on trouve, aux avant-postes de la dénonciation de cette absorption, toute la fine fleur du souverainisme politico-médiatique français (le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, intervenant régulier de Polony.tv, l’ex-député homophobe et assadophile Jacques Myard, ou Nicolas Dupont-Aignan, qui était ce matin sur France Inter), doit bien sûr conduire à la prudence, mais n’invalide pas a priori le récit de l’opération. Sur laquelle, donc, toute la lumière n’est pas encore faite. Dans une dizaine d’années ?

Daniel Schneidermann

Source Rue89 26/09/2017

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Alstom vendu aux Américains : retour sur les dessous d’un scandale

Patrick Kron, à Saint-Nazaire lors de l'inauguration de deux usines d'éoliennes - SEBASTIEN SALOM-GOMIS/SIPA

Patrick Kron, à Saint-Nazaire lors de l’inauguration de deux usines d’éoliennes – SEBASTIEN SALOM-GOMIS/SIPA

L’assemblée générale des actionnaires d’Alstom qui s’est réunie une nouvelle fois mardi a statué sur la rémunération annuelle de son PDG Patrick Kron, mais pas sur la prime de 4 millions d’euros (déjà accordée) que ce dernier entend bien percevoir au titre de ses loyaux services. Entre autres, la vente de la branche Energie d’Alstom au géant américain General Electric. Retour sur une transaction controversée aux allures de scandale d’Etat.

Patrick Kron donne de sa personne pour défendre un projet dont il est « fier » et qu’il juge formidable : la vente de la branche d’Energie d’Alstom au géant américain General Electrique (GE) pour 12 milliards d’euros, qui s’apparente pour l’intéressé à une perspective « d’avenir » mais qui s’avère être en fait, comme l’écrivait Marianne cet hiver, une très mauvaise opération. Longuement cuisiné, ce mardi 30 juin, dans une interview parue dans le Figaro, Patrick Kron reste ainsi, malgré les critiques, sur des positions qu’il a déjà eues l’occasion d’exposer, en avril dernier, devant la Commission des Affaires économiques, à l’Assemblée nationale. Des positions qui n’ont pas même réussi à convaincre le Figaro, intrigué par « les soupçons qui pèse encore » sur le PDG du groupe en poste depuis 2003… Passage en revue de l’interview et d’un coup de pocker qui conduit la France à perdre l’un de ses derniers fleurons.

Le Figaro : « Des soupçons pèsent encore, en lien avec l’enquête américaine pour des faits de corruption et qui s’est soldée fin 2014 par une amende de 720 millions d’euros. Le premier c’est que cette enquête vous aurait poussé à négocier avec GE parce que vous auriez craint qu’elle ne vous rattrape personnellement… »
Patrick Kron : « Je suis choqué par [les] insinuations infondées, par [les] sous-entendus grotesques. L’idée selon laquelle il y aurait un lien entre l’enquête du DoJ (le département de la Justice des Etats-Unis, ndlr) sur des faits anciens et l’opération industrielle élaborée avec GE est absurde. (…) J’ai pris une décision courageuse parce qu’Alstom, s’il restait seul, mettait à terme en danger ses salariés. Est-ce que j’en suis heureux ? Non… »

> Ce qu’en pense Marianne : Pourquoi le lien entre l’enquête du DoJ « sur des faits anciens et l’opération industrielle élaborée avec GE » n’est pas « absurde ». D’abord, parce que, sous couvert d’anonymat, « certains cadres » d’Alstom, notamment interrogés par France Inter, affirment l’inverse. « Au sein de l’état-major d’Alstom, je peux vous dire que tout le monde sait parfaitement que les poursuites américaines ont joué un rôle déterminant dans le choix de vendre la branche énergie » explique l’un d’eux, qui poursuit : « Lors des négociations secrètes [ayant conduit à la vente de la branche Energie d’Alstom à GE], curieusement, une personne a été associée tout de suite à la discussion. Il s’agit de Keith Carr, le directeur des affaires juridiques. C’est étrange car normalement sa principale mission c’est de traiter le règlement des affaires de corruption. »

