Un non-regard

jeveuxvoirJe veux voir. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige filment Catherine Deneuve et l’artiste libanais Rabih Mroué dans les décombres de la guerre de 2006.

Présenté dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes, Je veux voir est un projet atypique initié par les réalisateurs Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Le film était projeté au Diagonal dans le cadre de Hiroshima Station, un partenariat qui vise à s’inscrire dans l’actualité événementielle avec la création Hiroshima mon Amour, mis en scène par Julien Bouffier au Théâtre des Treize Vents.

Je veux voir répond à Tu n’as rien vu à Hiroshima, la phrase de Duras dans le film de Resnais. Comme la pièce de Bouffier, le film libanais découle d’une nouvelle mise en contexte et avalise l’impossibilité de saisir ce qui se passe.

Angoissée, soucieuse, Catherine Deneuve porte le film avec la marque de la culpabilité sociale et celle de la peur qu’elle parvient à surmonter – à travers le fait qu’elle n’épouse pas les préjugés et trouve la capacité de se rendre compte par elle-même – dans le cadre d’un parcours sécurisé au Sud-Liban.

Ce pays a certainement besoin de la fiction et du documentaire pour montrer l’inexprimable, mais le parti pris qui porte la confusion entre documentaire et fiction au centre du film, s’avère ambigu. Le spectateur ne peut partager l’aventure cinématographique qu’on lui propose qu’au prix d’abdications. Celles de savoir ce qui se passe réellement, de situer le propos, et d’accéder à un langage décryptable. Le scénario est minimaliste. Certains plans nourrissent l’imaginaire. Le ballet de grues mécaniques enfouissant les traces des bombardements en repoussant les restes d’immeubles dans la mer, est un passage empreint d’une réelle esthétique cinématographique. Mais le déchiffrage des données sensibles ne cesse de se heurter aux contraintes scénarisées du tournage, qui n’apportent rien hormis la désagréable sensation de suivre un documentaire télévisé un peu vite estampillé d’investigation. Les réalisateurs ne renoncent pas à glisser dans la dramatisation narrative du type : deux êtres qui ne sont pas du même monde se rencontrent dans un dîner de gala.

En ce sens, le film exprime une forme d’inachèvement qui tient moins à la neutralité du propos sur le drame historique, qu’au rapport de vraisemblance impliqué par un récit qui contribue à brouiller un peu plus les pistes.

Jean-Marie Dinh