Lol@ et la fiabilité du système humain

Emmanuelle Terff réaffirme la domination de l'imaginaire

En mission pour une multinationale sur une île du bout du monde, David qui dresse la carte des vents pour une hypothétique exploitation éolienne, est convoqué au siège de sa société. Il rejoint, non sans mal, la sphère urbaine qu’il a quittée pour les grands horizons suite au départ de sa femme. Après un exil de cinq ans, cet ordre de rappel sera l’occasion d’une double reconnection avec le monde politico-économique et celle qu’il aime toujours, Lola, la mystérieuse, que la police recherche pour des attaques numériques de grande ampleur.

Mutation du réel

La mutation technologique et ses effets sur la nature humaine sont au cœur du roman d’Emmanuelle Terff qui maîtrise parfaitement son sujet pour avoir créé l’un des premiers systèmes de protection des internautes aux Etats-Unis. Ce livre, dont le philosophe académicien Michel Serres souligne dans la préface l’inventivité narrative, arrive à point nommé au moment où tout le monde s’ingénue à se trouver de nouveaux amis sur Facebook sans vraiment vouloir se souvenir des scandales suscités hier par les écoutes téléphoniques. L’incursion dans la vie privée, via l’évolution technologique, semble aujourd’hui parfaitement tolérée.

L’autisme numérique

L’auteur évoque la question de la fiabilité du monde virtuel sur lequel repose l’hyperstructure de l’économie mondiale qu’elle superpose habilement avec la fiabilité tout aussi incertaine des sentiments de ses personnages. Au premier rang desquels ceux de David qui découvre trop tard la vraie personnalité de son ex-femme dont les idées en ont fait la terroriste la plus recherchée de la planète. Face aux moyens colossaux déployés par son employeur pour localiser Lola, David navigue dans le flux de ses souvenirs. Il entend son rire, revoit ses seins, et apparaît comme la victime d’une autre forme de virus : celui de l’amour d’une femme. Fort heureusement, la géométrie mentale de cette maladie s’avère peu adaptée aux cases binaires du système informatique.

Pouvoir subversif de la littérature

A travers le portrait de Lola, Emmanuelle Terff réaffirme la domination de l’imaginaire sur les filtrages technologiques et autres modes de tatouages électroniques. Le choix du roman correspond à celui du pouvoir subversif de la littérature. « Il y a plus de renseignements sur les techniques d’espionnage dans les livres de gare que dans les publications savantes. » L’écriture est fluide et les 175 pages au parfum sensuel se parcourent sans peine. Reste à savoir combien de fois votre mobile aura vibré et votre ordinateur clignoté durant la lecture…


Lol@, éditions Les 3 Orangers, 17 euros.