Outre le rôle trouble du directeur juridique, les arrestations conduites par la justice américaine touchent de très proches de Patrick Kron, notamment celle de Frédéric Pierucci, cadre dirigeant du groupe, l’un des seuls à avoir plaidé coupable pour le contrat de construction de la centrale à charbon de Tarahan en Indonésie (qui a donné lieu aux versements de pots de vin jusqu’en 2009 à travers la filiale américaine d’Alstom), affaire pour laquelle la société Alstom a été condamnée à une amende record de 772 millions de dollars. Arrêté le 15 avril 2013 à l’aéroport JFK, à New York, Pierucci a ainsi été incarcéré pendant quatorze mois aux Etats-Unis dans une prison de haute sécurité avant d’être libéré sous caution. Le JDD qui dresse son portrait à l’été 2014 évoque alors la trajectoire d’un patron « maudit » qui risque gros pour avoir violé le Foreign corrupt practices act (FCPA) qui permet de poursuivre des groupes ou dirigeants étrangers pour corruption : jusqu’à dix ans de prison et une amende pouvant aller « jusqu’à 500 000 dollars par fait reproché. »

Or, Alstom n’a plaidé coupable qu’à la suite de cette mise en examen, qui en laissait présager d’autres, plus haut dans la hiérarchie. Parmi elles, comme l’a révélé La Lettre A, celle de l’ancien supérieur de Frédéric Pierucci à la direction commerciale d’Alstom Power, un certain Denis Cochet. Le même Denis Cochet qui deviendra le représentant France du Groupe Alstom et qui prendra de ce fait place juste derrière Patrick Kron lors des auditions de la direction d’Alstom à l’Assemblée, devant la commission des Affaires économiques, évoquée en introduction.

Dans le sillage de Pierucci et Cochet, apparaît également Jean-Daniel Lainé, directeur Ethique et Conformité du groupe de 2006 à 2013, nommé auparavant directeur Conformité pour le secteur Power de 2004 à 2006. Si l’intéressé a échappé à la justice américaine, il vient d’être rattrapé par le Serious Fraud Office britannique comme l’indique une note récemment publiée par l’ONG Sherpa. Selon la dite note, non seulement l’autorité britannique reproche à Jean-Daniel Lainé, en charge de l’éthique du groupe, « des faits de corruption en rapport avec le contrat de tramway de Budapest entre le 1er janvier 2006 et le 18 octobre 2007 » mais les « secteurs visés par le département de la justice américain » et les « périodes » correspondent à celles durant lesquelles Lainé officiait. Autre précision importante apportée par Sherpa : jusqu’à l’année 2013, la direction Ethique dirigée par Jean-Daniel Lainé était directement incorporée au Comité exécutif où trône Patrick Tron depuis 2003. Patrick Kron pouvait-il alors ignorer les affaires de corruption ?

Comme l’a révélé Mediapart, la direction Alstom n’ignorait néanmoins rien des risques judiciaires encourus aux Etats-Unis puisqu’elle a elle-même fait parvenir à plusieurs dizaines de ses cadres une mise en garde, dès mars 2013, soit un mois avant l’arrestation de Pierucci. L’hypothèse selon laquelle Patrick Kron aurait voulu sauver sa peau et celle de ses camarades, toujours poursuivis, en vendant la branche Energie d’Alstom aux Américains n’est donc pas à exclure. D’autant qu’Alstom a déjà obtenu plusieurs reports du paiement de l’amende de 772 millions de dollars, paiement « exceptionnellement différé de six mois » puis « renvoyé » au 25 septembre 2015 écrit Sherpa et qui n’interviendra en réalité qu’une fois la vente du pôle Energie effective. Rapellons « qu’en principe » l’amende aurait dû être payée dans les « dix jours ouvrés. » Une générosité inattendue outre-Atlantique qui, pour Sherpa, « sème le doute ».

Surtout, contrairement à ce qu’indique Patrick Kron, l’accord à l’amiable avec la justice américaine a bien mis fin dans les faits aux poursuites pénales contre de nouveaux cadres, Jean-Daniel Lainé en particulier. Et curieusement cet accord à l’amiable avait été signé au lendemain de la validation de la vente à GE en Assemblée générale…

Côté français enfin, en mars 2015, ainsi que le rappelle l’Obs, toujours devant la commission des Affaires économiques, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, a publiquement avoué avoir lui-même eu « des doutes » quant aux motifs de la vente : « A titre personnel, j’étais persuadé du lien de cause à effet entre cette enquête (américaine) et la décision de Kron de vendre, mais nous n’avons aucune preuve » conclut-il. Ont-ils seulement cherché à en trouver ? Certains acteurs du dossier relèvent la présence de Stéphane Fouks, grand ami du Premier ministre Manuel Valls, devenu conseiller en influence et en communication du PDG de GE sur cette acquisition. Tout comme ils notent la nomination de l’ancien directeur général de l’Agence des participations de l’Etat, David Azéma, chez Bank of America – Merril Lynch, c’est-à-dire la banque d’affaires qui conseilla Patrick Kron sur la vente de la branche Energie d’Alstom à GE…

