Vietnam : Les communistes pris dans leurs contradictions

NGUYEN-PHU-TRONG

NGUYEN-PHU-TRONG

Le Parti communiste du Vietnam doit choisir entre l’immuable et le transitoire. Mais il ne s’agit pas d’une simple bataille entre une vieille garde et des réformistes. Cette alternative souligne plutôt une époque de continuités, de contradictions et de restrictions dans le pays actuel.

Lors du 12e Congrès du Parti communiste vietnamien en janvier dernier, nous avons assisté à une lutte pour le poste de secrétaire général du parti, au sommet de la pyramide du pouvoir du Vietnam. Dans les médias occidentaux, ce duel opposait le secrétaire général sortant Nguyen Phu Trong, généralement dépeint comme un conservateur pro-Chine ; au Premier ministre Nguyen Tan Dung, considéré comme un réformiste pro-occidental.

Nguyen Tan Dung a échoué dans sa candidature pour le poste de secrétaire général et n’a pas été élu au Bureau politique, la plus haute instance du Parti communiste vietnamien (PCV). Nguyen Phu Trong, au contraire, a vu son mandat de secrétaire général prolongé de 2, voire 5 ans. Pourtant, voir ce résultat comme une victoire de la vieille garde conservatrice pro-chinoise sur les jeunes réformistes pro-occidentaux serait une erreur.

Dung a été mis de côté non pas à cause de son programme réformiste, mais parce qu’il était considéré comme un homme ayant construit un réseau de patronage dans un environnement capitaliste de ‘copinage’.

Dung a été mis de côté non pas à cause de son programme réformiste, mais parce qu’il était considéré comme un homme ayant construit un réseau de patronage dans un environnement capitaliste de copinage favorisant les intérêts des investisseurs étrangers et des personnes bien placées. En particulier les membres de sa propre famille. En un sens, Dung est devenu victime de la lutte contre la corruption qu’il a encouragée lors de ses deux mandats de Premier ministre. Selon la rumeur, une transaction, dont les détails demeurent inconnus, lui aurait permis de se retirer sans crainte d’être poursuivi.

La fin de la réforme ?

Toutefois, l’extension du mandat de Trong signifie-t-elle la fin de la réforme et de l’ouverture du Vietnam à la société et à l’économie internationale ? Probablement pas. Tout d’abord, la direction collective du Comité central du Parti et du Bureau politique, malgré la diversité des clans et des opinions qui la compose, reste attachée aux principes du « doi moi » (« renouveau »). Elle a conscience que la survie du régime communiste dépend de son adaptation à un changement rapide et, surtout, aux exigences de l’environnement national et international.

La direction collective du Comité central du Parti et du Bureau politique (…) reste attachée aux principes du « doi moi » (« renouveau »)

Au Comité central ou au Bureau politique, des membres plus jeunes, moins fermement ancrés aux idéaux de la révolution et dont la légitimité est liée à leur compétence de gestionnaire, sont également présents. Par exemple, Bui Quang Vinh, étoile montante du PCV, a publiquement appelé le Parti à entreprendre immédiatement des réformes, tant économiques que politiques.

Les analyses qui mettent en évidence les conservateurs contre les réformistes ou une vieille garde contre une nouvelle garde sont dépassées. Il est peut-être plus judicieux de situer les membres du Comité central et du Bureau politique sur un continuum entre les « mandarins » (qui voient la légitimité sur la base de la pureté idéologique) et les « technocrates » (plus préoccupés par la légitimité de la performance).

À bien des égards, le Congrès illustre les continuités, les contradictions et les contraintes du Vietnam actuel. Depuis le 6è Congrès du Parti en 1986, qui a couvert la politique du renouveau d’un voile idéologique, tous les congrès ont cherché à lui donner un nouvel élan, tout en conservant l’objectif de construire d’un socialisme vietnamien. La contradiction entre le « renouveau » et la promotion d’un système socialiste conservateur est devenue de plus en plus difficile pour les dirigeants communistes pour contrôler que le Vietnam est devenu, comme la Chine, une économie capitaliste gouverné par un État à parti unique.

