Tunisie: les indépendants veulent se faire une place aux municipales

ans le local d'Ettakatol, certains des colistiers du parti posent avec leurs familles. La campagne reste bon enfant dans cet petite ville proche de Monastir  © FTV

ans le local d’Ettakatol, certains des colistiers du parti posent avec leurs familles. La campagne reste bon enfant dans cet petite ville proche de Monastir © FTV

Pour les municipales en Tunisie, il y a les deux grands: Nidaa Tounès, parti du président Essebsi, et Ennahda (islamistes). Mais il y a aussi des petites formations dont les candidats se présentent sur des listes indépendantes. Comme par exemple à Zéramdine, ville cossue de 17.000 habitants à une vingtaine de kilomètres de Monastir (sud-ouest de Tunis). 

A Zéramdine, où se présentent six listes de 18 personnes chacune, dont deux indépendantes, la politique semble très bon enfant. On discute avec le journaliste étranger à une terrasse de café de la rue principale, où vont et viennent candidats, militants et sympathisants.

La politique est aussi très familiale, au sens littéral du terme. Les enfants sont de la partie, avec drapeaux et tee-shirts. Le numéro 1 d’une des deux listes indépendantes, Maher Gaddouk, membre du bureau politique du parti Ettakatol (social-démocrate), y figure avec son beau-frère. Professeur d’anglais dans un établissement scolaire local, il vous présente la pharmacienne qui est l’une de ses anciennes élèves. Et toutes les deux minutes, il salue avec de grands gestes des passants ou des automobilistes à qui il a appris les rudiments de la langue de Shakespeare…

Au niveau local, les représentants d’Ettakatol entendent «regagner la confiance des électeurs» en montrant leur «honnêteté», dixit Maher Gaddour. Et ce après une expérience controversée au gouvernement à Tunis de 2012 à 2014 au sein de la Troïka, en coalition avec Ennahda et le parti de l’ancien président Moncef Marzouki. «Peut-être qu’à cette époque, on s’est trompé», concède le leader local. Le «peut-être» est un «sûrement» quand on discute avec d’autres militants…

«On est en train de se reconstruire», précise le numéro un. D’où cette position sur une liste «indépendante». Indépendant au niveau local vis-à-vis des grands partis avec qui Ettakatol refusera toute alliance. Dans ce contexte, à Zéramdine, les représentants de la formation social-démocrate (membre de l’Internationale socialiste) estiment, au vu, disent-ils, de sondages, avoir de bonnes chances de figurer en tête à l’issue du scrutin, devant les islamistes. Lesquels semblent mener, ici comme ailleurs, une campagne très active. Du moins si l’on en croit le nombre de véhicules à leurs couleurs diffusant de la musique… «Ils ont beaucoup d’argent», affirme l’un de leurs adversaires rencontré dans la rue.

Problème et paradis
Et le programme d’Ettakatol dans tout ça ? Les militants ne jurent que par des «promesses réalistes». Mais encore ? «Nous voulons améliorer les infrastructures, rénover le centre ville et construire une salle de sports individuels. Nous voulons aussi proposer une application internet permettant aux citoyens de dialoguer avec la municipalité.»

Et quelles propositions font les sociaux-démocrates pour lutter contre la crise économique qui frappe durement le pays ? «La crise est un très grand problème», concèdent-ils en expliquant qu’«on ne peut pas non plus faire de la Tunisie un paradis». A Zéramdine, on est d’autant plus concerné par les problèmes économiques qu’une briqueterie locale, employant 2000 personnes, pourrait fermer ses portes.

«La question se règle au niveau national. Mais si nous étions élus, nous pourrions peut-être agir en exigeant des procédures plus rapides pour faciliter la venue d’un investisseur japonais», estime Maher Gaddour.

Et de conclure : «On ne peut pas nier les problèmes. Mais avec ces élections et le nouveau code des collectivités locales, nous sommes en train de créer une démocratie de proximité. Il faut évidemment s’assurer que la loi sera appliquée. Il s’agit d’instaurer un nouveau climat de confiance.» Un climat essentiel pour susciter de l’espoir chez les Tunisiens désabusés.

Laurent Ribadeau Dumas

Source : Géopolis 05/05/2018

Quel rôle pour la gouvernance locale dans le développement économique des territoires?

Tunisie jpegL’élection des 350 municipalités et 24 conseils régionaux ne doit pas occulter la nécessité de corriger les disparités mises à jour par la révolution.

Dans quelques heures, des millions de tunisiens vont aller voter pour les toutes premières élections municipales post-révolution. Toutefois dans bien des cas l’ “idéologie” semble éclipser les réels enjeux économiques de ce scrutin.