Le Figaro : « L’enquête américaine a-t-elle pu faciliter les choses pour GE, un géant industriel… américain ? »
Patrick Kron : « Mais comment y aurait-il pu y avoir un complot, alors que les autorités américaines ont appris les négociations entre Alstom et GE par la presse en même temps que tout le monde ? Ces théories conspirationnistes sont absurdes et scandaleuses. »

> Ce qu’en pense Marianne : Patrick Kron, patron emblématique du CAC 40, unanimement salué pour ses immenses qualités joue, ici, la partition du grand naïf. Il n’y a qu’à se rapporter au premier « rapport de contrôle » de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), en 2014, chapeauté par le député PS du Finistère Jean-Jacques Urvoas, pour lire sur le sujet un paragraphe fort instructif, intitulé Un espionnage paré des vertus de la légalité. On y trouve, la confirmation, s’il en fallait une, du « puissant instrument de prédation » qu’est devenue la justice américaine, véritable arme économique. « La législation américaine, notamment en raison de son caractère extraterritorial, apporte une illustration particulièrement éloquente de cette ambivalence par le biais de la procédure de discovery ainsi que l’existence du deal of justice » expliquent en effet longuement les parlementaires.

Et de poursuivre : « Dans les faits, une entreprise (dans 90 % des cas, il s’agit d’entreprises étrangères, dont certains grands groupes français à l’image de la récente affaire impliquant la BNP-Paribas) se voit incriminée par le DoJ pour infraction à la loi étasunienne. Cela permet à l’administration d’agiter le spectre de lourdes amendes et de condamnations pénales pour les membres dirigeants de l’entreprise. Pour autant, en dépit de la « lourdeur » des fautes reprochées, elle propose opportunément une transaction avec les autorités administratives compétentes (à l’image de la Securities and exchanges commission, ou de l’Office of foreign asset control). L’entreprise doit alors reconnaître sa culpabilité et négocie le montant de l’amende infligée. En contrepartie, le DoJ renonce aux poursuites pour une période de trois ans, période pendant laquelle l’entreprise doit faire preuve d’un comportement exemplaire. Pour prouver sa bonne foi, et là réside le principal problème, elle doit accepter la mise en place d’un moniteur en son sein, moniteur qu’elle choisit mais dont la désignation définitive est soumise à l’approbation des États-Unis… »

Dans le cas d’Alstom la solution a été plus radicale, puisque la branche Energie du groupe a été complètement cédée à son rival General Electric, qui n’a donc plus besoin ni de « moniteur » ni des grandes oreilles de la NSA pour surveiller ses activités. Il n’est pas inutile de préciser par ailleurs que sur l’affaire Tarahan en Indonésie pour laquelle Alstom a été condamné à 772 millions de dollars d’amende, lors de l’appel d’offre, Alstom était en concurrence avec un autre groupe… américain : Foster Wheeler. Le groupe deviendra d’ailleurs partenaire de GE quelques années plus tard dans l’industrie minière.

Le Figaro : « Les enquêtes sur des faits de corruption semblent se multiplier et jettent une lumière trouble sur les pratiques passées d’Alstom. »
Patrick Kron : « Il y a un certain nombre d’enquêtes en cours, pas une multiplication. (…) Mais les cas soulevés sont très peu nombreux et ne permettent en rien de parler d’un système généralisé ! C’est tout l’inverse. »

> Ce qu’en pense Marianne : Patrick Kron sait jouer au naïf et au comique aussi, mais cela n’a toutefois pas fait rire le vice-procureur général américain chargé de statuer sur l’affaire de corruption indonésienne. Car pour le magistrat, il s’agit bien d’un « système de corruption » et même que ce système « s’étendait sur plus d’une décennie et à travers plusieurs continents. » Un système « singulier de par son ampleur, son audace et ses conséquences dans le monde entier » détaille le vice-procureur.

Une définition que pourraient reprendre à leur compte les fédéraux brésiliens qui jugent actuellement Alstom pour une autre affaire de corruption de grande envergure, celle du métro de São Paulo, auquel le groupe français a fourni à la fin des années 90 l’équipement énergétique grâce au versement de juteux pots-de-vin, le tout sous couvert de faux contrats de consultants.

