Macron se prend les pieds dans le Black-bloc

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En 1962, Jacques Ellul décrivait le tournant moderne de la propagande. Un écrit qui aide à comprendre la communication et l’action de l’État le 1er mai et comment il s’est pris les pieds dans le tapis.

Le gouvernement s’est-il pris les pieds dans ses propres stratagèmes de communication autour du 1er mai ? A la veille de la manifestation, un communiqué de la Préfecture de Police tourne sur les réseaux sociaux qui fait rigoler tout ceux et celles qui s’apprêtent à rejoindre le lendemain le cortège de tête. Reprenant, déformant, grossissant des éléments qui semblent tout simplement repris d’un appel publié sur Paris-Luttes-Infos (« Pour un premier mai révolutionnaire »), il fait monter la sauce : dans la manif du lendemain le black bloc sera très important, très déterminé, avec plein de militants étrangers… Bouh, les loups sont entrés dans Paris… Tout un discours sorti des années 70 sur les « casseurs » et les « agitateurs violents professionnels » préparant des mesures que va prendre la préfecture notamment en termes de fouille et de contrôle et qui annonce son rendez-vous avec les syndicats sur le déroulé de la manif.

Pour toute personne qui a un peu l’habitude de ce genre d’actualité, la ficelle est grosse : la préfecture fait, par avance, exister un danger plus énorme que d’habitude pour justifier, par avance, plus de brutalités et plus d’arrestations de sa part. Au passage, elle allèche les journalistes et les met dans l’ambiance qu’elle va elle-même créer : sur France-Inter le matin même, un papier est un copié-collé du communiqué.

Et ce fut le cas. Un cortège de tête important comme dans toutes les dernières manifs. 15 000 personnes ? 1 500 blacks blocs ? Ou des chiffres de la préfecture pour valider son propre communiqué et préparer les arrestations ? Ce fut sans doute la seule manif où les chiffres de la préfecture furent plus importants que ceux des (non)-organisateurs… En fait, le cortège de tête est très vite bloqué et progresse à peine de quelques centaines de mètres. Plus collectif, le black bloc fait un sort, rarement aussi radical dans le passé, à un Mac Do et à une concession automobile. Mais faute d’avoir pu s’élancer, beaucoup moins de vitrines de magasins symboliques du capitalisme sont cassées que d’habitude.

Car très vite, en moins de 30 minutes, une violente avancée des forces de l’ordre fait refluer et se disperser le cortège de tête vers le pont d’Austerlitz. Des tombereaux de grenades lacrymogènes sont lancés. Contrairement au discours du préfet qui dira plus tard dans les médias avoir fait retenir les coups en raison de la forte présence de manifestants non-violents, les lacrymos sont lancées sans ménagement sur cette partie du cortège, nous asphyxiant pendant de longues minutes, lancers recommencés alors que les premières n’étaient pas dissipées. Plus tard des tabassages sur des personnes, souvent très éloignées de tout affrontement comme au jardin des plantes ou sur le quai Saint-Bernard, ou plus tard place Contrescarpe ont lieu. Les barrages de CRS de tous côtés, y compris Pont d’Austerlitz côté Bastille, empêchent le repli, tandis que le cortège syndical a pris un itinéraire bis négocié à l’avance… Odeur de trahison en plus de celle des lacrymos. Sur le moment, sur place nous sommes écoeurés d’un tour aussi violent et aussi rapidement violent de la part de la préfecture, d’un piège aussi grossier, auquel nos syndicats ont prêté la main. Comme l’a bien montré l’article du Monde de Julia Pascual du 3 mai, les dégâts matériels sont bien moindres que lors d’autres manifs.

Mais ça n’est pas grave. La préfecture a bien préparé les médias et les politiques qui, même en étant pas présents sur place, relaient le message attendu : le saccage de Paris, des grandes artères aux mains des hordes violentes, etc. La curée médiatique est en route, aucun politique ne veut être pris en défaut de s’être insurgé et d’avoir condamné. Les tweets idiots s’enchaînent et la machine des télés d’infos en continu est lancée. Par magie des mêmes images qui tournent en boucle, c’est comme si des centaines de Mac Do étaient saccagés…

Comment des ficelles aussi grosses peuvent-elle marcher ? Jacques Ellul dans son livre de 1962, « Propagandes », montrait que celles-ci avaient changé de nature. Aujourd’hui, il ne s’agit plus beaucoup des « bobards », des fausses informations comme lors de la guerre de 14-18 et on peut d’ailleurs se demander si le thème des « fake news » qu’affectionnent les politiques – plus que les journalistes – n’est pas une manière de détourner de la réalité de la propagande moderne. Il s’agit donc moins des bobards que de la capacité à orienter les victimes de la propagande dans le flux de l’information. Au milieu d’un bombardement d’informations, d’un flux continu difficile à décrypter, il suffit d’en souligner quelques-unes, certaines et pas d’autres, pour faire ressortir la réalité qu’on veut faire accepter. On colorie celles choisies avec des mots qui frappent : casseurs, black bloc, saccage, cocktails molotovs… Cela fonctionne d’autant plus qu’on entretient, ou qu’on a préparé, un climat de tension et que le téléspectateur ne connaît pas la réalité dont il est question et s’accroche à ce qu’il peut pour s’y repérer.

C’est exactement ce qui s’est passé. Et il était atterrant, rentré le soir chez soi, de voir le décalage entre ce qui avait été vécu sur le pont d’Austerlitz et ce qu’en disaient avec certitude sur les télés et dans les réseaux sociaux des gens qui n’avaient rien vu de la réalité… Efficacité de la propagande moderne.

Le gouvernement avait, dans un premier temps, réussi : faire peur, grimer la réalité en bien plus inquiétante qu’elle ne l’était, faire croire qu’il n’y avait plus rien entre lui et le black bloc, et certainement pas les syndicats qui auraient été supplantés… alors pourquoi discuter avec eux ? Et s’il n’y a que le gouvernement et le black bloc, qu’allez-vous choisir braves gens ?

Mais la difficulté pour Macron, c’est qu’à ce petit jeu de la propagande moderne, il a de la concurrence… La droite a toujours su faire. Elle a su exploiter une contradiction du discours : si la menace était si grande qu’annoncée, pourquoi ne pas avoir déployé plus de force ? Si les dégâts sont si importants, n’est-ce pas qu’il n’y avait pas eu assez de forces en présence ? Le gouvernement a été victime de ce qu’on apprend aux enfants : quand on ment, il y a un moment où il y a des choses qui ne collent pas et on se fait cramer…

La droite et l’extrême-droite ont utilisé la faille et, à leur tour, ont colorié leurs éléments du flux d’information avec leurs propres formules chocs pour donner un autre sens à la réalité : défaillance de l’État, faillite de l’État régalien, laxisme du pouvoir…

Là où le gouvernement voulait montrer qu’il n’y avait rien entre lui et le black bloc, la droite l’a piégé en estimant qu’il n’y avait même pas le gouvernement. On pourrait presque en rire en se disant qu’il n’y a donc plus que le black bloc. On n’en rira pas car pour alimenter ce petit jeu politicien de la propagande moderne, plus de 200 personnes ont été arrêtées, dont des mineurs et des dizaines d’autres vont sans doute écoper de lourdes peines…

Stephane Lavignotte *

* Ancien journaliste, militant écologiste, pasteur de la Mission populaire à Gennevilliers (92), habite à L’Ile-Saint-Denis.

Source. Le Club est l’espace de libre expression des abonnés de Mediapart. 04/05/2018