II est assez caractéristique d’ailleurs que le terme de décentralisation soit employé au sens de décentralisation purement “politique”, c’est-à-dire de transfert d’activités décisionnelles des cercles de pouvoir vers les 350 municipalités qui ont été répertoriées.

Cette conception prévaut à celle plus saine portant sur les outils d’un aménagement dynamique du territoire, fondés sur une vue prospective du développement des collectivités, sur la mise en valeur de leurs ressources et l’amélioration de leurs cadres de vie. Une conception qui s’insérerait pleinement dans le cadre de la politique nationale de discrimination positive à l’égard des régions les plus défavorisées. En effet, de par cette décentralisation et de la nouvelle répartition des compétences alors décidée, c’est aux collectivités locales que reviennent, au côté de l’État, les responsabilités principales en matière d’aménagement des territoires. Et cela souligne le rôle important qu’auront ces collectivités dans le développement de l’ensemble du pays. Ce rôle vient d’ailleurs d’être souligné par l’adoption de la loi organique relative au code des collectivités locales.

Aménagement du territoire et décentralisation industrielle

Un aménagement plus équilibré amène à poser la problématique de la dé-concentration industrielle du territoire tunisien dans son ensemble. Comment faire en sorte que le maillage industriel soit plus dense entre les différentes régions. Il est vrai que la décentralisation industrielle a plus de 40 ans d’âge en Tunisie. Elle a été notamment portée par la création du FOPRODI (Fonds de Promotion et de décentralisation industrielle) dès 1977 qui a promu le territoire selon trois zones distincts suivant les avantages octroyés. L’État a également facilité au cours des années 1970, la multiplication des universités et des hôpitaux dans les régions, encourageant une déconcentration des cadres et centres de vie. Au-delà, des infrastructures routières et industrielles, le cadre de vie d’un territoire reste en effet un élément fondamental de son attractivité et de l’inclusion de son développement.

Au début des années 1980, la création du Commissariat Général au développement Régional – CGDR – a procédé à l’élaboration de la carte des priorités régionales qui a été utilisée comme base de la répartition des crédits du PDR (Programme de Développement Rural), puis du PDRI (Programme de Développement Rural Intégré). Par la suite la création des trois Offices de Développement, du Sud (ODS), du Centre Ouest (ODCO) et du Nord-Ouest (ODNO) a également contribué à cette décentralisation industrielle. Le code de l’investissement et la nouvelle loi sur l’investissement ont par la suite essayé de mettre en musique cette volonté de dé-concentration industrielle et de discrimination positive.

La nouvelle donne des collectivités locales et son implication sur le développement

Tous ces efforts sont maintenant à coupler avec la nouvelle donne des collectivités locales et le pouvoir décisionnel qui leur est conféré. Ainsi, ce que le nouveau code des collectivités désigne comme étant des “compétences partagées” constituent un changement de taille avec l’apparition de nouveaux droits qui jusqu’ici ne relevaient que de l’État central. Elles englobent le transport, l’assainissement ou encore le développement économique (implantation d’un zone industrielle…). Même si ces nouvelles prérogatives ne seront conférées que de manière graduelle, elles nécessitent un travail rigoureux de prospective et de planification en amont au niveau de ces nouveaux acteurs décisionnels locaux.

Concrètement le rôle des collectivités sera d’œuvrer avec les structures en charge au niveau central à faciliter l’entrepreneuriat, annihiler les relents bureaucratiques s’opposant à la création et à l’innovation, “clustériser” leurs territoires, les marketer et contribuer ainsi à créer la dynamique à même de relancer l’économie nationale dans son ensemble.

Même si le code des collectivités locales évoque clairement l’aménagement du territoire comme axe fondamental de la décentralisation en marche, les débats et sujets de discussion portent aujourd’hui davantage sur des considérations idéologiques voire trop souvent dogmatiques, loin des enjeux d’une meilleure territorialisation et d’une spécialisation des territoires devenues impératives.

L’élection des 350 municipalités et 24 conseils régionaux ne doit pas occulter la nécessité de corriger les disparités mises à jour par la révolution. Elle ne doit pas faire l’impasse d’une spécialisation fonctionnelle des territoires et d’une efficience des ressources ainsi que de leur soutenabilité. L’Etat central restera cependant un acteur majeur de cette territorialisation et de l’attractivité des régions, non seulement en partageant les prérogatives liées au développement des territoires mais surtout en facilitant les projets de concession et d’interconnexion dans le domaine des infrastructures.

Zied Lahbib économiste

Source Blog HuffPost 05/05/2018