Au Brésil, ces consultants, chargés d’approcher et de soudoyer les décideurs politiques, étaient méthodiquement dirigés par une direction spécifique d’Alstom, « la direction commerciale étranger », comme l’expliquait Marianne. Ou bien encore par « l’International Network », département qui selon l’ONG Sherpa « aidait les filiales à sécuriser des contrats dans le monde » et dont la direction « à partir de 2000 a centralisé les procédures d’approbation des contrats relatifs à l’embauche de consultants. »

Ainsi le « système » que réfute Patrick Kron n’était-il pas « généralisé » mais quasi institutionnalisé. Malgré les efforts en matière d’éthique d’Alstom, la corruption a par conséquent continué bien après l’arrivée de Patrick Kron en 2003. En témoigne l’affaire de corruption en Indonésie mais aussi l’affaire brésilienne, puisqu’Alstom a continué à distribuer le bakchich à la société off-shore chargée de payer les pots-de-vin au Brésil, après la loi anti-corruption de 2001, selon un extrait bancaire révélé par Marianne. On ne sait d’ailleurs toujours pas, à ce jour, ce que sont devenus les 10 millions de dollars qui dormaient tranquillement dans cette caisse noire brésilienne vidée en 2001 et 2002 via seize transactions…

Le Figaro : « La cession des activités énergie n’est pas précisément une victoire et l’amende américaine a coûté cher. Ne devriez-vous pas renoncer à votre prime de 4 millions d’euros ? »
Patrick Kron : « Je répète que je suis fier de donner un avenir à l’ensemble de nos activités, même si c’est, pour certaines, à l’extérieur du groupe. Et le conseil d’administration semble le penser aussi puisqu’il a considéré que l’élaboration de ce projet et sa mise en œuvre justifiaient cette rémunération exceptionnelle. Ce n’est pas à moi de le commenter. Mais je n’entends pas y renoncer dès lors qu’en mon âme et conscience, je considère que c’est légitime. »

> Ce qu’en pense Marianne : Sur la prime de 4 millions d’euros que Patrick Kron entend bien percevoir « légitimement », en son « âme et conscience », à chacun de juger de la qualité du « projet » de revente de la branche Energie d’Alstom à GE, en ayant en tête les quelques éléments que nous venons d’avancer. Notons que Kron n’évoque pas le fait que vingt-et-un autres dirigeants d’Alstom se partageront avec lui un bonus additionnel de 30 millions d’euros (dont 4 millions d’euros sont donc destinés donc à Patrick Kron) et que les actionnaires percevront en dividendes autour de 3,5 milliards d’euros. Chacun se nourrit ainsi sur la bête, quasi morte, qui est promise, estime quant à lui Patrick Kron à un bel « avenir ».

Le Canard enchaîné de la semaine détaille justement cet avenir lumineux et nous apprend qu’Alstom, dans l’attente de la signature « formelle » de la vente de la branche Energie à GE a commencé à « dégraisser à grand train. » Après la signature de la vente « prévue pour octobre » prochain, les effectifs devront en effet rester stables durant trois ans. En un an, Alstom en a ainsi profité pour réduire de « 5% ses effectifs français » résume le Canard. Pas du tout répond le groupe il s’agit de « départs volontaires. » Une source proche du dossier affirme néanmoins à Marianne qu’en réalité le volontariat ne serait pas toujours de mise : « En interne, c’est la débandade… »

Patricia Neves

Source Marianne 02/07/2015

Voir aussi : Rubrique Affaires, Stratégie Alstom : les errances de l’Etat actionnaire,

Dossier coopération décentralisée : Le jumelage Montpellier Chengdu

Arrêt de bus Cheng Du. Photo Jmdh

 Chengdu arrêt de bus. Photo Jmdh

La ville de Montpellier est-elle prête pour le grand bond ?

L’inauguration de la Maison de Montpellier au cœur de Chengdu le 16 mai 2006, marque le 25e anniversaire du jumelage entre Montpellier et Chengdu. Coïncidence, cette date correspond aussi au quarantième anniversaire de la révolution culturelle. L’union durable entre les deux villes fut initiée par Georges Frêche en 1981, cinq ans après le décès de Mao. Le maire de Montpellier de l’époque n’a d’ailleurs jamais caché sa fascination pour la puissance politique chinoise dont une des caractéristiques réside dans son utopie, pour le meilleur comme pour le pire. Un quart de siècle plus tard, l’ouverture promulguée par Deng Xiaoping (natif du Sichuan) produit ses fruits et le temps de l’apprivoisement mutuel, entre Montpellier et Chengdu a fait son chemin.

La nouvelle impulsion que tente de donner Hélène Mandroux à cette collaboration s’inscrit dans une nouvelle Chine. Une Chine où le discours idéologique définit toujours le PCC comme le parti dirigeant qui construit le socialisme, mais où l’économie évolue largement en dehors du plan et s’ouvre au monde. Une Chine où les élites politiques chinoises se sont fortement étendues aux élites locales. Au-delà du mythe, les réformes juridiques et institutionnelles, comme le lien d’amitié dont bénéficie Montpellier méritent assurément l’attention du nouveau maire. A l’issue de son troisième séjour à Chengdu, Hélène Mandroux s’est vue confirmer que les portes lui étaient ouvertes. Outre les effets directs sur le plan du développement économique et culturel, l’invention de nouvelles formes de coopération décentralisée participe à la construction d’un nouveau monde. L’organisation de l’échange à différents niveaux est aussi une façon d’échapper à l’intégrisme du marché.

