La démocratie des riches s’est imposée partout en 2013

Le fil qui relie, pour moi, les grands événements et débats de l’année, au Québec et dans le monde, est le détournement de la démocratie au profit des riches.

 

1. La tragédie de Lac-Mégantic a suscité une vague de colère et de solidarité, mais on a vite compris que c’est nous qui allions payer la facture et non les propriétaires des trains et des produits qu’ils transportaient. Nos gouvernements vont payer pour leurs amis sans protester.

 

Pire encore, loin d’enregistrer la leçon de Mégantic tant à Québec qu’à Ottawa, ils ouvrent toutes grandes les vannes du pétrole, et du pétrole le plus salissant de la planète, en approuvant aveuglément l’un après l’autre les projets de pipelines et de forages au coeur même de notre fleuve. On pose des conditions pour la forme, mais on ignore systématiquement le problème des gaz à effet de serre et de l’après-pétrole. Nos écologistes de service au gouvernement, les Ouellet, Breton, McKay, Trottier, Blanchet font le tapis. C’est la démocratie des pétrolières qui s’impose.

 

2. La commission Charbonneau nous a ouvert les yeux sur l’ampleur de la collusion et de la corruption entre nos représentants et les faiseurs d’argent. Ici comme ailleurs, la proximité des représentants qu’on élit avec ceux qui nous exploitent est telle qu’il devient évident que les élections ne sont qu’une farce : en réalité, on élit nos maîtres et on ne les choisit même pas, les partis nous les imposent. Et d’une élection à l’autre, on continue à jouer le jeu de cette démocratie des riches.

 

3. Les élections municipales ont pris cette année un autre sens. Le rôle des autorités territoriales, maires et chefs des Premières Nations a pris tout son sens avec les scandales sur les contrats d’infrastructures, mais aussi avec la multiplication des problèmes d’urbanisme et des projets d’exploitation des ressources naturelles. La mairesse de Mégantic et ses pompiers sont devenus un symbole de l’importance de ces gardiens du territoire et des communautés.

 

Malheureusement, ici comme ailleurs les chefs de communauté se voient amputés de leurs pouvoirs par les compagnies, le libre-échange et les pouvoirs centralisés de l’État. La nouvelle politique de la ruralité n’y changera rien. L’État central, aussi bien celui d’Ottawa que de Québec, infiltré par les riches, étouffe les communautés territoriales. La démocratie des riches exige que nos gouvernements fassent taire les communautés qui résistent, et ils le font.

 

4. La guerre des chartes, québécoises et canadiennes, illustre bien que les constitutions et les chartes ont été écrites par les juristes et les politiciens pour s’assurer que le peuple ne fait pas obstacle aux libertés individuelles, à la propriété privée, aux minorités, au libre-échange et au multiculturalisme dont ont besoin les riches. Les juges veillent au grain pour mettre un frein aux droits du peuple de protéger son territoire, son histoire, sa culture et son mode de vie. L’argent est et doit rester apatride et sans frontière. L’État de droit est désormais celui qui assure le droit des riches, non celui du peuple.

 

5. La souveraineté alimentaire est désormais sur toutes les lèvres. Tout le monde est pour les produits locaux. Ça fait aussi l’affaire du cartel de l’UPA. Mais c’est essentiellement du bla-bla. Dans les faits, le commerce de l’alimentation est entre les mains de grandes chaînes et de multinationales qui ne vont pas changer leurs politiques d’approvisionnement et de mise en marché pour plaire au ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, François Gendron.

 

Avec le libre-échange, on est passé de 78 % à 33 % de produits québécois sur les tablettes. Les règles du commerce interprovincial et international interdisent maintenant de protéger les produits locaux. Les institutions publiques ont des contraintes budgétaires serrées. Notre agriculture est désormais orientée vers la production intensive intégrée et refuse obstinément de se restructurer en fonction d’une production et d’une mise en marché de proximité, encore moins d’une agriculture biologique. Le ministre Gendron sait tout cela. Ici aussi, les politiciens ont beau faire les matamores, ce sont les riches qui imposent leur loi et leurs règles.

 

6. Le déficit et la dette de l’État sont devenus une obsession : au Québec et partout dans le monde, les grandes banques font et défont les États. Comme en Grèce et en Espagne. Elles réduisent aussi les individus à l’esclavage par le crédit. Après les avoir poussés à s’endetter, elles les forcent à l’austérité pour rembourser à des taux toujours plus élevés et se refinancer à même les fonds publics. La démocratie des riches, c’est la démocratie des banques, la démocratie des fous.

 

7. La partisanerie politique a continué à empoisonner la vie politique cette année, au Québec et ailleurs, comme sur la loi des mines au Québec et le budget aux États-Unis. Les partis et leurs chefs ne visent qu’une chose : s’emparer du pouvoir, et pour y parvenir, ils ont besoin de plaire aux riches tout en faisant semblant de veiller sur le peuple. D’abord l’économie, c’est-à-dire d’abord les riches, ceux qui créent la richesse supposément. Le cercle vicieux de la démocratie des riches.

 

8. Le monde arabe, déchiré entre les pétrodollars et Allah, les chiites et les sunnites, les islamistes et les démocrates, les Russes et les Américains, continue à s’entre-tuer, et les puissances mondiales les regardent s’entre-tuer et tirent les ficelles en coulisse, en les condamnant du bout des lèvres. Les riches comme toujours mènent le jeu et le peuple sert de chair à canon.

 

9. En Asie, sous l’égide du libre-échange et des multinationales, une poignée de dictateurs, chefs de guerre et petits patrons exploite et tyrannise les masses pauvres au profit de l’Occident et d’une poignée de nouveaux riches, comme dans les usines de vêtements du Bangladesh. C’est l’envers de la démocratie des riches.

 

10. On a tous applaudi Nelson Mandela, mais les riches d’Afrique, Blancs pour la plupart, comme les minières canadiennes, continuent à régner et à s’enrichir sur le dos des pauvres, Noirs essentiellement. Même le parti de Mandela est devenu complice de ce nouvel apartheid, qui est aussi le nôtre. L’argent n’a pas de couleur mais il s’accumule et se concentre. Il est oligarchique, ostentatoire et obsessionnel : psychopathe. Il mène le monde au précipice, comme un train fou.

 

Un événement symbolise et résume ce triomphe de la démocratie des riches : la mort de Paul Desmarais, qui nous a fourni l’occasion rarissime de voir tous ces riches, réunis au grand jour à la basilique Notre-Dame, rendre hommage, à genoux, à un de leurs dieux, familiers de l’Olympe de Sagard, évêques, politiciens, vedettes, banquiers, chefs d’État, d’une seule voix, convaincus qu’ils créent la richesse alors qu’ils ne font qu’en profiter, qu’ils sont les bienfaiteurs du peuple alors qu’ils ne font que l’exploiter et le réquisitionner.

 

Qui peut rétablir la souveraineté du peuple si ce n’est une assemblée constituante démocratique ?

Roméo Bouchard – Saint-Germain-de-Kamouraska

Source : Le Devoir Libre de penser

Voir aussi : Rubrique Canada