La mosquée de Lunel a élu son nouveau président après des mois de tensions

 La mosquée de Lunel, . PASCAL GUYOT / AFP

La mosquée de Lunel (Hérault) a un nouveau président. Après des mois de vives tensions avec un groupe de jeunes radicalisés, l’équipe dirigeante de l’Union des musulmans de Lunel ? association gestionnaire de la mosquée de cette ville de 26 000 habitants ? avait été contrainte de démissionner. Les hostilités avaient été attisées par le départ d’une vingtaine de jeunes Lunellois pour le djihad en Syrie, où au moins huit d’entre eux ont été tués.

Le scrutin, initialement prévu dimanche 25 octobre, avait dû être interrompu, en raison de discussions qui avaient viré à la bagarre entre une poignée de jeunes intégristes et d’autres fidèles à l’intérieur même du lieu de culte.

Le nouveau président, Benaissa Abdelkaoui, est un habitué de la mosquée, bien connu de toute la communauté. Il a travaillé dans le maraîchage en Petite Camargue avant de devenir chauffeur routier. Il a dit après son élection ne souhaiter qu’une chose : « Que nous puissions vivre notre religion dans la tranquillité. »

« Que tout rentre dans la normale »

Benaissa Abdelkaoui bénéficiait du soutien d’une figure incontournable de la communauté musulmane régionale, Driss El Moudni, président depuis 2008 du Comité régional du culte musulman (CRCM). Pour ce dernier, « le nouveau président et le nouveau bureau vont tout faire pour que tout rentre dans la normale. Nous allons faire très vite une journée portes ouvertes pour bien montrer ce qui est fait à la mosquée ». L’une des premières tâches de l’association sera de chercher un imam. « Ce n’est pas simple. Il faut trouver quelqu’un de bien formé et de bilingue. On va les aider », a assuré M. El Moudni.

L’imam précédent, Elhaj Benasseur, a lui aussi démissionné en raison des tensions avec un groupe de jeunes radicalisés. La communauté musulmane est particulièrement importante à Lunel. Le chômage également. Certains jeunes de la communauté, en mal d’avenir, se sont laissés séduire par les discours des mouvances djihadistes et sont partis en Syrie, en 2014, sous la bannière de l’Etat islamique.

À l’époque, l’Etat s’alarme, le préfet multiplie les déplacements dans la ville et cherche à voir s’il y a à Lunel « une filière de recrutement de djihadistes ». Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, fait le déplacement en février pour bien affirmer qu’il fait la différence entre « l’islam de tolérance » souhaitée par la très grande majorité de la communauté musulmane, à Lunel comme ailleurs, et une poignée de jeunes à la dérive et radicalisés.

A la mosquée, les tensions s’aggravent quand l’imam essaie de dissuader les jeunes de partir en déclarant dans un prêche qu’aller faire le djihad en Syrie ou en Irak n’est en rien un précepte de l’islam. Des jeunes radicaux s’en prennent à lui, et professent des menaces de mort contre lui et sa famille.

L’imam porte plainte et gagne son procès en septembre 2015 : deux jeunes d’une trentaine d’années sont condamnés en correctionnelle à 18 mois avec sursis et interdiction de retourner à la mosquée. Mais ils font appel du jugement et, en attendant un nouveau procès, reviennent à la mosquée. L’imam préfère alors jeter l’éponge. Le 18 octobre, le président de l’association, Rachid Belhaj, lui emboîte le pas et démissionne à son tour, après seulement dix mois de mandat.

Le nombre de fidèles a baissé de moitié

Deux semaines plus tard, c’est dans un climat apaisé que la communauté s’est retrouvée dimanche pour voter, sous le regard de quelques policiers restés de l’autre côté de la route, « au cas où ». Quatre-vingt-treize personnes ont voté (sur 800 adhérents), soit un nombre dans la norme des élections précédentes. « Notre système de vote est simple, explique un fidèle, un papier d’une couleur par candidat. Comme il n’y avait qu’un candidat, on n’avait cette fois-ci qu’un papier à mettre si on souhaitait voter ! ».

La plupart des musulmans qui avaient fait le déplacement refusaient néanmoins d’échanger avec les journalistes et préféraient partir discrètement… « Je n’ai rien à dire », « Je ne parle pas français », « Je ne suis pas le responsable, je ne peux pas vous parler »… Les traces des tensions précédentes sont aussi visibles à la prière du vendredi : en un an, le nombre de fidèles a diminué de moitié, de nombreux musulmans ayant fini par déserter le lieu de culte pour prier chez eux. D’après la préfecture, aucun jeune Lunellois n’est parti pour la Syrie cette année.

Anne Devailly

Source Le Monde.fr 01/11/2015

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