Un dimanche de mai à Chengdu

Conduite par Hélène Mandroux, la délégation montpelliéraine va de surprise en surprise. Vingt-cinq ans après la signature en 1981 du jumelage entre Montpellier et Chengdu, une première nationale en matière de coopération décentralisée franco-chinoise, la lumineuse illusion de Georges Frêche en 1981 est aujourd’hui une réalité. A l’instar du développement local, les Chinois convient leurs homologues à passer à une vitesse supérieure, tandis que les montpelliérains souhaitent maintenir une approche raisonnable pour être à portée des réalisations

Montpellier a une carte à jouer dans le Sichuan. Quarante-huit heures après avoir foulé le sol chinois, les membres de la délégation en sont fermement convaincus. Après un long round d’observation se traduisant par une collaboration ponctuée de petits pas, les échanges d’expériences entre les deux villes se sont progressivement intensifiés et s’accélèrent depuis quelques années. L’acuité de la relation s’est notamment développée en 2002 à l’occasion de la 54 ème foire internationale de Montpellier où Chengdu fut l’invité d’honneur. Ce lien d’amitié entretenu de longue date se traduit également par une augmentation notable des échanges universitaires. Le nombre d’étudiants des deux villes en situation d’immersion culturelle et linguistique est passé de la dimension symbolique à un stade significatif. Chaque année plus de 50 étudiants montpelliérains ayant une bonne connaissance de la langue rejoignent la terre du milieu pour un an afin d’approfondir leurs connaissances. Dans la réciprocité, Montpellier accueille aujourd’hui 300 étudiants Chinois. Et les accords interuniversitaires entre l’Université du Sichuan et l’université Paul Valéry se consolident ce qui devrait intensifier le flux.

Boosté par un contexte très favorable lié a l’attrait économique incontournable de la Chine et à l’ouverture internationale tout azimut, impulsée par le gouvernement chinois, le renforcement des relations s’impose comme une évidence qui n’a pas échappé au maire de Montpellier. C’est la troisième visite d’Hélène Mandroux à Chengdu depuis son accession aux commandes de la ville. Dès son premier voyage, elle a émis le vœu de renforcer les liens. Lors de sa seconde visite, elle a manifesté sa volonté d’ouvrir une antenne sur place, un souhait validé par le Conseil municipal en octobre dernier. Ce troisième voyage en deux ans se concrétisera par l’inauguration de la Maison de Montpellier à Chengdu mardi.

le projet a bénéficié d'une bonne couverture par la presse

le projet a bénéficié d’une bonne couverture par la presse

Vue de Chine, la notion de vitrine s’avère avant tout un levier d’action pour la promotion du développement économique. Soutenu par le maire de Cheng Du, Ge Honglin, le projet a donné une nouvelle dimension à la collaboration. Il a notamment bénéficié d’une bonne couverture par tous les organes de la presse locale. Ainsi les trois millions d’habitants de la capitale du Sichuan, province de 80 millions d’âmes, ont pu être informé de la visite de la délégation montpelliéraine bien avant son arrivée. La presse chinoise a largement relayé l’événement. Elle a notamment souligné l’importance et la diversité de la délégation montpelliéraine composée d’une trentaine de personnes. Les secteurs représentés, à travers les membres de la délégation, pharmacie, recherche, universités, tourisme, congrès, parc expositions, médecine, hospitalisation, vin, environnement, urbanisme, voirie, sont autant de pistes que les chinois entendent explorer avec pragmatisme. Samedi, l’accueil de la délégation par la ville de Changedu a été marqué par la présence du premier secrétaire général adjoint du district, Li Chun Cheng, qui a affirmé pour la première fois son soutien au partenariat engagé. Une marche semble donc avoir été franchi dans la hiérarchie à travers la présence de ce dignitaire qui préside aux destinés des sept districts de Chengdu. Un territoire de 10 millions d’habitants qui affiche un taux de croissance de 11%.

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Un territoire de 10 M d’habitants qui affiche un taux de croissance de 11%.

