Avignon 2016 #00 La pré-programmation de la 70ème édition

ob_07e197_1209500-festival-davignon-2016-une-70eProgrammer une saison culturelle ou un festival est un acte majeur puisqu’il révèle le projet artistique décidé pour le lieu. Il est difficile d’évaluer cet acte tant il souffre de compromis nécessaires entre missions, budget, tutelles, désirs et réalités. L’indice de fréquentation n’est également pas un outil satisfaisant ou du moins pas sur le court terme. Malgré tout on peut voir, à la lecture d’un programme, s’il s’agit d’un fourre tout presque hasardeux, si une thématique se dessine, si des parcours se pensent pour les spectateurs… On peut voir, en fait, si c’est un acte pris à la légère ou si programmer veut dire éduquer, accompagner, poser un ancrage pour une réflexion collective, amener quelque part où reconnaissance, savoir, désir et attente sont heureusement bouleversés et malmenés.

La programmation au festival d’Avignon remonte à 1947 où Vilar inaugure un projet, celui de proposer aux spectateurs ce dont ils n’ont pas l’habitude et d’ores-et-déjà un rendez-vous culturel exigeant en province.

La semaine d’Art joue « Richard II » de Shakespeare, texte peu joué en France, « La terrasse de midi » de Clavel, auteur alors inconnu et « L’histoire de Tobie et de Sarah » de Claudel.

Vilar aura à cœur de faire découvrir de nouvelles formes et de transmettre un goût pour la curiosité et le risque tout en proposant son théâtre qui, à l’époque, se voulait moderne en s’inscrivant dans un dépouillement et une parole donnée frontalement au public. Après sa mort, en 1971, ce sont des programmateurs seuls, et non des artistes, qui prennent le relai de cette pensée en faisant du festival d’Avignon un festival reconnu et important tout en continuant de présenter des créations inédites et des formes nouvelles.

L’acte de programmation se fait d’autant plus marquant lorsque, de 2004 à 2013, les directeurs Hortense Archambault et Vincent Baudriller mettent en place le concept de l’artiste associé à l’édition du festival. Un ou deux artistes centralisent la programmation, dessinent des parcours possibles pour les spectateurs. Les directeurs vont jusqu’à publier un petit livre gratuit de discussions avec l’artiste associé, livre qui devient guide, matière à réflexions. Chaque année devient l’occasion de connaitre plus particulièrement un artiste et de se laisser porter – ou non – par son approche du théâtre.

L’édito de 2004 incite alors à trouver son propre chemin et indique qu’il y a « parfois différentes clefs pour entrer dans [l’œuvre des artistes invités] à travers d’autres spectacles, des concerts, des lectures, des films – de leur répertoire ou d’artistes complices – des expositions, des débats et rencontres. » Tout en se faisant écho, à d’autres endroits, des causes de l’annulation du festival en 2003, l’édito annonce et promet des chemins à arpenter dans un programme qui ne laisse que peu au hasard, où chaque proposition se pense comme un petit caillou blanc qui amène ainsi à suivre une piste.

En 2014, Olivier Py devient le nouveau directeur du festival, premier artiste programmateur depuis Jean Vilar.

Il définit alors son projet par l’importance donnée à la jeunesse, l’international et la Méditerranée, l’itinérance et la décentralisation de l’intra-muros d’Avignon, la poésie et la littérature contemporaine, le numérique notamment via le label French Tech. Le concept de l’artiste associé cède devant Olivier Py, artiste présent chaque année.

L’édito de 2014 promet une édition tournée vers l’émergence mais les propositions entrent en contradiction avec cette promesse. Bien sûr, de jeunes artistes sont présents mais ils se heurtent à de nombreuses grandes figures et à la présence écrasante du directeur qui, en plus de signer sa première édition, totalise trois spectacles et deux lectures.

L’édito de 2015 annonce un programme se voulant l’écho du monde, rien de moins, et une fois de plus, le directeur totalise trois spectacles dont « Le Roi Lear » de Shakespeare dans la cour d’honneur.

La présence ainsi importante et régulière de l’artiste directeur et programmateur est également celle d’un directeur de Centre Dramatique National mais ce dernier est justement sensé instaurer un accompagnement avec une ville qui ne le connait pas et pour un temps déterminé avant de céder sa place à un autre artiste.