De plus, dans une société où la grande majorité de la population est née après la réunification en 1975, les troupes de la révolution vietnamienne n’ont plus beaucoup de poids. Les appels aux sentiments nationalistes, accrus par la présence des plates-formes pétrolières chinoises dans la zone économique exclusive du Vietnam, peuvent avoir l’effet inverse, comme lors de la manifestation anti-chinoise en 2014.

Le débat environnemental est également devenu un espace de liberté politique où la réactivité du régime est remise en question. La catastrophe de mai 2016 – une mortalité massive de poissons en raison de déversements non contrôlés et illégaux d’une usine appartenant à Taïwan – a conduit à des manifestations dans tout le pays, contrairement à une crise similaire en 2008. Cette dernière avait été largement ignorée, alors qu’en 2016, le gouvernement a rapidement obtenu 500 millions de dollars de compensation par la compagnie concernée.

Sinophobie ambiante

L’Assemblée nationale ne peut plus être considérée comme une institution approuvant sans discussion son homologue chinoise.

Enfin, l’Assemblée nationale elle-même ne peut plus être considérée comme une institution approuvant sans discussion son homologue chinoise, mais plutôt une institution dans laquelle le gouvernement est appelé à rendre compte de ses actions – d’une manière qui ne menace pas de le renverser.

Ces développements internes ont été amplifiés par le changement d’environnement géopolitique et géo-économique du Vietnam. D’une part, le comportement autoritaire de la Chine dans la mer de Chine méridionale n’a pas seulement réveillé une sinophobie sous-jacente de la population vietnamienne. Il a aussi amené les dirigeants vietnamiens à renforcer leurs relations avec les États-Unis et le Japon.

La visite du président Obama à Hanoi en mai 2016, lors de laquelle il a levé l’embargo sur les armes, avait été précédée quelques mois plus tôt par la 1ère visite d’un secrétaire général du Parti communiste vietnamien à la Maison Blanche. Trong avait alors largement approuvé le changement pro-américain au sein du gouvernement vietnamien.

Le Japon a par ailleurs déjà fourni plusieurs navires aux Vietnamiens pour patrouiller dans sa zone économique maritime, et il a été question de fournir un avion de patrouille maritime avions P-3 Orion pour le pays.

Les concessions au Partenariat Transpacifique

D’autre part, l’avenir économique du Vietnam est de plus en plus lié à l’ouverture sur l’extérieur. Après son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce, le Vietnam a cherché à rejoindre l’Accord de partenariat transpacifique (TPP) mené par les États-Unis. Il a également signé un accord général de partenariat et de coopération et un accord de libre-échange (ALE) avec l’Union Européenne.

Toutes les études indiquent que le Vietnam (le moins développé des 12 membres du Partenariat transpacifique), a le plus à gagner économiquement de cette adhésion et, contrairement aux attentes, aurait fait les concessions nécessaires. En plus d’accepter la création d’une zone de libre-échange, les Vietnamiens ont accepté de mettre fin au traitement préférentiel des entreprises publiques (SOEs).

En plus d’accepter la création d’une zone de libre-échange, les Vietnamiens ont accepté de mettre fin au traitement préférentiel des entreprises publiques.

Pour l’ancien Premier ministre Nguyen Tan Dung, le TPP a toujours été considéré comme un levier pour obtenir la réforme du SOEs, en particulier depuis que le Congrès des entreprises publiques a accéléré les recherches de capitaux étrangers. Dans un contexte où les multinationales japonaises et occidentales cherchent des alternatives à la Chine, le Vietnam est désormais bien placé pour y parvenir.

Le thème central du Congrès peut se résumer au dicton « di bat bien, ung van bien » qui signifie « le recours à l’immuable, afin de faire face à la transition ». Mais quelle est la nature de l’ « immuable » ? Est-ce le rôle central du Parti communiste ou celui du régime politique ? Ou bien la défense de l’intérêt national dans un environnement international difficile ?

Et est-ce que la transition du Vietnam vers une économie capitaliste n’est qu’une phase transitoire dans la voie de l’édification du socialisme ? Ou bien, comme le suggère le développement des 30 dernières années, l’ultime point de destination ?

Source Alter Asia 12/09/2016

Traduction : Elodie Prenant
Editing et relecture : Sophie Saint-Blancat
Source : David Camroux et Hien Laëtitia Do Benoit / New Mandala : Communists and contradictions in Vietnam
Crédit photo : Kremlin

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