Dimanche, la délégation montpelliéraine s’est rendue à Qionlai, ville historique de 2 300 ans qui fut en son temps la porte de départ de la route de la soie. La délégation française a profité d’une impressionnante reconstruction historique donnée en son honneur. Signe d’hospitalité et de respect, le maire a reçu les clés de la ville à l’issue d’une cérémonie en costume retraçant la tradition d’accueil des commerçants d’antan devant une population massée en nombre aux portes de la vieille ville. C’est la première fois que Qionlai reçoit une délégation française. Dans l’après-midi un partenariat a été initié entre Montpellier et le district de Qionlai, berceau de la pharmacie traditionnelle chinoise qui enregistre un fort taux de développement.

Ces deux premières journée vont se poursuivre par deux journées en groupe de travail associant les professionnels français et chinois pour approfondir les pistes d’un partenariat que chacun espère fructueux. Les premiers échanges avec les autorités démontrent une réelle détermination à faire bondir l’amitié dans le concret. Une chance à saisir sur un marché très disputé qui pose néanmoins un problème d’échelle. Avec la force que possède le réel chinois et sa capacité de développement en un temps record, il importe de saisir les bonnes perches sans tarder, et de savoir mutualiser les moyens.

Sichuan Province pilote de l’ouverture économique

Aux portes du Tibet, la capitale du Sichuan est une ville agréable. Les Chinois disent qu’il fait bon y vivre. La cité a pourtant connu une extraordinaire mutation au cours des 15 dernières passant d’une architecture traditionnelle à une mégapole où les tours continuent de monter à une vitesse impressionnante. Depuis la nuit des temps, les quatre fleuves nés des plus hauts sommets du globe viennent creuser et fertiliser le Sichuan, province de 80 millions d’habitants réputée pour sa civilisation et ses soieries.

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les tours continuent de monter

Dès les années 70, la politique de développement économique a été expérimentée autours de Chengdu, sous l’impulsion d’un de ses illustres enfants Deng Xioping. C’est dans cette province que le successeur du grand timonier a testé sa formule avant de l’appliquer à l’ensemble du pays.

Il a commencé par relancer l’agriculture, puis à industrialiser les campagnes pour assurer un développement efficace reposant sur les possibilités locales. Après la mort de Deng en 1997, Jiang Zemin s’attellera à intensifier l’ouverture en s’appuyant sur trois pierres angulaires. Celles du développement, du parti et du nationalisme.

Le résultat se mesure encore bien à Chengdu quelque peu excentré par rapport aux grandes mégapoles de la côte Est. Ici aussi le triomphe économique bascule dans la société des campagnes vers la ville. « On construit deux hôtels et un palais des congrès trois fois comme le Corum de Montpellier en 8 mois », s’émerveille Eric Berard, le directeur de la SERM. Mais les problèmes liés à la rapidité des changements préoccupent les responsables chinois du développement urbain qui ont sollicité des conseils sur la gestion équilibrée de la population. « La question de l’assainissement est particulièrement aiguë, témoigne l’adjoint au maire Michel Passet, les nappes phréatiques sont polluées pour 200 ans. » Sur ce terrain aussi, les partenaires doivent trouver de l’audace. »

L’ouverture d’un local sur place est un critère déterminant.

La délégation montpelliéraine qui s’est rendue à Chengdu la semaine dernière initie une nouvelle étape dans la collaboration entre les deux villes. L’ouverture d’un local sur place pour favoriser les rencontres s’avère un critère déterminant. A l’issue d’une visite officielle de quatre jours les feux sont au vert pour une intensification des échanges. Les Montpelliérains entendent approfondir les projets débattus pour passer au stade des réalisations.

De retour de Chengdu, capitale de la province du sud ouest de la Chine, Hélène Mandroux affirme sa satisfaction : « Nous avons bien travaillé. Il faut maintenant faire vivre la Maison de Montpellier à Chengdu. ». Le Maire s’est muée durant quatre jours, en ambassadrice aguerrie magnant le compliment avec dextérité pour présenter les attraits de la 8 éme ville de France. « Les tailles de nos collectivités sont différentes mais l’exigence de qualité est la même, a-t-elle fait passer au premier secrétaire général adjoint de la province.

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Dans le district de Qionglai

Dans le même temps, la délégation œuvrait à préserver l’harmonie dans un tourbillon de propositions pour traduire le rapprochement en termes de projets concrets. Le passage de la délégation dans le district de Qionglai a permis de mesurer l’intérêt du patrimoine naturel de cette région qui abrite à elle seule, la moitié de la population mondiale de pandas. Les autorités chinoises locales ont sollicité leurs homologues pour favoriser le développement du tourisme. Un point que l’office du tourisme de Montpellier devrait pouvoir satisfaire sans difficulté en diffusant des informations sur cette destination. Par ailleurs, la Foire de Montpellier, représentée par François Barbance et Alain Formentin, agira de concert en réservant une place privilégiée, aux attraits économiques et touristiques de Chengdu et de ses alentours. De son coté, Chengdu s’engage à valoriser la destination montpelliéraine dans tous les salons où elle est représentée.

