Faut-il avoir peur de la rupture conventionnelle collective ?

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C’est certainement déjà l’une des stars des ordonnances Macron. Nouvel outil de restructuration à froid des entreprises, la rupture conventionnelle collective répond déjà au doux acronyme de RCC. Sans même attendre la publication du décret au Journal officiel du 22 décembre, des entreprises relevant de secteurs d’activité radicalement différents annonçaient entrer en négociation sur le sujet : PSA, Pimkie, les Inrocks et probablement la Société générale devraient inaugurer ce nouveau dispositif dès le début de cette année.

La RCC aura-t-elle le même succès que sa grande sœur la rupture conventionnelle qui fêtera ses dix ans en 2018, avec déjà plus de deux millions et demi de « séparations à l’amiable » homologuées par l’administration ? L’avenir le dira, mais la RCC semble promise au même succès.

Un dispositif peu contraignant

La rupture conventionnelle collective qui permet à plusieurs salariés de quitter l’entreprise sous la forme du volontariat a en effet beaucoup pour plaire aux entreprises. Elle est déconnectée du licenciement pour motif économique, l’employeur n’est donc pas contraint de rattacher ces mesures à une quelconque justification sur le terrain économique. Alors qu’un employeur ne peut pas recruter de nouveaux candidats pour occuper les postes qui viennent d’être supprimés pour raison économique, il pourra désormais le faire grâce à la RCC qui s’affranchit globalement des dispositions contraignantes du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)1.

Plus rien n’interdit une direction d’embaucher dans la foulée un intérimaire ou un salarié payé moins à la place d’un salarié qui s’est porté volontaire pour quitter l’entreprise dans le cadre de cette nouvelle RCC. Les modalités d’information-consultation des institutions représentatives du personnel (le nouveau comité social et économique ou CSE) sont beaucoup moins formelles qu’en matière de PSE.  Il est simplement question ici d’information du CSE. Il ne sera pas possible par exemple pour les syndicats de diligenter un expert-comptable pour s’assurer de la pertinence du projet.

Le reclassement interne et les mesures d’accompagnement liées au PSE, comme le contrat de sécurisation professionnelle ou le congé de reclassement ne concernent pas les candidats à la RCC. L’ordonnance prévoit seulement « des mesures visant à faciliter le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ». Hier sur France inter, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a précisé que les conditions d’accompagnement, de formation et de reclassement seront négociées avec les syndicats et que les salariés concernés sont éligibles au chômage. Faut-il en déduire que l’employeur voit s’ouvrir un boulevard pour supprimer des postes à tout va ?

Cercle vertueux ?

La réalité est beaucoup plus nuancée. D’abord, parce que contrairement à la logique des PSE, la rupture conventionnelle collective exclut tout licenciement et ne repose que sur du volontariat. Autrement dit, si l’accord prévoit 100 suppressions d’emploi et que 80 salariés se portent candidats au départ, l’employeur ne pourra pas licencier 20 salariés pour atteindre son objectif initial. Cette configuration est toutefois rare. L’expérience des plans de départs volontaires a montré que l’appel au volontariat est en général couronné de succès, de sorte qu’il y a souvent plus de candidats au départ que de postes supprimés et qu’il faut les départager en posant des critères objectifs, ce que prévoit l’ordonnance en l’article L.1237-19-1 du Code du travail.

Autre garde-fou, le dispositif repose sur la négociation. La RCC vivra si un accord majoritaire (signé par des syndicats représentant au moins 50 % des voix exprimées en faveur des syndicats représentatifs) l’autorise. Telle est la logique du cercle vertueux. Le caractère majoritaire de l’accord garantit sa qualité. Car comment des syndicats représentatifs peuvent-ils apposer leur signature sur un accord au rabais, qui bafouerait les droits des salariés ?

Le raisonnement est fort mais se heurte parfois à une réalité autre, empreinte de chantage patronal et de faiblesse syndicale qui aboutit à des accords a minima. Plutôt que de devoir s’engager dans un plan social avec des menaces de licenciements à la clé, les syndicats pourraient être tentés de signer des accords qui privilégient le volontariat. Un choix cornélien.

Enfin, dernier argument avancé par le ministère du Travail : son administration, la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) veille au grain. Elle est associée aux négociations, contrôle l’accord lorsqu’il est signé et s’il offre suffisamment de garanties, le valide. Son contrôle est néanmoins beaucoup moins approfondi que lorsque l’employeur décide unilatéralement d’un plan et elle ne dispose que de 15 jours pour examiner l’accord en suivant les prescriptions de l’article L. 1237-19-3 du Code du travail.

A cet égard, l’administration doit vérifier que l’accord portant RCC exclut tout licenciement, que le comité social et économique a bien été informé et enfin que l’accord comporte les mesures idoines (mesures d’accompagnement, indemnités de rupture au moins égales aux indemnités dues en cas de licenciement…). Seule la « présence » de ces mesures est contrôlée. Il suffit donc qu’elles figurent dans l’accord sans qu’elles soient nécessairement qualitatives.

Des accords de faible vertu ?

A priori, l’administration devrait s’opposer à un accord qui ne viserait que des seniors ou qui ne comporterait que des « chèques valise ». Dans la première hypothèse, la discrimination est patente, dans le second, l’absence de mesures d’accompagnement devrait conduire au refus de l’administration. Mais au-delà de cet étiage, la validation de la Direccte ne devrait pas poser de difficultés, ce qui signifie que des accords faibles qualitativement pourront prospérer. Ce sera probablement le cas d’un accord panachant salariés seniors et salariés trentenaires. Le cercle vertueux garanti par le triptyque volontariat/accord majoritaire/contrôle de l’administration a des failles. Et des accords peuvent être au final de faible vertu…

A ce stade, les premières utilisations de la RCC posent des questions. La direction de Pimkie (groupe Mulliez) a communiqué sur la première réunion de négociation qui aura lieu le 8 janvier et dont l’objectif « sera de présenter la situation économique et financière » de l’entreprise. Les syndicats redoutent que le groupe de prêt-à-porter qui accuse des pertes ne supprime quelque 80 magasins (dont 20 en France). N’y a-t-il pas dans cette présentation de la direction l’aveu d’un plan social déguisé ? Car la RCC est censée être déconnectée du licenciement pour motif économique…

De son côté, PSA a indiqué qu’il « n’y a ni plan social ni suppression de postes ». La RCC sera un volet supplémentaire dans le cadre « d’un dispositif d’adéquation des emplois et des compétences (DAEC) qui existe depuis 2012 et permet à l’entreprise d’ajuster ses effectifs et les réduire sans licenciement ». Voilà qui correspond davantage à l’épure de la RCC, un outil de restructuration à froid qui encourt déjà le risque d’être instrumentalisé pour des réorganisations à chaud.

Aurora Moraine

Source Alternative Economique 05/10/18

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