Asli Erdogan : “Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakirköy…”

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Depuis le mois d’août dernier, l’auteure turque Asli Erdogan est incarcérée dans une prison d’Istanbul, Barkirköy. Son arrestation par les autorités turques a été condamnée par de nombreuses organisations internationales : elle reflète les méthodes antidémocratiques utilisées par le gouvernement turc du président Recep Tayyip Erdogan depuis le coup d’État manqué de juillet 2016.

 

Asli Erdogan a été déférée au tribunal le 19 août sur la base de trois chefs d’accusation : « propagande en faveur d’une organisation terroriste », « appartenance à une organisation terroriste », « incitation au désordre ». Son soutien à la communauté kurde et son appel à la reconnaissance de la responsabilité turque dans le génocide arménien auraient fait d’elle une cible prioritaire des purges mises en place par Erdogan depuis le coup d’État manqué de juillet dernier.

 

La situation d’Asli Ergodan est d’autant plus préoccupante qu’elle souffre d’une santé fragile. L’auteure a rédigé une lettre, « un appel d’urgence », pour sommer la communauté européenne d’agir pour la libération de ses collègues et la défense de la liberté d’expression en Turquie.

 

Nous reproduisons ci-dessous la traduction de son courrier, fournie par le site Kedistan.

ChEres amiEs, collègues, journalistes, et membres de la presse,

 

Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakirköy, au lendemain de l’opération policière à l’encontre du journal Cumhuriyet, un des journaux les plus anciens et voix des sociaux démocrates. Actuellement plus de 10 auteurs de ce journal sont en garde à vue. Quatre personnes dont Can Dündar (ex) rédacteur en chef, sont recherchées par la police. Même moi, je suis sous le choc.

 

Ceci démontre clairement que la Turquie a décidé de ne respecter aucune de ses lois, ni le droit. En ce moment, plus de 130 journalistes sont en prison. C’est un record mondial. En deux mois, 170 journaux, magazines, radios et télés ont été fermés. Notre gouvernement actuel veut monopoliser la « vérité » et la « réalité », et toute opinion un tant soit peu différente de celle du pouvoir est réprimée avec violence : la violence policière, des jours et des nuits de garde à vue (jusqu’à 30 jours)…

 

Moi, j’ai été arrêtée seulement parce que j’étais une des conseillères d’Özgür Gündem, « journal kurde ». Malgré le fait que les conseillères, n’ont aucune responsabilité sur le journal, selon l’article n° 11 de la Loi de la presse qui le notifie clairement, je n’ai pas été emmenée encore devant un tribunal qui écoutera mon histoire.

 

Dans ce procès kafkaïen, Necmiye Alpay, scientifique linguiste de 70 ans, est également arrêtée avec moi, et jugée pour terrorisme.

 

Cette lettre est un appel d’urgence !

 

La situation est très grave, terrifiante et extrêmement inquiétante. Je suis convaincue que le régime totalitaire en Turquie s’étendra inévitablement, également sur toute l’Europe. L’Europe est actuellement focalisée sur la « crise de réfugiés » et semble ne pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. Actuellement, nous, — auteurEs, journalistes, Kurdes, AléviEs, et bien sûr les femmes — payons le prix lourd de la « crise de démocratie ».

 

L’Europe doit prendre ses responsabilités, en revenant vers les valeurs qu’elle avait définies, après des siècles de sang versé, et qui font que « l’Europe est l’Europe » : la démocratie, les droits humains, la liberté d’opinion et d’expression…

 

Nous avons besoin de votre soutien et de solidarité. Nous vous remercions pour tout ce que vous avez fait pour nous, jusqu’à maintenant.

 

Cordialement. Asli Erdogan

1.11.2016, Bakirköy Cezaevi, C-9

Traduit du turc par Kedistan

Source : ActuaLitté 03/11/2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Europe, rubrique Turquie, La crise politique turque grande menace pour les artistes, La romancière Asli Erdogan en prison, rubrique Politique, Politique culturelle, rubrique Société, citoyenneté,

Une réflexion sur « Asli Erdogan : “Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakirköy…” »

  1. En juillet, quand le « coup d’état » improbable a rapidement tourné à la purge étatique et antisociale, l’Europe politique n’a rien fait et les populations européennes n’ont pas assez protesté. Pourquoi ? Sans doute en grande partie parce que, même si cela est en parti faux, les printemps arabes après avoir fait grandir l’espoir, ont tourné au drame et à l’instabilité : migrations, attentats et guerres aggravées. Déstabiliser la Turquie (quand on voit l’Egypte, la Syrie, l’Irak et peut-être le Maroc…) risquerait d’ajouter encore au chaos sans rien résoudre. En tout cas, de l’extérieur, la question se pose de la capacité des habitants de Turquie (toutes populations confondues) à trouver un meilleur équilibre sans le gouvernement en place. La réponse leur appartient. Mais nous pouvons/devons dénoncer les emprisonnements arbitraires massifs.

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