Secteur viticole

L’échange commercial entre les deux villes jumelles concerne également l’exportation de vins régionaux. Alors que les importations de vin paraissent saturées sur les zones urbaines de la côte est, le Sichuan, offre encore des opportunités. « Il faut s’adapter. Quand on sait que 80% des importations de vin en Chine correspondent à du vrac, Il est peu réaliste de mettre en marché des bouteilles, explique Pierre de Colbert, président des Grès de Montpellier : Les Chinois sont demandeurs en terme de conseils et de formation. Ils ont aussi évoqué la construction d’une usine d’embouteillage. Le Sichuan est peu propice à la culture de vigne. C’est un atout à saisir pour l’implantation des opérateurs français. »

Secteur médical

Mais c’est sans doute dans le domaine médical bien représenté, que l’échange à été le plus fructueux. La présence des doyens de la faculté de médecine et de pharmacie, du directeur du CHU Alain Manville, et de l’entreprise Sanofi a permis de nourrir le pôle de réflexion sur les projets envisageables. Sur plus de vingt pistes envisagées lors des séances de travail, trois projets restent d’actualité. Et l’axe d’échange semble tracé. La médecine chinoise, plurimillénaire dont Chengdu est un des berceaux intéresse le pôle médical de Montpellier. C’est une des conclusions qui ressort des ateliers de travail tenus en Chine la semaine dernière. En Europe, Montpellier est connue pour sa vocation médicale précoce. Par ailleurs, le fait que la ville soit aujourd’hui, conduite par un médecin, n’a pas échappé au corps médical chinois. Ainsi, la création d’un diplôme universitaire de médecine chinoise sur Montpellier devrait voir le jour dès la rentrée 2007. « La médecine chinoise dispose d’une approche totalement différente de la notre, explique Alain Terol, doyen de la faculté de pharmacie, nous prenons en compte les effets alors que les Chinois s’attaquent aux causes. » A moyen terme, le directeur du CHU, Alain Manville est disposé à ouvrir le premier service français de médecine chinoise traditionnel. Les Chinois sont aussi demandeur de formation dans différentes spécialités. « Nous avons envisagé la possibilité de retransmettre par satellite des intervention en chirurgie de la main », confirme Jacques Touchon. Chengdu a aussi demandé une collaboration montpelliéraine pour la création d’un centre de fécondation in vitro et d’une unité de diagnostic pré-ambulatoire. Ce dossier qui fait appel à des techniques de pointes, est pour l’heure «à étudier ». Il en va de même pour la déclaration d’intention qui devait conclure l’intensification des échanges entre les deux villes jumelées. Un accord, qui sied en apparence parfaitement aux autorités chinoises, a été trouvé pour se donner le temps d’approfondir.

Jing hong Liu dirige la Maison

dir-maisonDénichée par le délégué aux relations internationales, Bernard Fabre, cheville ouvrière du jumelage, Jing hong Liu a effectué un stage de deux ans à la Maison des relations internationales de Montpellier. C’est la nouvelle responsable de la Maison de Montpellier à Chengdu. Elle aura notamment pour mission de promouvoir la ville et sa région à travers la présentation et la commercialisation de produits et l’organisation de manifestations thématiques. Elle œuvrera également à partir de l’antenne montpelliéraine pour faciliter les rencontres en vue d’éventuels partenariats et pour promouvoir le développement économique de Montpellier ainsi que ses richesses culturelles. Une mission qui ne paraît pas hors de la portée de Jing hong Liu. Tombée en amour pour la France après avoir lu Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Mais au-delà du coté fleur bleue, la jeune femme a ses entrées dans les réseaux du pouvoir local. La rémunération de son poste est partagée entre Montpellier et Chengdu.