Olivier Py directeur programmateur du festival d’Avignon, c’est contraindre les propositions à une présence qui est loin d’être inconnue à ce festival (neuf spectacles dans le IN depuis 1995 jusqu’en 2006). S’il s’agit d’un accompagnement, il est pour le moins excessif car être à ce point présent, cela oriente le regard, cela attire comme l’artiste associé pouvait attirer l’œil, c’est une entrée possible pour le spectateur/lecteur du programme.

A partir de là, comment peut-on prétendre amener un public à un endroit autre qu’à soi-même ? Comment peut-on prétendre amener un public vers l’émergence d’artistes tout en occupant le programme avec cinq propositions ?

Comment peut-on prétendre annoncer une programmation qui se veut écho d’une actualité tout en ouvrant le festival dans la cour d’honneur ?

Comment peut-on prétendre être directeur d’un festival attentif aux formes audacieuses et nouvelles tout en totalisant huit propositions sur deux éditions ?

Ceci étant dit, qu’en est-il à la lecture de la pré-programmation de la 70ème édition (édition anniversaire) pour ce mois de juillet 2016 ?

Dix ans plus tôt, les précédents directeurs proposaient un programme avec comme point de départ l’artiste Josef Nadj et un parcours lié au rapport que l’on peut entretenir avec la tradition et le maitre, les racines et le mouvement vers un ailleurs. L’édito pose la question « comment peut-on être moderne aujourd’hui ? », le programme fait venir des maitres du théâtre européen comme Ariane Mnouchkine, Peter Brook et Anatoli Vassiliev qui côtoient alors les écritures d’Edward Bond, de Pommerat.. Un programme où les corps en transe de Platel réinventent les vêpres de Monteverdi.

L’édito de cette édition 2016 est similaire à celui de 2015 : l’on y dresse un état du monde et l’on y raconte que le théâtre, qui croit encore en l’homme, saura nous sauver en faisant montre d’émerveillement et de courage. « Oui, nous insistons, si les puissants ne croient plus en la culture, c’est qu’ils ne croient plus à la souveraineté du peuple. Voilà ce que Jean Vilar est venu dire à Avignon et qu’inlassablement nous dirons encore lors de cette 70e édition. » Rien de moins et si l’édito, par son emphase quelque peu naïve, se fait fable où Jean Vilar annonce en terre provençale que le peuple est sauvé, il n’aborde pas la programmation.

A la lecture des propositions nous pouvons noter que Krystian Lupa réitère sa venue après « Des arbres à abattre » présenté l’édition précédente et une fois de plus sur un texte de Thomas Bernhard. Le festival poursuit la présentation de certains « jeunes » artistes comme Gosselin et Truong tous deux présents en 2013 et Jolly et Layera tous deux présents en 2014.

Des figures maintenant importantes pour le festival avec les présences d’Ivo Van Hove, Angélica Liddell et Sidi Larbi Cherkaoui.

Des noms reconnus qui ne sont pourtant jamais venus à Avignon comme Bérangère Vantusso, Madeleine Louarn ou encore Marie Chouinard.

Et puis c’est une programmation qui s’attache à présenter des artistes émergents dont le travail commence au début des années 2000 pour certains et au début des années 2010 pour d’autres.

Et nous pouvons observer la présence (en retrait) du directeur qui part en itinérance avec son seul spectacle « Prométhée enchaîné Eschyle, pièces de guerre ».

Finalement ce sont des artistes d’un peu partout en France, Athènes, Madrid, Damas, Bruxelles, Vienne, New York, Stockholm, Beyrouth, Montréal, Vilnius, Santiago du Chili, Moscou, Téhéran… qui composent cette programmation.

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Il est dommage que, par son édito, Olivier Py n’annonce aucun geste de programmation particulier si ce n’est un théâtre fait d’émerveillement et de courage car les propositions sont intéressantes et le retrait du directeur les rendent lisibles, il y a peu de figures habituelles et une majorité de jeunes artistes et le retour de Lupa en travail sur Bernhard insiste avec élégance.

Alexis Magenham

 

Source : Blog Saturne 30/03/2016

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