Soutien du consul général

Le consul Général

Jacques Dumasy

Dans le cadre de l’année de la France en Chine, Chengdu a reçu Jacques Chirac en octobre 2004. C’est à l’issue de cette visite que le président a donné suite à la volonté du Président Hu Jintao d’amplifier le développement des relations franco-chinoises notamment de l’ouest de la Chine. Ainsi, depuis octobre 2005 un consulat français à ouvert ses portes dans la capitale du Sichuan. La circonscription consulaire couvre une zone de 200 millions d’habitants qui comprend le Sichuan, le Yunnan, le Guizhou et la Municipalité autonome de Chongqing. « Le ministère des finances et le ministère des affaires étrangères se sont entendus pour soutenir les entrepreneurs français dans la région, plaisante le consul général Jacques Dumasy, une série d’entreprises comme Alstom, Lafarge, Groupama, BNP Paris Bas, Carrefour, Auchan… étaient déjà présentes sur place ». »>La création du consulat et de l’Alliance française où 500 Chinois apprennent déjà notre langue, vise à développer une nouvelle vague d’implantation et à réduire le déficit de notre balance commerciale. Dans ce contexte les instances consulaires se déclarent prêtes au croisement d’intérêts avec Montpellier, pour être un pôle d’entraînement auprès des opérateurs français. « Les coûts de production sont plus intéressant ici, confirme le consul général, les fonds immobiliers et la main d’œuvre qualifiée sont deux fois moins élevés que dans l’est du pays et les démarches sont facilitées par les autorités locales. » Quelle place réserver à la coopération décentralisée et à la Maison de Montpellier ? « Montpellier bénéficie d’une antériorité et nous ne sommes pas de trop, compte tenu de l’ampleur de la tâche », assure Jacques Dumasy.

Coopération décentralisée : Nécessités possibilités obstacles

L’approche chinoise s’est mesurée en partie à l’aune du contenu du protocole pour affirmer la volonté de collaboration. Elle s’est aussi traduite par la volonté chinoise de montrer les besoins sur le terrain. Montpellier a visiblement une carte à jouer mais la partie n’est pas gagnée

De la rencontre et du voyage naissent les interrogations. A première vue, les besoins chinois paraissent sans commune mesure avec ce que nous connaissons. « Cette fois on mord dans le sujet, confie Louis Pouget, adjoint au maire délégué à la voirie, Nous sommes limités du fait que nous ne passons pas par les mêmes dispositions pour arriver à un résultat analogue. » C’est le défi que Montpellier doit relever si elle veut franchir une étape avec ses collaborateurs chinois. En d’autres termes, comment intégrer et inscrire un partenariat dans une dimension où l’échange paraît peu réalisable et plein de malentendus.

La compréhension de la différence apparaît comme une nécessité pour se retrouver sur des valeurs partagées. L’existence des différences culturelles pousse à inventer de nouveaux savoir-faire pour impliquer l’autre dans la relation mais ne saurait pour autant, masquer notre commune humanité. Une ville comme Chengdu offre bien des possibilités ; encore faut-il pouvoir évaluer les offres et les demandes émises par les autorités chinoises. Comment faire le tri dans une telle profusion ?

Jean-François Vergnaud

Jean-François Vergnaud

« L’organisation chinoise est pyramidale et il y a des petites pyramides dans la grande pyramide, explique le sinologue Jean-François Vergnaud, l’Etat central préside à la destinée des grands investissements mais il faut saisir les formes de l’autonomie locale qui sont loin d’être négligeables. » La montagne est haute l’empereur est loin, rappelle un proverbe chinois. Le cheminement vers la connaissance réciproque implique aussi de connaître les capacités des partenaires. Aujourd’hui, la nouvelle génération au pouvoir en Chine est formée dans les meilleures universités et les Chinois disposent d’une force d’investissement à la hauteur de leurs ambitions. « La langue de bois est plutôt française, parce que nous n’avons pas les moyens de notre politique», constate un observateur averti.

Malgré la différence d’échelle, Montpellier bénéficie d’une amitié entretenue depuis 25 ans. La relation de confiance fait sens pour les décideurs chinois. L’importance du rapport culturel ne doit pas être sous estimé et cela passe en premier lieu, par une intensification des formations linguistiques. A charge pour Montpellier de canaliser les énergies. Pour aboutir, la ville doit maintenant obtenir le soutien concret des autres collectivités, à commencer par l’Agglomération et la Région, voir les chambres consulaires. Elle doit aussi jouer un rôle d’interface avec les entreprises locales concernées, et coordonner les initiatives par secteur d’activité.

Enfin Montpellier consolidera l’échange si elle offre des clés à ses partenaires chinois sur la subtilité des processus de décisions. Il faudra également observer comment les Chinois prendront leur part de responsabilité dans la gestion de la relation. Les opérateurs le savent, il faut bien connaître les méandres de la décentralisation chinoise pour faire avancer les dossiers. L’ouverture de la Maison de Montpellier à Chengdu correspond à une nouvelle étape qui consiste à mettre l’accent sur la préparation des réseaux humains.

Dossier réalisé par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique coopération Protocole entre l’Hérault et Quanzhou, rubrique Montpellier, Institut Confucius à Montpellier,